Les batteries rechargeables au lithium-ion (Li-ion) sont apparues au début des années 1990 et ont révolutionné l’électronique moderne. Ces batteries sont aujourd’hui de plus en plus utilisées pour alimenter les véhicules électriques et hybrides, grâce à leur densité énergétique élevée et à leurs excellentes performances, et comme composants clés dans les appareils qui stockent l’énergie produite à partir de sources renouvelables. Au cours des deux dernières décennies et demie, cette technologie s’est améliorée, gagnant 5 à 10 % d’efficacité chaque année grâce à l’optimisation des architectures existantes.
Cependant, pour évoluer vers une économie véritablement sans carbone, nous aurons besoin de batteries plus performantes que la technologie Li-ion d’aujourd’hui (voire que celles de demain). Dans les véhicules électriques, ces batteries devront être aussi petites et légères que possible, ce qui nécessitera des densités énergétiques bien supérieures aux 300 Wh/kg et 800 Wh/L considérées comme les limites pratiques de la technologie Li-ion actuelle. D’autres enjeux sont à relever : réduire les coûts, améliorer la sécurité et la durabilité, diminuer le temps de recharge et augmenter leur durée de vie (celle-ci devant atteindre environ dix ans ou plus) à mesure qu’elles sont utilisées dans des applications importantes sur le plan économique, telles que le stockage sur réseau.
Quels seront selon vous les défis pour les batteries du futur ?
Cyrille Sollogoub. Les batteries Li-ion sont largement utilisées dans tous les types d’appareils électroniques portables et leur utilisation a vraiment pris son essor dans les années 1990. Aujourd’hui, ce sont les batteries pour véhicules électriques qui occupent le devant de la scène.
Les principaux défis résident dans la fabrication de batteries à la fois performantes, sûres et produites à grande échelle, afin de répondre à une demande en forte croissance. En effet, le besoin en véhicules électriques pouvant être rechargés rapidement devrait augmenter de manière quasi-exponentielle dans les années à venir. Ces batteries devront également être conçues pour être les plus légères possible.

Didier Dalmazzone. Parmi les autres défis à relever, citons la disponibilité des métaux critiques et des chaînes d’approvisionnement, ainsi que le contrôle de ces chaînes, qui est actuellement largement détenu par la Chine. La recyclabilité des batteries existantes commence également à poser problème, car leur fin de cycle de vie approche, ce qui ne fera qu’empirer à l’avenir. L’industrie du recyclage des batteries n’est pas encore en mesure de relever ce défi aujourd’hui. Il est également essentiel de retrouver notre souveraineté industrielle en Europe et en France.
CS. Ce dernier point est directement lié aux enjeux de fabrication, car aucun des matériaux nécessaires, du moins ceux utilisés pour la partie active des batteries, n’est actuellement disponible en Europe. En cela, il est clair que nous dépendons fortement d’autres pays : non seulement les batteries ne sont pas fabriquées en Europe, mais nous ne maîtrisons pas encore leur fabrication à grande échelle.
L’UE est consciente de ce problème et s’est fixée pour objectif de construire une trentaine de « gigafactories » capables de fabriquer des batteries lithium-ion pour les véhicules électriques. La France et l’UE ont donc investi massivement dans ces infrastructures. L’objectif initial était que 20 % des batteries soient produites en Europe d’ici 2030. Or, ce chiffre est aujourd’hui inférieur à 2 %. Cette faible proportion s’explique par des retards importants, et l’objectif de 2030 ne sera probablement pas atteint.
DD. Un autre problème est que même si nous parvenons à construire ces gigafactories, nous ne disposons pas des matériaux nécessaires à la fabrication des batteries. Telle est la situation actuelle.
Avez-vous des propositions ou des idées pour avancer dans le bon sens ?
DD. Nous devons absolument retrouver notre souveraineté. La France a été à l’origine de la technologie des batteries1. Et même s’il reste encore quelques acteurs industriels en France – nous n’avons pas complètement disparu –, il est clair que nous allons devoir agir très rapidement pour rattraper les Chinois, qui progressent eux-mêmes très vite en ce moment. En termes de prix, le coût des batteries baisse à un rythme incroyable. C’est donc un défi énorme pour les fabricants qui sont encore dans la course et qui souhaitent rester compétitifs.
On peut citer ici Verkor, un conglomérat de différents groupes qui tentent d’unir leurs forces pour faire avancer la production et la fabrication de batteries Li-ion. Des recherches approfondies sur la chimie de ces matériaux ont été menées partout dans le monde. John B. Goodenough, Stanley Whittingham et Akira Yoshino ont reçu le prix Nobel de chimie en 2019 pour leur contribution à leur développement2. Cependant, je pense que nous devons désormais être productifs pour répondre à la demande croissante. C’est pourquoi, en tant que personne davantage impliquée dans les processus, je pense qu’il y a beaucoup à faire dans ce domaine. Nous devons également rendre ces batteries plus robustes.
CS. En effet, il y a un aspect important à prendre en compte : la sécurité. C’est d’ailleurs l’une des limites des batteries Li-ion actuelles, en particulier celles qui contiennent des électrolytes liquides inflammables. Si nous voulons que les batteries lithium-ion fassent partie de notre quotidien dans les véhicules électriques par exemple, nous devons les rendre plus sûres. C’est là que les batteries à base de composés solides présentent un intérêt.
DD. La question de la sécurité devient encore plus pressante à mesure que la densité énergétique augmente. L’objectif étant de tendre vers des densités énergétiques toujours plus élevées, les technologies actuelles, basées sur des électrolytes liquides, qui sont en fait des solvants organiques, donc inflammables, doivent être revues. Mes collègues sur le campus de l’IP Paris travaillent à remplacer certains matériaux des batteries Li-ion, comme le graphite, par du silicium. D’autres approches impliquent les batteries métal-air. À terme, nous aimerions remplacer le lithium par d’autres matériaux, car cet élément se fera de plus en plus rare.
Mais le lithium ne se trouve-t-il pas en France ?
DD. Le lithium se trouve presque partout dans le monde, mais il doit être extrait correctement car l’exploitation minière de ce métal est extrêmement polluante. Le minerai doit également répondre à des critères de qualité spécifiques. En France, nous en trouvons en Alsace et dans le Massif central, mais il faudra faire attention. Il suffit de voir les effets dévastateurs de l’exploitation minière du lithium sur les paysages d’Amérique du Sud. La purification est également une étape problématique après l’extraction.
En conclusion, la demande en batteries va considérablement augmenter à l’avenir, nous devons donc commencer à nous y préparer. Et aujourd’hui, la technologie Li-ion à électrolyte liquide atteint déjà ses limites.
Voyez-vous déjà des alternatives au lithium-ion ? Le sodium a été mentionné précédemment ?
CS. Il y a deux ou trois ans, j’aurais également cité l’hydrogène, mais il semble perdre de son élan. De plus, il pose beaucoup de problèmes. Je pense que les batteries ont pris l’avantage, en particulier pour les véhicules électriques. Même si la technologie lithium-ion existante peut encore être améliorée, elle ne suffira pas pour répondre aux besoins futurs. Il faut donc travailler sur les batteries post-lithium-ion (« tout solide », sodium-ion, lithium-soufre, etc.), ce qui implique de développer de nouvelles chimies et architectures d’électrodes offrant des densités énergétiques beaucoup plus élevées et de nouveaux électrolytes capables de fournir la conductivité élevée requise. Le défi consiste à réunir toutes ces qualités dans une batterie qui soit à la fois sûre, durable, économiquement viable et compatible avec une production à grande échelle.
Propos recueillis par Isabelle Dumé

Polytechnique Insights est partenaire média de l’expo capsule Batteries au musée des Arts et Métiers. L’exposition explore la fabrication, le fonctionnement et le rôle des batteries dans la transition énergétique et la mobilité.