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Les limites de l'économie circulaire

Privilégier l’éco-conception plutôt que le recyclage

Lucie Domingo, enseignante-chercheuse en éco-conception à UniLaSalle Rennes | École des métiers de l’environnement
Le 10 mai 2023 |
5 min. de lecture
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Lucie Domingo
enseignante-chercheuse en éco-conception à UniLaSalle Rennes | École des métiers de l’environnement
En bref
  • Le recyclage de produits courants n’a pratiquement aucun effet sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
  • La logistique nécessaire au transport et à la fabrication de produits recyclés peut même parfois s’avérer plus nocive que de brûler ces plastiques localement.
  • Depuis 10 ans, la consommation intérieure de matières des pays européens s’établit atour des 13 tonnes par habitant en moyenne, sans baisse significative globale.
  • Plutôt que se focaliser sur l’épuisement des ressources, il faut réinterroger l’utilisation des produits, leur maintenance, leur transport ou leur utilité.
  • Par exemple, les aspirateurs électriques doivent satisfaire à des exigences d’éco-conception comme la consommation d’énergie en cours d’utilisation ou la durabilité.

Des bas­kets ou des polos fab­riqués à par­tir de bouteilles de plas­tiques recy­clées ; des déchets brûlés pour chauf­fer tout un quarti­er ; des vélos conçus à par­tir de cap­sules de café dont a récupéré l’aluminium… Tous ces pro­jets pen­sés dans le cadre d’une « économie cir­cu­laire » sont cen­sé per­me­t­tre la pro­duc­tion de nou­velles richess­es en prél­e­vant moins de ressources (épuis­ables) sur la planète. « Or ce type de recy­clage n’a qua­si­ment aucun effet sur la réduc­tion des émis­sions des gaz à effet de serre respon­s­ables du change­ment cli­ma­tique, explique Lucie Domin­go, enseignante-chercheuse à l’École d’ingénieurs Uni­LaSalle de Rennes. Le risque, en se focal­isant sur la crise des déchets et l’épuisement des ressources minérales et fos­siles, c’est de réduire la com­plex­ité des sys­tèmes anthropiques à leur pro­duc­tion et leur élim­i­na­tion, sans inter­roger l’utilisation des pro­duits, leur main­te­nance, leur trans­port, ou leur util­ité pour la société et les indi­vidus qui la com­posent. En imag­i­nant quan­tités de sys­tèmes pour recy­cler les déchets, ou en con­ce­vant de nou­veaux pro­duits per­me­t­tant de les ré-employ­er, on oublie de remet­tre en cause l’existence même de ces déchets. En don­nant aux déchets une valeur marchande, on développe des tech­nolo­gies sou­vent éner­gi­vores ou dégageant des émis­sions nocives pour la san­té et l’environnement. »

Recyclage : vraie solution ou nouvelle pollution ?

Un exem­ple emblé­ma­tique est celui de l’incinérateur de Copen­h­ague, mis en ser­vice en 2017. Ce devait être le plus grand et le plus per­for­mant du pays. Avec plus de 50 % de ses ordures ménagères brûlées pour pro­duire de l’én­ergie et de la chaleur, le Dane­mark est le pays européen qui inc­inère le plus de déchets. Au point d’en man­quer ! Ces cinq dernières années, le pays a mul­ti­plié par six ses impor­ta­tions de déchets en prove­nance du Roy­aume-Uni, en par­tie pour assur­er le bon fonc­tion­nement de ce nou­v­el inc­inéra­teur. Cela fait ain­si des décen­nies que le Roy­aume-Uni paie le Dane­mark, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Suède pour le débar­rass­er de ses ordures, une solu­tion moins coû­teuse que la mise en place de réelles poli­tiques de ges­tion des déchets. Quant aux Danois, on les incite de moins en moins à lim­iter leurs déchets, puisque le pays en manque !

De même pour le plas­tique, la logis­tique néces­saire au trans­port et à la fab­ri­ca­tion des polos ou chaus­sures à par­tir de plas­tique recy­clé peut s’avérer plus nocive pour l’environnement que le fait de brûler ces plas­tiques locale­ment.  Et le vrai défi est de par­venir à récupér­er les déchets plas­tiques qui se trou­vent dans les océans, et non sur terre. Le même principe est à l’œuvre avec l’application anti-gaspillage ali­men­taire To good to go, vertueuse en soi, puisqu’elle per­met de don­ner aux par­ti­c­uliers des pro­duits périss­ables qui pour­raient finir à la poubelle. Mais, revers de la médaille, les super­marchés ne veil­lent plus à ne com­man­der que les quan­tités d’aliments stricte­ment néces­saires. « C’est ce qu’on appelle l’effet ‘lock in’ (enfer­mé de l’intérieur), explique Lucie Domin­go. On bloque les indi­vidus ou les entre­pris­es avec des solu­tions séduisantes à court terme mais qui ont en réal­ité un très faible impact. On le con­state au niveau européen, puisque la con­som­ma­tion de ressources ne dimin­ue tou­jours pas. »

Réduire la consommation de matières : pas si simple

L’Europe s’est dotée d’indicateurs per­me­t­tant de mesur­er, au niveau de chaque pays, la con­som­ma­tion intérieure de matières (DMC, domes­tic mate­r­i­al con­sump­tion), en agrégeant extrac­tion domes­tique et impor­ta­tions, déduc­tion faite des expor­ta­tions. La « pro­duc­tiv­ité matières », ratio rap­por­tant le pro­duit intérieur brut (PIB) à cette con­som­ma­tion de matières, per­met de mesur­er la tran­si­tion de la société vers une organ­i­sa­tion plus économe en ressources et de met­tre – ou non – en évi­dence un décou­plage entre la crois­sance économique et la con­som­ma­tion de matières. Or, depuis 10 ans, la con­som­ma­tion intérieure de matières des pays européens s’établit autour de 13 tonnes par habi­tant en moyenne, avec une forte vari­abil­ité selon les pays, mais sans baisse sig­ni­fica­tive globale.

Depuis 10 ans, la con­som­ma­tion intérieure de matières des pays européens s’établit autour de 13 tonnes par habitant. 

« On voit bien que peu de ressources peu­vent être cir­cu­laires, c’est à dire com­plète­ment réin­tro­duites dans la pro­duc­tion de nou­veaux pro­duits, pour­suit Lucie Domin­go. Plus de 50 % de nos ressources sont util­isées pour l’alimentation ou l’énergie, donc dis­parais­sent à jamais ; une autre par­tie impor­tante (45 %va au BTP, secteur qui mobilise énor­mé­ment de matéri­aux sur le long terme : si les con­struc­tions de bâtis et d’infrastructures sont bien faites, on ne touche plus à ces matéri­aux pen­dant des décen­nies ! »

Les avantages de l’éco-conception

Quelles solu­tions alors pour lim­iter nos con­som­ma­tions de ressources et d’énergie ? Lucie Domin­go tra­vaille sur l’éco-conception : en inté­grant le cycle de vie d’un bien dans son proces­sus de développe­ment, l’éco-conception per­met d’améliorer la per­for­mance envi­ron­nemen­tale de ce futur pro­duit. La démarche est com­plexe, elle oblige notam­ment à envis­ager quels seront les com­porte­ments des indi­vidus et l’influence du con­texte sur le cycle de vie du produit.

Pour sa thèse sur une « Méthodolo­gie d’éco-conception ori­en­tée util­i­sa­tion1», la chercheuse a étudié plus par­ti­c­ulière­ment les réfrigéra­teurs. Leur fab­ri­ca­tion a été stan­dard­is­ée au niveau inter­na­tion­al alors que l’utilisation qui en est faite dépend notam­ment des com­porte­ments ali­men­taires des indi­vidus, et du cli­mat des pays où ils sont instal­lés. Les foy­ers qui priv­ilégient les plats pré­parés auront besoin d’un fri­go qui main­ti­enne des tem­péra­tures bass­es, sous 5 degrés. Ceux qui con­som­ment surtout des pro­duits frais se sat­is­fer­ont d’un fri­go qui con­serve les ali­ments entre 5 et 15° C. Et si on louait les réfrigéra­teurs au lieu de les ven­dre, il serait pos­si­ble d’en chang­er en fonc­tion de ses usages, qui vari­ent au cours de la vie, de la com­po­si­tion du foy­er, avec ou sans jeunes enfants ou per­son­nes âgées…

Est-ce irréal­iste d’intégrer tous ces fac­teurs à la fab­ri­ca­tion de nou­veaux réfrigéra­teurs ? Ce cas d’école mon­tre d’abord à quel point il est impor­tant de réfléchir à l’usage de nos pro­duits. Ensuite, ce qui nous paraît irréal­iste aujourd’hui peut s’avérer tout à fait envis­age­able demain. « On a par exem­ple longtemps pen­sé que la vente en vrac ne séduirait jamais les con­som­ma­teurs, estime l’enseignante-chercheuse. Et effec­tive­ment, les études de marché  indi­quaient que les per­son­nes ne voudraient pas pren­dre ou ne penseraient pas à pren­dre un con­tenant chaque fois qu’elles iraient faire leurs cours­es, que ce serait trop dif­fi­cile à gér­er pour les super­marchés, etc. Pour­tant, ce type de vente s’est large­ment imposé, avec un béné­fice pour l’environnement (moins d’emballages) et un béné­fice économique impor­tant, en par­ti­c­uli­er pour les ménages les plus mod­estes, qui peu­vent ain­si plus facile­ment acheter ce dont ils ont besoin au jour le jourQuant aux super­marchés, il a bien fal­lu qu’ils s’adaptent pour répon­dre à la demande… »

Au roy­aume de l’économie cir­cu­laire, toutes les options doivent donc être envis­agées ! Et quelques exem­ples de pro­duits éco-conçus pour être moins éner­gi­vores arrivent sur le marché. C’est ain­si que, con­for­mé­ment à dif­férents règle­ments européens, les aspi­ra­teurs élec­triques doivent désor­mais sat­is­faire à des exi­gences d’é­co­con­cep­tion qui por­tent sur la con­som­ma­tion d’én­ergie en cours d’u­til­i­sa­tion, le taux de dépous­siérage, les émis­sions de pous­sières, le bruit et la dura­bil­ité. « Il importe de ratio­nalis­er la con­som­ma­tion d’én­ergie des aspi­ra­teurs en util­isant des tech­nolo­gies non-pro­prié­taires exis­tantes présen­tant un bon rap­port coût-effi­cac­ité et sus­cep­ti­bles de faire baiss­er les dépens­es cumulées liées à l’achat et au fonc­tion­nement de ces pro­duits », stip­ule le règle­ment. Un impor­tant groupe d’électroménager européen a ain­si divisé par trois en 10 ans (2010–2020), la con­som­ma­tion d’énergie moyenne de ses aspi­ra­teurs traîneaux, sans aucun com­pro­mis sur l’efficacité ni le niveau sonore. Mais cette trans­for­ma­tion fut réfléchie bien en amont, et a néces­sité plusieurs années de tests et de mise au point… 

Marina Julienne 
1https://​the​ses​.hal​.sci​ence/​t​e​l​-​0​0​9​5​7​5​7​9​/​d​o​c​ument

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