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π Science et technologies
Lasers : les applications prometteuses de la recherche

Détecter la vie sur d’autres planètes avec des lasers

Ricardo Arévalo, professeur associé à l'Université du Maryland
Le 31 mai 2023 |
5 min. de lecture
AREVALO_Ricardo
Ricardo Arévalo
professeur associé à l'Université du Maryland
En bref
  • Un prototype d’instrument miniaturisé pourrait identifier des molécules organiques susceptibles d’indiquer une présence de vie extra-terrestre.
  • Cet instrument combine l’analyseur Orbitrap, spectromètre inventé dans les années 90, avec la spectrométrie de masse par désorption laser (LDMS).
  • Il peut ainsi détecter des molécules plus grandes, là où les composés organiques plus petits ne sont pas toujours des signes de formes de vie.
  • L'instrument minimise sa masse, son volume et sa consommation d’énergie : il pèse moins de 8 kg pour seulement quelques centimètres.
  • Précurseur pour d’autres instruments futurs, il permettra d’améliorer considérablement les prochaines missions d’astrobiologie et de géochimie.

Ricar­do Aré­va­lo et ses col­lègues ont mis au point un pro­to­type d’instrument minia­tur­isé qui pour­rait détecter et iden­ti­fi­er des molécules organiques com­plex­es sus­cep­ti­bles d’indiquer la présence de vie sur d’autres planètes et lunes de notre Sys­tème solaire. Leur instru­ment « Orbi­trap-spec­trométrie de masse par désorp­tion laser » n’a qu’une frac­tion de la taille et du poids de ses prédécesseurs, et pour­rait être util­isé lors de futures mis­sions d’ex­plo­ration spa­tiale telles que le pro­gramme Artemis de la NASA et l’Ence­ladus Orbi­lan­der.

La recherche de la vie ailleurs dans notre Sys­tème solaire est un sujet fon­da­men­tal d’étude. Plusieurs mis­sions sont prévues pour les décen­nies à venir : par exem­ple pour explor­er des corps plané­taires tels qu’Ence­lade (une lune de Sat­urne), et Europa (un satel­lite de Jupiter). Ces lunes pos­sè­dent d’im­por­tants réser­voirs d’eau souter­rains qui pour­raient poten­tielle­ment abrit­er des formes de vie. Pour les mis­sions ciblant ces corps plané­taires, il ne sera pas seule­ment impor­tant de pou­voir détecter des molécules organiques sim­ples, mais aus­si de recon­naître une var­iété de bio­mar­queurs, tels que des pro­téines et des biostruc­tures com­plex­es. Ceux-ci peu­vent être pro­duits par dif­férents types de micro-organismes.

Combiner le laser et le spectromètre

Les spec­tromètres de masse minia­tur­isés des­tinés à l’ex­plo­ration plané­taire ne datent pas d’hier et remon­tent aux années 1970, avec la mis­sion Apol­lo 15. Dans le con­texte de la détec­tion de la vie et de l’as­tro­bi­olo­gie, ces instru­ments ont été util­isés pour détecter et iden­ti­fi­er des sub­stances organiques volatiles provenant de sous la sur­face de Mars, dans les panach­es d’Ence­lade et dans l’at­mo­sphère de Titan. Toute­fois, à ce jour, aucun spec­tromètre de masse déployé n’a encore analysé les molécules organiques com­plex­es non volatiles telles que les pep­tides et les protéines.

Les molécules plus grandes et plus com­plex­es sont sus­cep­ti­bles d’avoir été créées par des sys­tèmes vivants.

La spec­trométrie de masse par désorp­tion laser (LDMS) pour­rait trou­ver toute sa place ici. Cette tech­nique utilise un fais­ceau laser ultra­vi­o­let focal­isé pour désor­ber et ionis­er les molécules organiques, et per­met la déter­mi­na­tion de leur com­po­si­tion chim­ique sur la base de leur rap­port masse/charge. L’a­van­tage de cette tech­nique ? La lumière laser peut être focal­isée sur un petit point de la sur­face de l’échan­til­lon, ce qui per­met de car­ac­téris­er avec pré­ci­sion les grains, les par­tic­ules de pous­sière et d’autres struc­tures à l’échelle du micron, et des « cartes chim­iques » peu­vent être recueil­lies en bal­ayant le fais­ceau laser à tra­vers la sur­face de l’échan­til­lon. La LDMS min­imise égale­ment le con­tact entre l’in­stru­ment et l’échan­til­lon, réduisant ain­si le risque de con­t­a­m­i­na­tion de l’échan­til­lon – un prob­lème non-nég­lige­able en astrobiologie.

Le nou­v­el instru­ment de Ricar­do Aré­va­lo et de ses col­lègues com­bine la LDMS avec un analy­seur Orbi­trap, un spec­tromètre de masse inven­té dans les années 1990 par un mem­bre de l’équipe, Alexan­der Makarov (qui tra­vaille aujour­d’hui chez Ther­mo Fish­er Sci­en­tif­ic en Alle­magne). Pen­dant le fonc­tion­nement de l’instrument, les ions désor­bés de l’échantillon sont dirigés vers cet analy­seur, qui les piège ensuite dans des orbites autour d’une élec­trode. Les mou­ve­ments des ions peu­vent être suiv­is et ces infor­ma­tions analysées pour déter­min­er la masse des ions. Ces don­nées de masse peu­vent ensuite être util­isées pour iden­ti­fi­er les for­mules molécu­laires des com­posants organiques de l’échantillon.

Détecter des molécules organiques plus complexes 

« Notre instru­ment intè­gre un sys­tème de laser UV pul­sé qui ‘zappe’ effi­cace­ment les matéri­aux et un analy­seur qui sépare les espèces chim­iques provenant de l’échan­til­lon en fonc­tion de leurs mass­es respec­tives. », explique Ricar­do Aré­va­lo. Ensem­ble, ces deux sous-sys­tèmes per­me­t­tent la détec­tion et, plus impor­tant encore, l’i­den­ti­fi­ca­tion sans ambiguïté de molécules organiques plus grandes et plus com­plex­es, qui sont plus sus­cep­ti­bles d’être d’origine biologique. « Il est impor­tant de pou­voir détecter des molécules plus grandes, explique-t-il, car les com­posés organiques plus petits comme les acides aminés, par exem­ple, sont des sig­na­tures plus équiv­o­ques de formes de vie. »

« Les acides aminés peu­vent être pro­duits de manière abi­o­tique, ce qui sig­ni­fie qu’ils ne sont pas néces­saire­ment une preuve de vie. », détaille Ricar­do Aré­va­lo. « Les météorites, dont beau­coup sont rem­plies de ces molécules, peu­vent s’écras­er sur la sur­face d’une planète ou d’une lune et y apporter des sub­stances organiques avec elles. Nous savons main­tenant que les molécules plus grandes et plus com­plex­es, comme les pro­téines, sont plus sus­cep­ti­bles d’avoir été créées par des sys­tèmes vivants ou d’y être asso­ciées. »

Le nou­v­el instru­ment com­bine la LDMS et l’Or­bi­trap, deux tech­nolo­gies bien établies, de manière à min­imiser la masse, le vol­ume et la con­som­ma­tion d’én­ergie. En effet, l’in­stru­ment pèse moins de 8 kg (con­tre env­i­ron 180 kg pour les équiv­a­lents en lab­o­ra­toire) et ne mesure que quelques cen­timètres. Il pos­sède cepen­dant la même capac­ité de réso­lu­tion de masse ultra-élevée que les sys­tèmes com­mer­ci­aux plus grands et peut détecter les biosig­na­tures de molécules à des con­cen­tra­tions que l’on peut atten­dre dans le sous-sol d’Eu­ropa et d’Encelade.

Pour une amélioration de l’astrobiologie

Ricar­do Aré­va­lo espère envoy­er l’ap­pareil dans l’e­space au cours des prochaines années et le déploy­er sur une cible plané­taire. Il con­sid­ère le pro­to­type comme un « précurseur » pour d’autres instru­ments futurs basés sur la LDMS et l’Or­bi­trap et pense qu’il a le poten­tiel d’amélior­er de manière sig­ni­fica­tive la façon dont la géochimie ou l’as­tro­bi­olo­gie d’une sur­face plané­taire est étudiée.

« Notre instru­ment per­met d’ac­céder à un large éven­tail de sig­na­tures physiques et chim­iques reflé­tant la vie, notam­ment des strat­i­fi­ca­tions représen­tant des com­mu­nautés micro­bi­ennes fos­sil­isées ; des minéraux pro­duits par des com­posés biologiques ; des com­posés organiques tels que des pro­téines, des nucléotides [com­posants de l’ADN] et des lipi­des [con­sti­tu­ants des mem­branes cel­lu­laires].

Notre instru­ment per­met d’accéder à un large éven­tail de sig­na­tures physiques et chim­iques reflé­tant la vie. 

« La réal­i­sa­tion de cet analy­seur de masse à laser témoigne de la matu­rité de l’in­stru­ment et mon­tre que la tech­nolo­gie est prête à explor­er les envi­ron­nements plané­taires extrater­restres. Il est suff­isam­ment petit, peu gour­mand en énergie et robuste pour être déployé dans des envi­ron­nements tels que ceux d’Ence­lade et d’Eu­ropa et y rechercher des signes de vie extrater­restre. Son développe­ment a néces­sité des années de col­lab­o­ra­tion inter­na­tionale avec nos parte­naires du Lab­o­ra­toire de Physique et Chimie de l’En­vi­ron­nement et de l’E­space à Orléans, en France, et Ther­mo Fish­er Sci­en­tif­ic en Alle­magne, et je suis par­ti­c­ulière­ment fier du nom­bre de chercheurs en début de car­rière qui ont con­tribué à cette étude de manière aus­si cen­trale. »

La prochaine étape pour son équipe est de com­pren­dre com­ment le nou­v­el instru­ment peut com­pléter les capac­ités d’autres instru­ments de pointe, tels que ceux qui fonc­tion­nent actuelle­ment à la sur­face de Mars. « Cela nous aidera à con­cevoir la suite de charges utiles la plus com­plète et la plus con­va­in­cante pour les futures mis­sions d’as­tro­bi­olo­gie. » atteste Ricar­do Arévalo.

Isabelle Dumé

Références:

https://www.nature.com/articles/s41550-022–01866‑x

https://​www​.liebert​pub​.com/​d​o​i​/​1​0​.​1​0​8​9​/​a​s​t​.​2​0​2​2​.0138

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