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Climat, guerre, pollution : comment les satellites documentent nos plus grands défis

Les émissions de gaz à effet de serre : une menace pour l’orbite terrestre basse ?

avec William Parker, chercheur étudiant diplômé au Massachusetts Institute of Technology
Le 18 juin 2025 |
4 min. de lecture
William Parker
William Parker
chercheur étudiant diplômé au Massachusetts Institute of Technology
En bref
  • L’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) rendra de plus en plus difficile le maintien des opérations satellitaires en orbite basse, selon des chercheurs.
  • Le CO2 et d'autres GES provoquent le « rétrécissement » de la thermosphère, une couche de l'atmosphère supérieure où gravitent actuellement la plupart des satellites.
  • Les débris spatiaux resteront plus longtemps dans la thermosphère, polluant cette région et augmentant le risque de collisions entre les satellites en orbite.
  • L'orbite terrestre basse est de plus en plus encombrée, et des modèles atmosphériques précis sont essentiels pour prévoir l'évolution à long terme des débris spatiaux.
  • Cette étude montre l'urgence d'une coordination internationale en matière de gestion du trafic spatial, sans laquelle nous risquons de franchir des seuils dangereux.

Selon de nou­velles analy­ses réal­isées par des ingénieurs aérospa­ti­aux du MIT, l’aug­men­ta­tion des émis­sions de gaz à effet de serre ren­dra de plus en plus dif­fi­cile le main­tien des opéra­tions satel­li­taires en orbite basse. En effet, le dioxyde de car­bone (CO2) et d’autres gaz à effet de serre provo­quent le « rétré­cisse­ment » de la ther­mo­sphère, une couche de l’at­mo­sphère supérieure où gravi­tent actuelle­ment la plu­part des satel­lites. Cette con­trac­tion dimin­ue la den­sité de la ther­mo­sphère, ce qui réduit la traînée atmo­sphérique, une force qui attire les satel­lites et d’autres objets spa­ti­aux hors d’usage vers des alti­tudes où ils peu­vent se dés­in­té­gr­er. William Park­er, chercheur-étu­di­ant diplômé à AeroAs­tro, revient sur les résul­tats de ces recherches.

Quels seront les impacts de la réduction de la traînée atmosphérique dans l’espace ?

William Park­er. Cette réduc­tion de la traînée sig­ni­fie que les débris spa­ti­aux res­teront plus longtemps dans la ther­mo­sphère, pol­lu­ant ain­si cette région impor­tante et aug­men­tant le risque de col­li­sions entre les satel­lites en orbite. Notre analyse mon­tre que si nous con­tin­uons à émet­tre les gaz à effet de serre au rythme actuel, ces émis­sions réduiront le nom­bre de satel­lites que nous pour­rons exploiter en toute sécu­rité dans les années à venir

La haute atmo­sphère ter­restre joue un rôle essen­tiel dans l’élim­i­na­tion des débris spa­ti­aux : pour la plu­part des objets, la traînée atmo­sphérique est le seul mécan­isme naturel d’élim­i­na­tion. Cepen­dant, avec l’aug­men­ta­tion des émis­sions de gaz à effet de serre, la haute atmo­sphère se refroid­it et se con­tracte, s’éloignant de la région où nous dépen­dons d’elle pour net­toy­er les débris.

Nous savons que les gaz à effet de serre provo­quent un réchauf­fe­ment près de la sur­face de la Terre en piégeant la chaleur qui, autrement, s’échap­perait dans la haute atmo­sphère. Cepen­dant, ces gaz facili­tent le ray­on­nement de l’én­ergie vers l’e­space à tra­vers la haute atmo­sphère, ce qui entraîne un refroidisse­ment et une con­trac­tion à long terme à des alti­tudes plus élevées.

Comment modéliser les effets de cette modification du bilan énergétique, et quels en sont les résultats ?

Pour mod­élis­er les effets de cette mod­i­fi­ca­tion du bilan énergé­tique, nous avons util­isé des sim­u­la­tions de l’at­mo­sphère dans son ensem­ble afin d’ex­am­in­er l’in­flu­ence des vari­a­tions de la con­cen­tra­tion de CO₂ à la sur­face sur la struc­ture de la tem­péra­ture et de la den­sité dans la région de l’at­mo­sphère où orbitent les satel­lites (c’est-à-dire jusqu’à 2 000 kilo­mètres de la sur­face de la Terre). Cette région est con­nue sous le nom d’or­bite ter­restre basse. Ces satel­lites sont impor­tants car ils four­nissent des ser­vices essen­tiels pour l’In­ter­net, les com­mu­ni­ca­tions, la nav­i­ga­tion et les prévi­sions météorologiques, pour ne citer que quelques exemples.

Nous avons simulé plusieurs scé­nar­ios d’émis­sions de gaz à effet de serre pour le XXIe siè­cle afin d’é­tudi­er leur impact sur la den­sité atmo­sphérique dans la ther­mo­sphère et la traînée asso­ciée. Pour chaque plage d’alti­tude ou « couche » étudiée, nous avons mod­élisé la dynamique orbitale et le risque de col­li­sion entre satel­lites en fonc­tion du nom­bre d’ob­jets présents dans la couche. Nous avons ensuite util­isé ces don­nées pour déter­min­er la « capac­ité d’ac­cueil » de chaque couche, c’est-à-dire le nom­bre max­i­mal de satel­lites qu’elle peut supporter.

Nous avons analysé plusieurs scé­nar­ios : le pre­mier dans lequel les con­cen­tra­tions de gaz à effet de serre restent au niveau de l’an­née 2000 ; et d’autres dans lesquels les émis­sions aug­mentent selon les scé­nar­ios socio-économiques partagés (SSP) du Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (GIEC) jusqu’à la fin du siè­cle. Nous avons con­staté que ce dernier scé­nario pour­rait réduire con­sid­érable­ment la capac­ité d’ac­cueil. En effet, les sim­u­la­tions prévoient que d’i­ci 2100, la capac­ité des régions situées entre 200 et 1 000 km d’alti­tude pour­rait être réduite de 50 à 66 %. Cette sit­u­a­tion pour­rait même sur­venir avant la fin du siè­cle, d’au­tant plus que cer­taines régions de l’at­mo­sphère sont déjà encom­brées de satel­lites. Les « méga­con­stel­la­tions » telles que Star­link de SpaceX, qui com­prend des flottes de mil­liers de petits satel­lites Inter­net, sont un exem­ple de ce genre de satellites.

Le change­ment cli­ma­tique per­tur­bait déjà le statu quo, et nous assis­tons désor­mais à une aug­men­ta­tion mas­sive du nom­bre de satel­lites lancés ces dernières années. En effet, plus de satel­lites ont été lancés au cours des cinq dernières années qu’au cours des 60 années précé­dentes réu­nies. On dénom­bre aujour­d’hui plus de 10 000 satel­lites en orbite ter­restre basse.

L’orbite terrestre basse est de plus en plus encombrée, n’est-ce pas ? Que faire contre cette tendance ?

Nous savions déjà que la ther­mo­sphère se con­tracte et se dilate naturelle­ment tous les 11 ans, en rai­son du cycle naturel d’ac­tiv­ité du Soleil. Lorsque le Soleil est dans une phase de faible activ­ité, la Terre reçoit moins de ray­on­nement solaire et sa haute atmo­sphère se refroid­it et se con­tracte tem­po­raire­ment. Elle se dilate à nou­veau lorsque l’ac­tiv­ité solaire augmente.

Les chercheurs ont voulu savoir com­ment la ther­mo­sphère réag­it aux gaz à effet de serre en plus de ce cycle solaire naturel. Les pre­mières études sug­géraient que la ther­mo­sphère devrait se con­tracter, réduisant ain­si la den­sité atmo­sphérique à haute alti­tude. Nous avons pu mesur­er les change­ments de traînée sur les satel­lites ces dernières années, et ces mesures mon­trent que la ther­mo­sphère se con­tracte d’une manière qui ne peut s’ex­pli­quer unique­ment par l’ac­tiv­ité solaire.

L’or­bite ter­restre basse est de plus en plus encom­brée et con­testée, ce qui veut dire que les mod­èles atmo­sphériques pré­cis sont essen­tiels pour prévoir l’évo­lu­tion à long terme de ces débris. Ces mod­èles doivent donc pren­dre en compte les change­ments dans la haute atmosphère.

Nos travaux démon­trent que la vari­abil­ité de l’en­vi­ron­nement spa­tial joue un rôle essen­tiel dans la déter­mi­na­tion des points de bas­cule­ment pour une activ­ité durable dans l’orbite ter­restre basse. Ils met­tent égale­ment en avant les avan­tages d’exploiter les alti­tudes plus bass­es, où la traînée atmo­sphérique per­met d’élim­in­er rapi­de­ment tout prob­lème en cas de défail­lance, réduisant ain­si la pol­lu­tion satel­li­taire à long terme. Les con­clu­sions de notre étude soulig­nent l’ur­gence d’une coor­di­na­tion inter­na­tionale en matière de ges­tion du traf­ic spa­tial, sans laque­lle nous risquons de franchir des seuils dan­gereux, ce qui pour­rait men­er à une tragédie des biens communs.

Propos recueillis par Isabelle Dumé

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