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Les limites de l'économie circulaire

Comment réglementer l’économie circulaire à l’international ?

Catherine Chevauché, présidente du Comité Technique ISO Économie Circulaire
Le 10 mai 2023 |
4 min. de lecture
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Catherine Chevauché
présidente du Comité Technique ISO Économie Circulaire
En bref
  •  L’Organisation internationale de normalisation (ISO) prévoit pour 2024 un ensemble de nouvelles normes internationales afin d’assurer la transition vers l’économie circulaire.
  • Une norme donnera les principes pour passer de l’économie linéaire à l’économie circulaire : partager et conserver la valeur, minimiser les prélèvements de ressources…
  • D’autres normes traiteront de la transition entre un modèle linéaire et circulaire ou fourniront des indicateurs de mesure de la circularité des produits et des organisations.
  • L’ensemble des normes s’adresse à toutes les organisations, privées ou publiques, associations ou entreprises, qui souhaitent se saisir de ces enjeux.
  • La Commission européenne travaille à l’élaboration d’un passeport numérique des produits, qui fournira des informations sur la composition du produit ou la façon de le recycler.

Un ensem­ble de normes inter­na­tionales est en pré­pa­ra­tion afin de don­ner une déf­i­ni­tion pré­cise de l’économie cir­cu­laire, de fix­er les modal­ités de la tran­si­tion vers ce mod­èle et d’en mesur­er les réus­sites. Cather­ine Chevauché dirige le comité qui éla­bore cette série de normes ISO visant à aider les organ­i­sa­tions à pass­er d’une économie linéaire à une économie cir­cu­laire. Elle tra­vaille depuis longtemps sur la con­tri­bu­tion à la neu­tral­ité car­bone d’ac­tiv­ités indus­trielles, notam­ment dans le secteur de l’eau et des déchets, d’abord au sein du groupe Suez et est main­tenant direc­trice Économie Cir­cu­laire chez Veolia. 

De quand date cette volonté d’appliquer des normes à l’économie circulaire ? 

En France, c’est en 2018 que l’Association française de nor­mal­i­sa­tion (Afnor) a pub­lié une pre­mière norme sur la ges­tion de pro­jet cir­cu­laire, à titre expéri­men­tal. Suite à cela, la France a pro­posé à l’ISO, Organ­i­sa­tion inter­na­tionale de nor­mal­i­sa­tion, de créer un comité tech­nique pour rédi­ger des normes inter­na­tionales sur l’économie cir­cu­laire. J’étais à cette époque respon­s­able cli­mat et économie cir­cu­laire chez Suez et je me suis portée can­di­date pour pren­dre la tête de ce comité, créé en 2019. Aujourd’hui, 96 pays et une quin­zaine d’organismes de liaisons (Fon­da­tion Ellen MacArthur, Organ­i­sa­tion des Nations unies pour le développe­ment indus­triel, Organ­i­sa­tion mon­di­ale des douanes, etc.), par­ticipent à la rédac­tion de ces normes. 

Qu’est-ce qu’il est possible d’encadrer quand on parle d’économie circulaire ?

De même qu’il existe des normes ISO 9 000 rel­a­tives à la qual­ité des pro­duits, ou des normes ISO 14 000 pour le man­age­ment envi­ron­nemen­tal, nous allons avoir une série de normes 59 000 sur l’économie cir­cu­laire. La pre­mière (59 004) don­nera les grands principes que les organ­i­sa­tions doivent inté­gr­er pour pass­er de l’économie linéaire (extraire, fab­ri­quer, con­som­mer et jeter) à l’économie cir­cu­laire (éviter, répar­er, réu­tilis­er et recy­cler) : partager la valeur, con­serv­er la valeur, min­imiser les prélève­ments de ressources dans l’environnement, rester dans les lim­ites plané­taires, etc. Et ce quelles que soient les organ­i­sa­tions, qu’elles appar­ti­en­nent au secteur pub­lic ou privé, qu’il s’agisse d’associations ou d’entreprises.

La norme 59 004 don­nera les grands principes pour pass­er de l’économie linéaire à l’économie circulaire.

Une sec­onde norme (59 010) va traiter de la tran­si­tion entre un mod­èle d’affaires linéaire et un mod­èle cir­cu­laire, en adop­tant un état d’esprit parte­nar­i­al plutôt que des rela­tions client/fournisseur clas­siques. La série 59 020 pro­posera des indi­ca­teurs de mesure et d’évaluation de la cir­cu­lar­ité des pro­duits et des organ­i­sa­tions. Enfin, deux autres normes (59 040 et 59 014) vont mod­élis­er des fich­es pro­duits, qui per­me­t­tront de mieux con­naître leur com­po­si­tion pour mieux les val­oris­er et mieux traiter les matières sec­ondaires. Toutes ces dif­férentes normes devraient être pub­liées en 2024. 

Comment obtenir un consensus entre les pays sur ces sujets ? 

Il est essen­tiel de veiller à ce que les normes soient équita­bles et per­ti­nentes pour tous les pays. Nous nous appuyons pour cela sur une répar­ti­tion géo­graphique équili­brée des direc­tions des dif­férents groupes de tra­vail. L’un de ces groupes est co-présidé par la France et le Brésil, un autre par le Rwan­da et le Japon, un autre par la Suisse et  l’Île Mau­rice, etc.  À chaque étape, nous procé­dons par con­sul­ta­tions et votes inter­mé­di­aires. Bien sûr, il y a des arbi­trages par­fois com­pliqués comme par exem­ple sur la ques­tion de l’incinération avec récupéra­tion d’énergie. 

Mais le comité doit agir rapi­de­ment pour répon­dre à l’urgence envi­ron­nemen­tale et sociale. C’est pourquoi nous tra­vail­lons en par­al­lèle sur ces dif­férentes normes, pour être en mesure de les pub­li­er rapi­de­ment et en même temps. Ensuite, il fau­dra se pencher sur les ques­tions de cer­ti­fi­ca­tion et de con­trôle du respect de ces normes. 

Y a‑t-il une obligation de respecter ces normes ?

Non, l’adoption des normes ISO repose tou­jours sur une démarche de volon­tari­at. Mais dans le cas présent, on peut espér­er que beau­coup de pays s’en sai­sis­sent, et l’on espère qu’une même démarche puisse s’enclencher au niveau européen. En tout cas, ce tra­vail de réflex­ion et de rédac­tion oblige déjà cha­cun des acteurs à se pos­er ces ques­tions, à réalis­er l’impact de son activ­ité sur l’environnement sans oubli­er son impact socié­tal, et, je l’espère, à agir de façon plus responsable. 

Bien­tôt un passe­port numérique pour con­naître la dura­bil­ité des produits 

La Com­mis­sion européenne a élaboré un règle­ment (ESPR) sur l’Écoconception pour amélior­er la cir­cu­lar­ité des pro­duits de l’Union Européenne, la per­for­mance énergé­tique et d’autres aspects liés à la dura­bil­ité envi­ron­nemen­tale. Dans ce cadre, elle tra­vaille à l’élaboration d’un Dig­i­tal Prod­uct Pass­port (DPP), ou passe­port numérique des pro­duits. Cette fiche numérique fourni­ra des infor­ma­tions sur l’o­rig­ine, la com­po­si­tion, les options de répa­ra­tion et de démon­tage d’un pro­duit ain­si que la manière dont les dif­férents com­posants peu­vent être recy­clés. Ce passe­port sera exigé pour l’ensemble des pro­duits mis sur le marché dans l’U­nion européenne, y com­pris les com­posants et les pro­duits inter­mé­di­aires. Seules quelques caté­gories de pro­duits comme que les pro­duits ali­men­taires, les ali­ments pour ani­maux et les pro­duits médic­in­aux sont exemp­tés. Il per­me­t­tra aux par­ties prenantes de l’ensemble de la chaine de valeur (pro­duc­teurs, impor­ta­teurs, dis­trib­u­teurs, répara­teurs, recy­cleurs, con­som­ma­teurs, etc.), de partager et d’accéder plus facile­ment à ces données.

Marina Julienne

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