Mission BepiColombo: en route pour la planète Mercure
- La mission BepiColombo (2018-2028) est la troisième mission à explorer la surface et l’environnement de Mercure.
- BepiColombo vise à mieux connaître Mercure mais également ses interactions avec le Soleil, dont elle est si proche.
- À cause de l’attraction du Soleil, cette mission est un vrai défi de mécanique spatiale : elle utilise donc la technique de l’assistance gravitationnelle.
- Le spectromètre Mass Spectrum Analyser (MSA) à bord du vaisseau permettra de mesurer la composition ionique de Mercure.
- Étudier Mercure permettra, entre autres, de confirmer ou d’infirmer la potentielle présence de glace d’eau située dans ses cratères polaires.
Mercure, l’une des quatre planètes telluriques de notre Système solaire, est la planète la plus petite, la plus proche du Soleil et la seule avec la Terre à disposer d’un champ magnétique. Pourtant, en raison de sa proximité avec le Soleil et de sa vitesse, Mercure est aussi la moins étudiée de toutes les planètes.
Après les deux sondes américaines de la NASA, MARINER 10 (1973–1975) et MESSENGER (2004–2015), la mission BepiColombo est la troisième mission à explorer la surface et l’environnement de Mercure. BepiColombo apportera un nouvel éclairage sur la structure et la dynamique interne de la planète, sur la manière dont son champ magnétique est généré et sur ses interactions avec le Soleil et le vent solaire. Grâce à des études comparatives, la mission améliorera également la connaissance de notre planète, par exemple en ce qui concerne le couplage entre l’environnement terrestre et le milieu interplanétaire.
BepiColombo porte le nom du mathématicien et ingénieur italien Giuseppe (Bepi) Colombo (1920–1984). Il joua un rôle majeur dans le succès de la mission MARINER 10, la première mission vers Mercure, avec ses calculs en mécanique orbitale pour la détermination de la première assistance gravitationnelle effectuée par un engin spatial.
BepiColombo vise également à sonder les caractéristiques et la composition chimique de la surface de Mercure, ainsi que la présence de glace d’eau située dans les cratères polaires, qui sont perpétuellement dans l’ombre. En effet, en raison de l’inclinaison extrêmement faible de l’axe de rotation de la planète, les fonds de cratères météoritiques aux pôles ne reçoivent aucune lumière solaire directe. En fin de compte, les observations de BepiColombo nous aideront à mieux comprendre comment notre système solaire s’est formé et comment les planètes proches de leur étoile mère évoluent.
BepiColombo, la mission des premières fois
BepiColombo est la première mission européenne à destination de Mercure. Elle a été développée par l’Agence Spatiale Européenne (ESA) conjointement avec l’Agence d’exploration aérospatiale japonaise (JAXA). Il s’agit également de la première mission planétaire comportant deux orbiteurs (sans compter les satellites orbitant la Terre) : la sonde planétaire MPO (Mercury Planetary Orbiter) sous la responsabilité de l’ESA, est un satellite stabilisé sur trois axes qui orbitera près de Mercure et étudiera la surface, la composition géologique et l’exosphère (atmosphère fine) de la planète ; la sonde magnétosphérique MMO (Mercury Magnetospheric Orbiter) rebaptisée « Mio » sous la responsabilité de la JAXA, est en rotation et orbitera à une plus grande distance, dans la magnétosphère de Mercure – la région de l’espace autour de la planète qui est dominée par son champ magnétique.
Mio effectuera des mesures in situ du champ magnétique, du champ électrique et des particules (ions et électrons) dans l’environnement herméen, mais aussi dans l’héliosphère interne. Les positions différentes des deux orbiteurs permettront pour la première fois de faire des observations sous deux angles distincts et de suivre à la fois spatialement et temporellement le couplage entre le vent solaire et la magnétosphère de Mercure, les échanges entre la magnétosphère et son exosphère, et les processus de transport.
Arrivée près de Mercure, BepiColombo sera soumis à un environnement radiatif si intense que le satellite subira des températures de plus de 350 °C.
BepiColombo emporte deux autres modules : le module de transfert MTM (Mercury Transfer Module), qui utilise la technologie de propulsion solaire-électrique nécessaire au voyage Terre-Mercure, et le bouclier thermique MOSIF (Mercury Magnetospheric Orbiter’s Sunshield and Interface Structure) installé sur le dessus de la sonde pour protéger Mio du flux thermique et du rayonnement infrarouge pendant la phase de croisière. Arrivée près de Mercure, BepiColombo sera soumis à un environnement radiatif si intense que le satellite subira des températures de plus de 350 °C – une température suffisamment élevée pour faire fondre n’importe quel composant ou instrument de la sonde. Pour se protéger de ces températures, un système de contrôle thermique a été spécialement conçu pour la mission afin que les matériaux puissent résister sans dégradation au rayonnement ultraviolet très intense et au flux de particules chargées du vent solaire.
Un vrai défi de mécanique spatiale
La mission BepiColombo a été lancée en octobre 2018 depuis Kourou en Guyane et sera insérée en orbite autour de Mercure en décembre 2025. « Cette insertion est extrêmement difficile car la planète est proche du Soleil et le vaisseau spatial risque d’être ‘aspiré’ par son attraction gravitationnelle. Le défi n’est donc pas d’y aller mais plutôt de bien viser Mercure. » explique Lina Hadid, chargée de recherche CNRS au sein du Laboratoire de Physique des Plasmas (LPP1). Il faut de fait freiner considérablement le vaisseau spatial dans l’héliosphère interne pour éviter qu’il soit attiré par le Soleil. C’est un vrai défi de mécanique spatiale !
Malgré sa propulsion ionique-électrique innovante et efficace, il est quasiment impossible pour une mission de plusieurs tonnes de se placer en orbite autour de Mercure par le seul freinage. « Pour surmonter ce problème, BepiColombo effectue plusieurs survols d’autres planètes qui lui permettent de modifier sa trajectoire : c’est le principe de l’assistance gravitationnelle et c’est la raison pour laquelle la phase de croisière de BepiColombo est très longue [sept ans, ndlr]) ! » rajoute Lina Hadid. « Pendant cette phase de croisière, la sonde bénéfice ainsi de neuf ‘coups de pouce’ fournis par trois planètes : la Terre (1x), Vénus (2x) et Mercure (6x). Chaque survol permet à BepiColombo de resserrer sa trajectoire, qui finira par se confondre avec celle de Mercure en décembre 2025. »
BepiColombo a survolé Mercure pour la première fois en octobre 2021 et pour la seconde fois en juin 2022, passant à moins de 200 km de sa surface (une altitude jamais atteinte ni par MARINER 10 ni par MESSENGER). Ce faisant, ses caméras ont photographié la surface cratérisée de la planète. Depuis son départ, la sonde a également survolé la Terre une fois en avril 2020, et Vénus à deux reprises, en octobre 2020 et en août 2021.
À la recherche de la composition ionique
« Pendant la longue croisière de BepiColombo, tous les instruments ne sont pas allumés. Nous ne pouvons donc pas effectuer autant de mesures que nous le souhaiterions. », déplore Lina Hadid. « Cependant, parmi ceux qui sont opérationnels pendant les survols, il y a un spectromètre de masse ionique à bord de Mio appelé Mass Spectrum Analyser (MSA), que nous avons développé au LPP et auquel je participe. Ce spectromètre mesurera la composition ionique (particules chargées) autour de Mercure. » Bien que l’instrument FIPS à bord de MESSENGER l’ait déjà fait, il n’a pas été en mesure d’identifier les ions lourds (typiquement, l’oxygène et au-delà) avec une grande précision en masse. De plus, le champ de vision de cet instrument était très limité.
« Le spectromètre MSA nous permettra d’identifier différentes espèces ioniques telles que le magnésium (Mg+, masse atomique M = 24 u), le silicium (Si+, 28 u), l’oxygène moléculaire (O2+, 32 u), le potassium (K+, 39 u) ou le calcium (Ca+, 40 u) avec une résolution en masse inégalée sur une mission spatiale. Un autre instrument auquel le LPP a participé à bord de Mio est le fluxmètre magnétique à double bande (DBSC) dédié à la mesure des champs magnétiques à haute fréquence (100 mHz-640 kHz). »
Les premiers survols de Vénus et de Mercure nous ont permis de corriger certains problèmes liés au logiciel de bord.
La phase de croisière est également un moment important pour vérifier que tous les instruments à bord des deux orbiteurs fonctionnent correctement. « Il est très important pour nous de bien étalonner les instruments dans l’espace pour nous assurer qu’ils fonctionnent comme prévu ! Par exemple, pour MSA, les premiers survols de Vénus et de Mercure nous ont permis de corriger certains problèmes liés au logiciel de bord, et nous étions donc impatients de voir les mesures lors du deuxième survol de Mercure en juin 2022 ! Et de fait, lors de ce deuxième survol, MSA a révélé la présence de protons et d’hélium (He+) planétaires énergétiques. Nous avons également observé des ions lourds, mais avec une densité plus faible que celle détectée précédemment par MESSENGER. Nous analysons actuellement ces données pour mieux comprendre la source de ces ions. En même temps, nous attendons avec impatience le prochain survol de Mercure en juin 2023 ! »
Soulignons enfin que BepiColombo pourrait même être en mesure de confirmer – ou d’infirmer – la présence d’eau glacée sur Mercure, un sujet intensément débattu depuis de nombreuses années. Dans les années 1990, les chercheurs ont découvert, grâce au radiotélescope Arecibo, qu’il existe des régions au nord de la planète, à des latitudes élevées, qui présentent une réflectivité lumineuse anormalement élevée. À l’aide de ses caméras embarquées, la mission MESSENGER a observé que ces zones coïncidaient avec la présence de cratères d’impact à la surface de Mercure. L’axe de rotation de la planète n’étant pratiquement pas incliné (contrairement à celui de la Terre), ces cratères sont perpétuellement dans l’ombre.
« La réflectivité élevée pourrait ainsi résulter de la présence d’eau glacée au fond de ces cratères – une conclusion surprenante puisque Mercure est si proche du Soleil et si chaude ! » explique Lina Hadid. « Si ce résultat est confirmé, les rayons du Soleil n’auraient jamais atteint cette glace d’eau, qui s’est formée il y a des milliards d’années et qui n’aurait donc jamais fondu ! »
Propos recueillis par Isabelle Dumé
Dates clés de la mission
- 20 octobre 2018 (01:45:28 UT) : Lancement depuis le centre spatial guyanais
- 13 avril 2020 : Survol de la Terre
- 16 oct. 2020 : Survol de Vénus
- 11 août 2020 : Survol de Vénus
- 1er octobre 2021 : Premier survol de Mercure
- 23 juin 2022 : Survol de Mercure
- 20 juin 2023 : Survol de Mercure
- 5 septembre 2024 : Survol de Mercure
- 2 décembre 2024 : Survol de Mercure
- 9 janvier 2025 : Survol de Mercure
- 5 déc. 2025 : Insertion en orbite autour de Mercure
- 1er mai 2027 : Fin de la phase nominale de la mission
- 1er mai 2028 : Fin de l’extension de la mission
Références