Accueil / Chroniques / Starlink : les satellites en orbite basse pourraient ruiner la radioastronomie
Milky Way Galaxy Over Radio Telescopes
π Espace π Science et technologies

Starlink : les satellites en orbite basse pourraient ruiner la radioastronomie

xz_paris
Xiang Zhang
chercheuse CNRS au Laboratoire d'études spatiales et d'instrumentation en astrophysique
Philippe Zarka 2024 OP violet
Philippe Zarka
directeur de recherche au CNRS au Laboratoire d'instrumentation et de recherche en astrophysique
En bref
  • Le nombre croissant de satellites lancés en orbite basse autour de la Terre perturbe fortement les observations astronomiques et les études spatiales.
  • Les signaux émis par les satellites polluent en effet les observations astronomiques dans différentes longueurs d'onde.
  • Des opérateurs de satellites veulent réduire les émissions hors bande de leurs systèmes satellitaires, mais ces efforts n'ont pas encore été mis en œuvre.
  • Pour obtenir le spectre complet des émissions électromagnétiques d’un satellite, il faut construire des infrastructures coûteuses, souvent à la place des entreprises concernées.
  • Les satellites Starlink posent des problèmes comme la pollution radio ou encore la complication de l’étude du ciel radio transitoire.

Le nom­bre crois­sant de satel­lites lancés en orbite basse autour de la Terre per­turbe forte­ment les obser­va­tions astronomiques et, par con­séquent, les études spa­tiales dans leur ensem­ble. C’est le nou­v­el aver­tisse­ment lancé par des chercheurs de l’Ob­ser­va­toire de Paris et de l’Ob­ser­va­toire Radioas­tronomique de Nançay. Sans straté­gies d’at­ténu­a­tion effi­caces, notam­ment grâce à une col­lab­o­ra­tion entre astronomes et opéra­teurs de satel­lites, ils affir­ment que les con­séquences pour la radioas­tronomie pour­raient être désastreuses.

On sait depuis longtemps que les sig­naux émis par les satel­lites pol­lu­ent les obser­va­tions astronomiques dans dif­férentes longueurs d’onde. En astronomie optique, les satel­lites en orbite autour de la Terre réfléchissent la lumière du soleil, créant des traînées lumineuses sur les images pris­es par les téle­scopes. En radioas­tronomie, les satel­lites du sys­tème mon­di­al de nav­i­ga­tion par satel­lite (GNSS) peu­vent con­tribuer aux inter­férences radio, prob­a­ble­ment par le biais d’émis­sions dites « hors bande ».

Qu’avez-vous pu observer à l’occasion de votre étude sur l’impact des satellites en orbite basse sur les observations astronomiques ?

Xing Zhang. Dans notre étude, nous avons remar­qué que les satel­lites Star­link de deux­ième généra­tion de SpaceX émet­tent un ray­on­nement hors bande très intense (avec des den­sités de flux supérieures à 500 Jy) qui illu­mine le ciel noc­turne dans les fréquences radio.  Cela com­mence à nous com­pli­quer les obser­va­tions astronomiques.

En effet, Star­link vise à fournir une cou­ver­ture Inter­net mon­di­ale sans délai entre les com­mu­ni­ca­tions. Cela néces­site des satel­lites en orbite à basse alti­tude – env­i­ron 500 kilo­mètres en général – afin que le temps de tra­jet des sig­naux entre la Terre et un satel­lite soit très court, de l’or­dre de quelques dizaines de mil­lisec­on­des. Le prob­lème des satel­lites à basse alti­tude, cepen­dant, est qu’ils ne voient qu’une petite par­tie de la Terre à la fois. Il faut donc met­tre en orbite de nom­breux satel­lites simul­tané­ment. On estime leur nom­bre à plus de 42 000, ce qui équiv­aut à la super­fi­cie en degrés car­rés de l’ensem­ble du ciel. En moyenne, cela cor­re­spond à un satel­lite par degré car­ré. C’est un chiffre absol­u­ment énorme. Jusqu’à présent, nous avions quelques mil­liers de satel­lites en ser­vice à tout moment. Mais ce nom­bre aug­mente rapi­de­ment, et Star­link n’est pas le seul acteur dans ce domaine : d’autres con­stel­la­tions poten­tielles à grande échelle, telles que OneWeb et le pro­jet Kuiper d’A­ma­zon, devraient égale­ment con­tribuer à l’en­com­bre­ment crois­sant de l’or­bite ter­restre basse.

Cette con­ges­tion pour­rait rapi­de­ment con­duire à ce que l’on appelle le syn­drome de Kessler : il y aura telle­ment de débris en orbite que les lance­ments ultérieurs devien­dront moins sûrs. La Terre devien­dra alors une sorte de prison entourée de débris pol­lu­ant non seule­ment dans la gamme des longueurs d’onde optiques, mais aus­si celle des ondes radio. 

Cela a un impact direct sur notre tra­vail à Nançay, qui con­siste à rechercher des sig­naux provenant d’ex­o­planètes ciblées. Au lieu de cela, nous avons récem­ment observé des objets se déplaçant sur nos images radio. Nous avons com­paré leurs tra­jec­toires à celles d’avions et de satel­lites afin de déter­min­er leur nature. Il s’est avéré qu’il s’agis­sait de satel­lites Starlink. 

Philippe Zar­ka. Nor­male­ment, ces satel­lites com­mu­niquent à des fréquences très élevées, supérieures à 12 giga­hertz, pour envoy­er des don­nées. En principe, seuls les radioas­tronomes tra­vail­lant dans cette bande de fréquences devraient être directe­ment con­cernés. Mais le prob­lème est que les com­posants élec­tron­iques embar­qués à bord de ces satel­lites sem­blent pro­duire leurs pro­pres ray­on­nements, qui se situent en dehors de cette bande.

Les premiers chercheurs à s’intéresser activement à cette bande de fréquences basses ont été ceux qui travaillaient au radiotélescope LOFAR. Leur première publication sur le sujet est parue en 2023, lorsqu’ils ont signalé une brève augmentation du bruit à 150 ou 170 mégahertz lors du passage des satellites Starlink dans leur champ de vision…

XZ.  À Nançay, nous voulions tester si nous pou­vions détecter les satel­lites dans nos images et s’il y avait quelque chose dans la gamme de 10 à 85 méga­hertz. Nous avons fait cela en util­isant les obser­va­tions de Nen­u­FAR, un réseau de radiotéle­scopes à basse fréquence opti­misé pour ces fréquences.

En 2023, nous n’avons rien détec­té. Mais un an plus tard, nous avons com­mencé à voir des sig­naux inhab­ituels sur nos images ; nous avons donc décidé de suiv­re les satel­lites Star­link et de com­par­er les objets en mou­ve­ment sur nos images avec ces sig­naux. Nous avons alors com­pris ce qui se pas­sait : si la pre­mière généra­tion de satel­lites Star­link émet égale­ment dans les ban­des radio, ces trans­mis­sions n’é­taient pas aus­si lumineuses aux fréquences que nous util­isons. Les trans­mis­sions de deux­ième généra­tion, en revanche, étaient beau­coup plus bril­lantes, ce qui expli­quait les sig­naux inhab­ituels et la source des objets en mou­ve­ment sur nos images. 

Il exis­tait deux ver­sions prin­ci­pales des satel­lites Star­link : les pre­miers mod­èles V0.9 à V1.5 et les satel­lites V2 Mini plus récents. C’est en fait depuis le lance­ment mas­sif de la Mini V2 (env­i­ron 40 satel­lites par semaine à par­tir de 2023) que nous avons com­mencé à observ­er une aug­men­ta­tion spec­tac­u­laire des sig­naux lumineux.

SpaceX et d’autres entreprises ne sont pas nécessairement opposées à la recherche de solutions aux problèmes posés par les satellites en orbite basse, n’est-ce pas ?

XZ. En effet, leurs représen­tants ont com­mencé à par­ticiper à des con­férences sur les inter­férences radio, ce qui témoigne d’une ouver­ture au dia­logue avec la com­mu­nauté sci­en­tifique. Cer­taines straté­gies d’at­ténu­a­tion ont été testées, comme la pos­si­bil­ité de ren­dre les satel­lites « invis­i­bles » en dés­ac­ti­vant tem­po­raire­ment cer­tains sys­tèmes embar­qués lors du sur­vol d’ob­ser­va­toires radio. Toute­fois, ces approches ne sont actuelle­ment réal­istes que pour les grandes instal­la­tions dis­posant d’un poids suff­isant pour négoci­er des accords spéciaux.

 Cer­tains opéra­teurs de satel­lites sem­blent vouloir réduire les émis­sions hors bande dans les nou­velles ver­sions de leurs sys­tèmes satel­li­taires. Bien que cela con­stituerait un pas dans la bonne direc­tion, ces efforts n’ont pas encore été con­fir­més ni mis en œuvre dans les flottes actuelles. En atten­dant, des cen­taines de satel­lites con­tin­ueront à fonc­tion­ner en orbite basse jusqu’à leur désor­bi­ta­tion, un proces­sus qui prend générale­ment entre cinq et sept ans. Cela pose néan­moins un prob­lème en soi, car on peut imag­in­er la quan­tité de débris générée lors de leur retombée sur Terre.

Les émis­sions radio de ces satel­lites sont 10 mil­lions de fois plus intens­es que celles émis­es par les objets célestes les plus faibles observ­ables par LOFAR. Elles dépassent les niveaux fixés par l’U­nion inter­na­tionale des télé­com­mu­ni­ca­tions dans la bande de 150,5 à 153 MHz attribuée à la radioas­tronomie, mais comme elles sont offi­cielle­ment classées comme pol­lu­tion élec­tro­mag­né­tique « non inten­tion­nelle », la lég­is­la­tion actuelle ne cou­vre pas cette infraction.

Pourquoi est-ce que la législation actuelle ne couvre pas certaines infractions « non intentionnelles » ?

PZ. Si ces émis­sions se situ­aient dans une bande que Star­link utilise délibéré­ment, alors seule­ment cela poserait un prob­lème juridique. Il existe des con­férences inter­na­tionales régulières qui définis­sent d’un com­mun accord l’u­til­i­sa­tion des dif­férentes fréquences du spec­tre élec­tro­mag­né­tique. Cer­taines ban­des sont réservées à la défense, par exem­ple, tan­dis que d’autres sont util­isées pour les télé­com­mu­ni­ca­tions, la télévi­sion et la radio. Dans les ban­des réservées à la radioas­tronomie, per­son­ne n’est autorisé à émet­tre. Cepen­dant, il s’avère que lorsque cette émis­sion est involon­taire, c’est-à-dire acci­den­telle, vous êtes pro­tégé par la loi. Il s’agit évidem­ment d’une lacune dans la régle­men­ta­tion. On pour­rait dire que c’est comme pour les homi­cides volon­taires ou involon­taires : ces satel­lites « tuent » par inad­ver­tance cer­taines fréquences radio.

XZ. Peut-être que ces émis­sions hors bande n’é­taient tout sim­ple­ment pas prévues lors du développe­ment de ces satel­lites. Il est égale­ment pos­si­ble qu’au­cun test d’émis­sion appro­fon­di n’ait été effec­tué avant le lance­ment. Nous n’en savons rien. 

Y’a‑t-il des difficultés relatives à des tests d’émission approfondi des émissions des satellites ? 

PZ.  Nous sommes d’accord pour dire que les tests ne sont pas une mince affaire. Pour obtenir le spec­tre com­plet des émis­sions élec­tro­mag­né­tiques d’un satel­lite, celui-ci doit être placé dans une cage de Fara­day et l’ensem­ble des fréquences émis­es doit être mesuré. Étant don­né que les satel­lites Star­link sont assez grands (ils mesurent plusieurs mètres de diamètre), il faut une cage de Fara­day très grande, ce qui est évidem­ment coû­teux à con­stru­ire. Lorsque nous et d’autres radioas­tronomes pub­lions nos résul­tats, nous tra­vail­lons en quelque sorte indi­recte­ment pour Star­link et d’autres entre­pris­es de satel­lites, car nous effec­tuons essen­tielle­ment leurs tests à leur place.  Cepen­dant, ces essais prélim­i­naires devraient être oblig­a­toires et inclus dans la régle­men­ta­tion : per­son­ne ne devrait être autorisé à lancer des objets dans l’e­space sans analy­ses préal­ables exhaustives.

En pub­liant nos résul­tats, nous voulons sen­si­bilis­er les astronomes au fait que s’ils con­sta­tent une quel­conque forme de con­t­a­m­i­na­tion dans leurs images radio, ils savent d’où elle provient.

1

La radioas­tronomie pro­gresse rapi­de­ment dans toutes les fréquences et les événe­ments « tran­si­toires » ont fait l’ob­jet d’une intense activ­ité ces derniers temps. Il s’ag­it de tout ce qui n’ap­pa­raît que pen­dant une courte péri­ode, comme les phénomènes cat­a­clysmiques et les explo­sions, les sur­sauts radio rapi­des et les pul­sars, pour n’en citer que quelques-uns.

 On peut faire ici une analo­gie avec l’as­tronomie optique : lorsque vous recherchez des étoiles ou des galax­ies dont les posi­tions sont fix­es dans le ciel et que des traînées lumineuses provenant de satel­lites appa­rais­sent dans l’im­age, cela pose un prob­lème, mais vous pou­vez « com­penser » pour ces traînées. Vous ne pou­vez pas les con­fon­dre avec l’im­age de l’ob­jet observé. En revanche, si vous observez des sig­naux tran­si­toires, c’est-à-dire des sig­naux émis par des objets vari­ables, vous risquez bien sûr de con­fon­dre cer­tains sig­naux satel­lites avec l’ob­jet que vous observez. Il en va de même pour les images de radioastronomie.

Quels sont les problèmes posés par les satellites comme ceux de Starlink ?

PZ. Les satel­lites Star­link émet­tent prob­a­ble­ment en con­tinu leur pol­lu­tion radio, mais comme ils ne tra­versent votre champ de vision que pen­dant quelques sec­on­des, vous observez un événe­ment de très courte durée lorsque vous regardez cer­tains objets. Vous devez donc être extrême­ment vig­i­lant et com­par­er toutes les émis­sions que vous avez détec­tées avec celles des satel­lites afin de les éliminer.

XZ. Au départ, nous pen­sions que nous n’au­ri­ons aucun prob­lème avec les émis­sions polar­isées telles que celles émis­es par les exo­planètes, car les inter­férences sont prin­ci­pale­ment non polar­isées. Cepen­dant, les inter­férences Star­link sont égale­ment polar­isées, ce qui pose un réel prob­lème et com­plique l’é­tude du ciel radio tran­si­toire. Avec Nen­u­FAR, où que vous regardiez dans le ciel, vous avez générale­ment un Star­link qui tra­verse votre fais­ceau radio toutes les 15 min­utes. C’est tout sim­ple­ment l’en­fer et la sit­u­a­tion ne fera qu’empirer à l’avenir si rien n’est fait.

PZ. Pour moi, c’est l’un des prob­lèmes les plus graves posés par Star­link et les autres satel­lites de ce type. Les gens avaient déjà per­du le sens de l’émerveillement devant le ciel et les étoiles à cause de la pol­lu­tion lumineuse dans les villes, mais ils pou­vaient encore se ren­dre à la cam­pagne ou dans un endroit désert pour redé­cou­vrir cette magie. Avec Star­link, il y a des traînées lumineuses partout dans le ciel noc­turne. On pour­rait dire que Star­link vole à l’hu­man­ité le ciel noir. Nous n’avons plus de ciel immac­ulé. Je dirais qu’il s’ag­it là d’un hold-up géant dont l’hu­man­ité tout entière est victime.

Propos recueillis par Isabelle Dumé

Références :

1Crédits : Kirk – stock​.adobe​.com

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter