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5G, 6G : quels enjeux pour les nouveaux réseaux de télécommunication

5G : amélioration ou aggravation du bilan carbone ?

Serge Abiteboul, chercheur en informatique à l'Inria et l'ENS et Patrick Lagrange, chef de l’unité Attribution des fréquences mobiles au sein de la Direction Mobile et Innovation de l’Arcep
Le 1 mars 2022 |
5 min. de lecture
Patrick Lagrange
Patrick Lagrange
chef de l’unité Attribution des fréquences mobiles au sein de la Direction Mobile et Innovation de l’Arcep
Serge Abiteboul
Serge Abiteboul
chercheur en informatique à l'Inria et l'ENS
En bref
  • La 5G est un nouveau standard technologique qui permet notamment d’exploiter des fréquences radio ayant des capacités plus importantes afin d’atteindre des débits plus élevés, tout en maintenant plus de connexions simultanées.
  • Une analyse du cycle de vie d’une installation 5G conduit à considérer trois grandes phases dans son impact sur l’environnement : la fabrication des équipements, leur utilisation et, enfin, la gestion de leur fin de vie.
  • L’utilisation de la 5G est impactante par sa consommation en énergie. Cependant, pour une performance similaire, la 5G consommera moins que la 4G, mais la prise en compte de l’accroissement d’objets connectés peut encore influencer ce constat.
  • Malgré les effets positifs de la 5G, l’ambition de nos objectifs concernant la réduction de gaz à effet de serre est telle que la réduction de la consommation énergétique du secteur des télécommunications est une nécessité.

La 5G 12 est un nou­veau stan­dard tech­nologique qui intè­gre 10 ans de R&D dans le domaine des com­mu­ni­ca­tions cel­lu­laires en matière de débit, de latence, de den­sité de con­nex­ion, mais aus­si de sécu­rité des com­mu­ni­ca­tions et d’efficacité énergé­tique (moins d’énergie pour une quan­tité de don­nées trans­portées con­stante). Les amélio­ra­tions vien­nent des évo­lu­tions des antennes et du traite­ment des ondes radio avec de nou­velles tech­nolo­gies comme celles des antennes mas­sives MIMO3, qui per­me­t­tent notam­ment d’exploiter des fréquences radio ayant des capac­ités plus impor­tantes afin d’atteindre des débits plus élevés, tout en main­tenant plus de con­nex­ions simultanées.

La con­ver­gence des réseaux télé­coms avec les réseaux infor­ma­tiques s’appuie sur des socles de logi­ciels com­muns et banal­isés, comme sur des tech­niques telles que le slic­ing ou le edge com­put­ing. Cela­com­plète la panoplie des inno­va­tions de la 5G pour des usages plus fiables et plus flex­i­bles. Cette tech­nolo­gie apporte ain­si des avancées impor­tantes pour de nom­breuses appli­ca­tions comme l’usine ou les ter­ri­toires con­nec­tés, les trans­ports col­lec­tifs ou indi­vidu­els, la logis­tique, etc.

Bien que l’arrivée de la 5G s’accompagne d’inquiétudes dans le domaine san­i­taire (expo­si­tion aux ondes), et de ques­tion­nements autour de la sécu­rité ou de la sou­veraineté, nous nous intéresserons plutôt à son enjeu cap­i­tal. Celui d’arriver à tir­er les béné­fices de la 5G tout en maîtrisant ses impacts envi­ron­nemen­taux, en d’autres ter­mes, de réc­on­cili­er con­nec­tiv­ité numérique et dura­bil­ité. Ce qui con­duit à con­sid­ér­er plus générale­ment la sobriété envi­ron­nemen­tale du numérique.

Quels sont con­crète­ment les impacts de la 5G sur l’environnement ? Une analyse du cycle de vie nous con­duit à con­sid­ér­er trois grandes phas­es : la fab­ri­ca­tion des équipements (avec un impact sur la con­som­ma­tion de matières pre­mières comme l’eau ou les ter­res rares et dans une cer­taine mesure une con­som­ma­tion énergé­tique plus ou moins car­bonée générant des gaz à effet de serre), leur util­i­sa­tion (prin­ci­pale­ment con­som­ma­trice d’énergie) et, enfin, la ges­tion de leur fin de vie (la pro­duc­tion de déchets). Pour sim­pli­fi­er, nous nous con­cen­trerons ici prin­ci­pale­ment sur la con­som­ma­tion énergé­tique, mais il faut bien garder à l’esprit que ce n’est qu’une facette de l’empreinte envi­ron­nemen­tale de cette tech­nolo­gie, comme du numérique en général.

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La consommation énergétique de la 5G

Si avec le déploiement effec­tif de la 5G, la ques­tion du non-déploiement devient rhé­torique, les études de déploiement et de non-déploiement nous per­me­t­tent d’aborder des ques­tions essen­tielles : com­ment allons-nous con­tin­uer à dévelop­per cette tech­nolo­gie et com­ment allons-nous nous l’approprier ? Ces ques­tions sont d’actualité alors que les véri­ta­bles dis­rup­tions comme le stand-alone, le slic­ing ou l’edge com­put­ing sont encore devant nous, et que les con­di­tions du déploiement dans la bande 26 GHz sont encore à l’étude.

Où se con­cen­trent les effets de la 5G sur l’environnement ?

  • Le déploiement de la 5G con­duit à chang­er des équipements. Les coûts de pro­duc­tion de ces équipements (surtout ceux de renou­velle­ment pré­maturé des ter­minaux) peu­vent peser lour­de­ment dans l’empreinte envi­ron­nemen­tale de la technologie.
  • A con­trario, le non-déploiement de la 5 G aurait con­duit à la den­si­fi­ca­tion du réseau 4G, donc aus­si à la pro­duc­tion d’équipements, vraisem­blable­ment en plus grand nom­bre pour les réseaux, et surtout des sur­coûts énergé­tiques de fonc­tion­nement, car, à vol­ume de don­nées con­stant, la 5 G est plus efficace.
  • Ce qui com­plique tout, c’est que le pas­sage à la 5G pour­rait encour­ager des usages exces­sifs de débit par un effet de rebond dif­fi­cile à quantifier.

Selon les hypothès­es que l’on for­mule, on obtient des résul­tats rad­i­cale­ment différents.

Le rap­port du Haut Con­seil pour le Cli­mat4 envis­age ce que pour­rait être l’empreinte car­bone du numérique selon plusieurs vari­antes de déploiement et non-déploiement de la 5 G. Si l’incertitude est impor­tante, les scé­nar­ios con­clu­ent tous que le déploiement de la 5G engen­dre une crois­sance impor­tante de cette empreinte, prin­ci­pale­ment du fait de l’accroissement du nom­bre d’objets con­nec­tés au réseau.

Une étude menée par un comité d’experts auquel par­ticipent les prin­ci­paux four­nisseurs d’équipement réseaux et les qua­tre opéra­teurs mobiles mét­ro­pol­i­tains, et dont l’Arcep assure le secré­tari­at, apporte un éclairage plus détail­lé sur cette ques­tion5. On con­state que le déploiement de la 5G per­met aux réseaux mobiles d’être beau­coup plus sobres dans les zones dens­es. En revanche, dans les zones à faible den­sité, à courts et moyens ter­mes, ce serait plutôt l’effet contraire.

Mieux évaluer la consommation énergétique du numérique

Il est dif­fi­cile d’analyser les effets de la 5G en l’isolant du reste de l’écosystème numérique, car chaque tech­nolo­gie, mobile ou filaire, est util­isée dans une imbri­ca­tion tou­jours plus forte de l’informatique et des réseaux. C’est toute la con­som­ma­tion énergé­tique du numérique qu’il faut chal­lenger. La dif­fi­culté de dégager des cer­ti­tudes dans ce domaine met en évi­dence un grand besoin d’évaluations pré­cis­es de la con­som­ma­tion énergé­tique. De telles éval­u­a­tions sont indis­pens­ables pour guider les poli­tiques publiques, mais égale­ment le com­porte­ment des util­isa­teurs et les choix des entreprises.

L’Arcep s’est investie sur ces sujets en 2020 en ouvrant la plate­forme « Pour un numérique souten­able » et en organ­isant un débat pub­lic dans une démarche d’échange et de con­cer­ta­tion avec les acteurs. Les grands out­ils pour réalis­er de telles éval­u­a­tions sont les analy­ses en cycle de vie, qui se nour­ris­sent de toutes les con­nais­sances sci­en­tifiques accu­mulées dans un domaine pour définir des méthodolo­gies robustes, et des don­nées amassées pour nour­rir les analyses.

Dans ce cadre, l’autorité a démar­ré des pro­grammes con­crets, notamment :

  1. Une étude est menée avec l’ADEME pour quan­ti­fi­er l’empreinte envi­ron­nemen­tale du numérique aujourd’hui et à l’horizon 2030 et 2050, avec un pre­mier rap­port au Gou­verne­ment atten­du en 2022. Il s’agit de définir une méthodolo­gie et des indi­ca­teurs qui per­me­t­tent de réalis­er une telle quantification.
  2. L’Arcep col­lecte déjà des don­nées envi­ron­nemen­tales auprès des opéra­teurs de com­mu­ni­ca­tions élec­tron­iques depuis 2020. Mais des don­nées de tous les acteurs du monde numérique sont néces­saires : équipemen­tiers, four­nisseurs d’accès, opéra­teurs de cen­tres de don­nées, etc. On peut d’ailleurs not­er qu’une loi visant à ren­forcer la régu­la­tion envi­ron­nemen­tale du numérique par l’Arcep, déposée par le séna­teur Patrick Chaize, et qui élar­git le pou­voir de col­lecte de l’Arcep, vient tout récem­ment d’être adoptée.

Enfin, il faut pren­dre en compte les effets posi­tifs de la 5G. Bien sûr, cer­tains insis­tent sur ces « exter­nal­ités pos­i­tives » pour ne pas trop avoir à se souci­er des effets négat­ifs. Mais l’ambition de nos objec­tifs con­cer­nant la réduc­tion de gaz à effet de serre est telle que la réduc­tion de la con­som­ma­tion énergé­tique du secteur des télé­com­mu­ni­ca­tions est une néces­sité, aus­si impor­tants que puis­sent être des effets posi­tifs. Il revient aux autorités de fix­er des objec­tifs de sobriété sans pour autant frein­er l’innovation qui pour­rait aboutir à des gains envi­ron­nemen­taux par ailleurs dans les autres secteurs qui s’appuient sur le numérique pour réalis­er leur tran­si­tion écologique.

1Ref Arcep : Par­lons 5G : toutes vos ques­tions sur la 5 G, https://​www​.arcep​.fr/​n​o​s​-​s​u​j​e​t​s​/​p​a​r​l​o​n​s​-​5​g​-​t​o​u​t​e​s​-​v​o​s​-​q​u​e​s​t​i​o​n​s​-​s​u​r​-​l​a​-​5​g​.html
2Rap­port sur la 5G et les réseaux de com­mu­ni­ca­tions mobiles, Académie des sci­ences, 2021
3Mas­sive MIMO (Mul­ti Input Mul­ti Out­put) : une antenne est-elle même con­sti­tuée d’un grand nom­bre de petit sous ensem­ble anten­naires qui exploitent au mieux la diver­sité spa­tiale de la prop­a­ga­tion des ondes aen­tre le réseau et les ter­minaux
4Haut con­seil pour le cli­mat, « Maîtris­er l’impact car­bone de la 5G », 20/12/2020
5https://​www​.arcep​.fr/​l​a​-​r​e​g​u​l​a​t​i​o​n​/​g​r​a​n​d​s​-​d​o​s​s​i​e​r​s​-​t​h​e​m​a​t​i​q​u​e​s​-​t​r​a​n​s​v​e​r​s​e​s​/​l​e​m​p​r​e​i​n​t​e​-​e​n​v​i​r​o​n​n​e​m​e​n​t​a​l​e​-​d​u​-​n​u​m​e​r​i​q​u​e​/​c​o​n​s​o​m​m​a​t​i​o​n​-​e​n​e​r​g​e​t​i​q​u​e​-​r​e​s​e​a​u​x​-​m​o​b​i​l​e​s​-​e​t​u​d​e​-​c​o​m​p​a​r​e​e​.html

Auteurs

Serge Abiteboul

Serge Abiteboul

chercheur en informatique à l'Inria et l'ENS

Membre du Collège de l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, de la poste, et de la distribution de la presse), Serge Abiteboul a obtenu son doctorat de l'Université de Southern Californie, et une thèse d'État de l'Université de Paris-Sud. Il a été chercheur en informatique à l'Institut National de Recherche en Informatique et Automatique ainsi que Directeur de Recherche Émérite dans une équipe de recherche de l’École Normale Supérieure de Paris. Il a également été Maître de conférences à l'École polytechnique, professeur invité à Stanford et Oxford University et Professeur Affilié à l’École Normale Supérieure de Cachan. Ses travaux de recherche portent principalement sur les données, la gestion de l'information et des connaissances, en particulier sur le Web. Serge Abiteboul écrit également des romans, des essais, et est éditeur et fondateur du Blog binaire. Il a été commissaire de l'exposition Terra Data à la Cité des sciences en 2017-2018.

Patrick Lagrange

Patrick Lagrange

chef de l’unité Attribution des fréquences mobiles au sein de la Direction Mobile et Innovation de l’Arcep

Patrick Lagrange a récemment contribué à l’attribution des fréquences de la bande 3,5 GHz sur le territoire français et a participé à la mise en place de l’initiative « Numérique soutenable » de l’Arcep. Il est diplômé de Supélec et titulaire d'un Master en économie et avant de rejoindre l’Arcep, a passé 25 ans dans l'industrie des fournisseurs d'équipement d'infrastructure mobile dans des fonctions de R&D, de standardisation, de consultant, et de support en avant-vente.

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