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Lasers : les applications prometteuses de la recherche

Soigner les tumeurs en profondeur grâce à l’accélération laser-plasma

Isabelle Dumé, journaliste scientifique
Le 29 juin 2022 |
6 min. de lecture
Alessandro Flacco
Alessandro Flacco
professeur associé à l'ENSTA Paris (IP Paris)
En bref
  • Les accélérateurs laser-plasma propulsent des particules à haute énergie sur de courtes distances en utilisant des impulsions intenses et ultracourtes de lumière laser.
  • Les rayonnements ionisants sont utilisés en médecine pour de multiples raisons : de l’imagerie au diagnostic et au traitement des cancers.
  • Dans une radiothérapie on utilise la toxicité des rayonnements ionisants sur le vivant, profitant de la différente capacité de réparation des dommages causés aux cellules tumorales et ceux causés aux cellules saines environnantes.
  • Des études ont également débuté sur les VHEE (« very high energy electrons », en anglais) permettant, théoriquement, un traitement plus complet et plus profond des tumeurs.

Les accéléra­teurs laser-plas­ma (LPA) propulsent des par­tic­ules à haute énergie sur de cour­tes dis­tances en util­isant des impul­sions intens­es et ultra­cour­tes de lumière laser. Ces accéléra­teurs peu­vent fournir des fais­ceaux de par­tic­ules de haute qual­ité (d’élec­trons, de pro­tons et de pho­tons de rayons X) pour des études radio-biologiques qui aideront les sci­en­tifiques à mieux com­pren­dre com­ment les ray­on­nements endom­ma­gent l’ADN et, à terme, à opti­miser les traite­ments anti­cancéreux avec des ray­on­nements ionisants.

Des études récentes ont mon­tré que l’ef­fet biologique d’un ray­on­nement dépend non seule­ment de la dose totale déposée, mais aus­si de la durée pen­dant laque­lle il est déposé et de son débit. Au LOA ((Lab­o­ra­toire d’Op­tique Appliquée), nous étu­dions l’ef­fet des débits de dose ultra-élevés afin de dévelop­per des pro­to­coles d’ir­ra­di­a­tion capa­bles d’aug­menter la réponse dif­féren­tielle entre les cel­lules saines et cancéreuses.

Les lasers que nous util­isons pro­duisent des impul­sions très cour­tes, de l’or­dre de la picosec­onde (10-12 s) ou de la fem­tosec­onde (10-15 s), et sont très intens­es – à tel point que lorsqu’une impul­sion laser frappe le matéri­au cible, elle l’ionise immé­di­ate­ment, le trans­for­mant en un plas­ma, un état de la matière dans lequel les élec­trons et les ions for­ment un mélange dom­iné par leur mou­ve­ment col­lec­tif. Ain­si détachés de leurs noy­aux, les élec­trons réagis­sent au champ laser à tra­vers le plasma.

Dans le cas d’un plas­ma très dense, ou le laser ne parvient pas à se propager, les élec­trons s’échappant de la cible con­duisent à son explo­sion, ain­si générant l’accélération de ses ions. Des ions dans la gamme d’énergie des mégaélec­tron­volts (MeV) sont pro­duits sur des longueurs aus­si cour­tes que des millimètres.

Dans le cas d’un plas­ma peu dense, la prop­a­ga­tion de l’impulsion laser pro­duit der­rière elle une onde de sil­lage qui se propage à la vitesse de la lumière. Les élec­trons qui sont piégés dans cette onde sont accélérés – tel un sur­feur sur une vague – et gag­nent ain­si en énergie. Des gra­di­ents de champ élec­trique aus­si élevés (100 GeVm-1) que ceux pro­duits par cette stratégie ne sont pas pos­si­bles avec les struc­tures con­ven­tion­nelles (des cav­ités radiofréquence), qui peu­vent attein­dre seule­ment env­i­ron 0.1 GeVm-1.

Les ray­on­nements ion­isants sont util­isés en médecine pour de mul­ti­ples raisons – de l’im­agerie au diag­nos­tic et au traite­ment des can­cers. Il existe toute une série de thérapies pos­si­bles basées sur l’ef­fet nocif de ces ray­on­nements sur les organ­ismes vivants. Les fais­ceaux d’élec­trons endom­ma­gent les cel­lules can­céreuses de manière très sim­i­laire aux pho­tons à haute énergie, qui con­stituent la modal­ité de radio­thérapie la plus courante en pra­tique clin­ique. En effet, les élec­trons de haute énergie con­ver­tis­sent une grande par­tie de leur énergie ciné­tique en pho­tons de rayons X par « bremsstrahlung », ce qui déclenche une cas­cade d’élec­trons, de positrons et de pho­tons, et ionise égale­ment la matière par col­li­sions inélas­tiques. Ce sont ces dernières qui finis­sent par endom­mager les cel­lules can­céreuses, soit en ion­isant directe­ment l’ADN, soit en créant indi­recte­ment des rad­i­caux qui l’endommagent.

Différences de radiorésistance entre les cellules saines et les cellules cancéreuses

Dans tout type de thérapie, il existe un dif­féren­tiel entre l’ef­fet désiré et l’ef­fet sec­ondaire involon­taire. En radio­thérapie on utilise la tox­i­c­ité des ray­on­nements ion­isants sur le vivant. Fon­da­men­tale­ment, les cel­lules saines ont une radioré­sis­tance légère­ment supérieure à celle des cel­lules can­céreuses. Cette dif­férence per­met de met­tre au point des pro­to­coles de dépôt de dose de ray­on­nements ion­isants dans lesquels l’ef­fet nocif sur les cel­lules saines est moin­dre que l’ef­fet destruc­teur sur les cel­lules tumorales.

Pour les par­tic­ules accélérées par laser, il y a deux aspects. Le pre­mier est lié à la qual­ité des par­tic­ules util­isées. Actuelle­ment, les par­tic­ules les plus couram­ment employées en radio-médecine sont les pho­tons et les pro­tons, mais cha­cun a des car­ac­téris­tiques très dif­férentes de dépôt de dose dans les tis­sus biologiques. Les pho­tons déposent leur énergie selon une courbe expo­nen­tielle décrois­sante, de sorte qu’il y a une dose max­i­male déposée à la sur­face des tis­sus et une min­i­male en pro­fondeur. Les pro­to­coles d’ir­ra­di­a­tion des tumeurs pro­fondes doivent donc être conçus de manière à ne pas dépass­er cer­taines dos­es à l’en­trée et à attein­dre une dose thérapeu­tique en pro­fondeur, ce qui n’est pas facile.

Les pro­tons, en revanche, présen­tent un type de dynamique dif­férent dans lequel la dose max­i­male est effec­tive­ment déposée en pro­fondeur dans les tis­sus et non en sur­face. C’est très intéres­sant du point de vue de la physique médi­cale, même si cela intro­duit cer­taines com­plex­ités comme le con­trôle de la dose effec­tive­ment déposée, qui peut très vite devenir létale pour les cel­lules saines.

Les pho­tons sont large­ment util­isés en radio­thérapie, car ils sont faciles à pro­duire, alors que les pro­tons com­men­cent à peine à l’être, car ils néces­si­tent des machines beau­coup plus grandes. Par exem­ple, un appareil de radio­thérapie par pho­tons requiert une pièce d’en­v­i­ron 20 m2, alors que la pro­ton­thérapie, qui néces­site un cyclotron, doit être instal­lée dans un bâti­ment de plusieurs cen­taines de mètres carrés.

Les élec­trons, en revanche, ont été peu util­isés par le passé pour plusieurs raisons. D’abord, ils ont une courbe de dépôt de dose plutôt plate. Ils étaient égale­ment plus dif­fi­ciles à accélér­er que les photons.

L’effet flash

Cette sit­u­a­tion a changé avec la décou­verte de l’ef­fet flash, un phénomène observé dès les années 1970 et redé­cou­vert à Orsay dans les années 2000. Les chercheurs y ont con­staté qu’une même dose thérapeu­tique de ray­on­nements ion­isants a un effet dif­férent selon l’échelle de temps dans laque­lle elle est délivrée.

Les chercheurs ont con­staté qu’une même dose thérapeu­tique de ray­on­nements ion­isants a un effet dif­férent selon l’échelle de temps dans laque­lle elle est délivrée.

Tout le domaine de la radio­thérapie repose sur le pos­tu­lat qu’à dose égale, on a une réponse égale. C’est la même chose que pour un médica­ment, comme une dose de paracé­ta­mol, par exem­ple : la dose déter­mine l’ef­fet biologique. Ce que nous avons décou­vert : si vous admin­istrez la même dose sur une péri­ode de temps extrême­ment courte, l’ef­fet thérapeu­tique change. Les tis­sus sains sem­blent être beau­coup plus résis­tants à la même dose si elle est appliquée sur une très courte péri­ode, alors que la sen­si­bil­ité des tis­sus tumoraux reste inchangée. Cela sig­ni­fie que si l’on applique cette dose thérapeu­tique sur 50 ms plutôt que sur 10 min­utes, rien ne change pour les cel­lules tumorales, mais les dom­mages aux tis­sus sains sont con­sid­érable­ment réduits.

L’effet per­met ain­si un traite­ment beau­coup plus effi­cace et efficient.

Les pre­mières expéri­ences sur l’ef­fet flash (entre 2016 et 2020) ont été menées avec des élec­trons de basse énergie (low ener­gy elec­trons, LEE), tout sim­ple­ment parce qu’il s’agissait des élec­trons les plus disponibles. Ces élec­trons, dont l’én­ergie est inférieure à 5 MeV, peu­vent pénétr­er à une pro­fondeur de quelques mil­limètres seule­ment dans les tis­sus, et ne peu­vent donc pas être util­isés pour traiter des tumeurs profondes.

Électrons de très haute énergie et fractionnement rapide

Nous nous sommes main­tenant intéressés aux élec­trons de très haute énergie (very high ener­gy elec­trons, VHEE), c’est-à-dire aux élec­trons dont l’én­ergie est supérieure à 150 MeV, qui ont été peu étudiés par le passé. Les fais­ceaux de ces élec­trons pénètrent pro­fondé­ment dans les tis­sus, ce qui per­met de traiter des tumeurs que l’ir­ra­di­a­tion par pho­tons ne peut attein­dre. Cepen­dant, un sys­tème de traite­ment VHEE basé sur un linac, par exem­ple, devrait être suff­isam­ment com­pact pour tenir dans une salle de traite­ment d’hôpital pour être com­péti­tif par rap­port aux photons.

Les VHEE seront prob­a­ble­ment plus coû­teux à pro­duire que les pho­tons, mais moins chers que les pro­tons. Les courbes pro­fondeur-dose mon­trent qu’en plus de délivr­er la dose en pro­fondeur, les VHEE devraient égale­ment être plus résilientes aux inho­mogénéités tis­su­laires inat­ten­dues que les rayons X.

Les VHEE peu­vent égale­ment per­me­t­tre un ciblage pré­cis des tumeurs pro­fondes en con­cen­trant la dose dans un petit vol­ume. Cette dose peut être con­trôlée, ce qui peut con­stituer un avan­tage pour le traite­ment des tumeurs résis­tantes aux radi­a­tions. La pos­si­bil­ité de dépos­er la dose dans un petit point peut égale­ment prof­iter à la thérapie d’ul­tra-pré­ci­sion, lorsqu’il est néces­saire d’ir­radier de très petites zones de tis­su. En out­re, la très faible dose d’en­trée et les faibles dos­es dis­tales et prox­i­males des fais­ceaux focal­isés VHEE peu­vent con­tribuer à min­imiser les dom­mages causés aux tis­sus sains et aux organes sensibles.

L’u­til­i­sa­tion clin­ique de ce type de thérapie est encore loin et il reste beau­coup à faire pour dévelop­per la tech­nolo­gie du laser et de l’ac­céléra­teur afin de la ren­dre adap­tée à des appli­ca­tions réelles.

Nous avons appelé cette modal­ité d’ir­ra­di­a­tion « frac­tion­nement rapi­de » et avons com­mencé à étudi­er ses effets biologiques. Les résul­tats prélim­i­naires mon­trent que la cadence des impul­sions laser a un effet sur la tox­i­c­ité des ray­on­nements ion­isants, c’est-à-dire que ce n’est pas seule­ment la durée du flash, mais aus­si la dose totale d’une seule impul­sion qui a un effet sur la tox­i­c­ité. À ce jour, nous n’avons aucune expli­ca­tion sur les mécan­ismes qui sous-ten­dent l’ef­fet flash, mais nous ne faisons que com­mencer nos études. Une chose est sûre, il est très promet­teur pour le développe­ment d’une radio­thérapie extrême­ment efficace.

Références :

https://​loa​.ens​ta​-paris​.fr/​f​r​/​a​c​c​ueil/

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