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π Science et technologies
Lasers : les applications prometteuses de la recherche

Comment utiliser les rayons X pour tester les matériaux sans les abîmer ?

Isabelle Dumé, journaliste scientifique
Le 29 juin 2022 |
4 min. de lecture
Cédric Thaury
Cédric Thaury
chargé de recherche au LOA* à l’ENSTA Paris (IP Paris)
En bref
  • Le Laboratoire d’Optique Appliquée et sa société spin-off, SourceLab, développent un dispositif permettant d’utiliser des plasmas générés par laser pour le contrôle non-destructif des matériaux par rayons X.
  • Les « accélérateurs plasma à effet de sillage » sont apparus comme une alternative prometteuse. Ces dispositifs utilisent une impulsion d’énergie pour créer une onde de champ électrique dans un plasma.
  • L’un des premiers terrains d’application de ces accélérateurs plasma serait la radiographie. La précision de ces lasers est telle qu’elle permet de sonder un objet à la centaine de microns près.
  • Le défi est d’autant plus important qu’il s’agit de traverser des matériaux et non pas des corps humains. Il faut donc plus de puissance pour obtenir une précision incroyable.

Les plas­mas générés par laser peu­vent être util­isés pour accélér­er des par­tic­ules qui peu­vent ensuite être exploitées pour créer des impul­sions cour­tes et lumineuses de rayons X et de rayons gam­ma. Le Lab­o­ra­toire d’Optique Appliquée (LOA) et sa société spin-off Source­Lab dévelop­pent un dis­posi­tif per­me­t­tant d’utiliser ces sources pour le con­trôle non-destruc­tif des matéri­aux par rayons X. Cette inno­va­tion tech­nologique de pointe pour­rait per­me­t­tre aux chercheurs de détecter et de dimen­sion­ner les défauts des objets avec une réso­lu­tion de quelques dizaines de microns, ce qui est encore inac­ces­si­ble avec les sys­tèmes conventionnels.

Une technique de plus en plus accessible

Les accéléra­teurs de par­tic­ules nous ont per­mis de faire les décou­vertes les plus impor­tantes en physique, mais ils font col­li­sion­ner des par­tic­ules à des éner­gies tou­jours plus élevées, pous­sant les tech­nolo­gies exis­tantes à leurs lim­ites. En effet, les instal­la­tions d’accélération, telles que le grand col­li­sion­neur de hadrons du CERN, devi­en­nent de plus en plus grandes et inac­ces­si­bles pour bon nom­bre de chercheurs.

Ces dernières années, les « accéléra­teurs plas­ma à effet de sil­lage » sont apparus comme une alter­na­tive promet­teuse. Ces dis­posi­tifs utilisent une impul­sion d’énergie pour créer une onde de champ élec­trique dans un plas­ma (un gaz trans­for­mé en un nuage d’électrons et d’ions). C’est un peu comme un bateau qui laisse un sil­lage lorsqu’il tra­verse l’eau. Si un groupe de par­tic­ules est cor­recte­ment syn­chro­nisé, il peut « surfer » sur cette onde et être accéléré beau­coup plus rapi­de­ment que dans un accéléra­teur tra­di­tion­nel. Il n’est toute­fois pas facile de créer cette impul­sion d’énergie.

L’un des moyens d’y par­venir con­siste à envoy­er des impul­sions laser extrême­ment cour­tes et intens­es dans un gaz. Le front de l’impulsion, qui ne dure que quelques fem­tosec­on­des (10-15 s), ionise immé­di­ate­ment les atom­es du gaz et il est si intense qu’il repousse les élec­trons hors de sa tra­jec­toire, for­mant ain­si une cav­ité vide d’électrons dans son sil­lage. Cer­tains élec­trons se trou­vant dans le sil­lage de l’impulsion sont accélérés par la vague de plas­ma chargé pos­i­tive­ment qui les précède, tout comme un sur­feur sur la vague der­rière la poupe d’un bateau. Les élec­trons peu­vent « surfer » sur ce sil­lage et être ain­si accélérés à des vitesses proches de celle de la lumière.

Quelles sont ces applications ?

Nous étu­dions ce phénomène au LOA. Il per­met aux accéléra­teurs laser-plas­ma d’atteindre des forces d’accélération jusqu’à mille fois supérieures à celles que per­me­t­tent les machines les plus puis­santes actuelles. Notre lab­o­ra­toire est un pio­nnier dans ce domaine sur lequel nous tra­vail­lons depuis le milieu des années 2000. Nous, avec d’autres équipes dans le monde, avons fait évoluer la tech­nolo­gie au point de créer en 2022 le Cen­tre d’accélération laser-plas­ma Laplace pour mieux com­pren­dre les mécan­ismes en jeu et dévelop­per des applications.

La pre­mière est la radi­ogra­phie, notam­ment dans le domaine du con­trôle non-destruc­tif, un ensem­ble de tech­niques per­me­t­tant de véri­fi­er les com­posants et d’identifier les défauts d’un matéri­au sans le détru­ire. La taille des paque­ts de par­tic­ules four­nis par les sources laser-plas­ma étant de l’ordre de la dizaine de microns, il est pos­si­ble de son­der à haute réso­lu­tion des com­posants, par exem­ple ceux impor­tants pour l’industrie nucléaire et aéro­nau­tique. Les pre­miers résul­tats en lab­o­ra­toire indiquent qu’il serait pos­si­ble de sur­veiller l’apparition de fis­sures de 100 microns seule­ment dans des pièces telles que les trains d’atterrissage. C’est dix fois plus petit que les lim­ites de détec­tion des équipements actuels.

Il s’agit donc d’un moyen sim­ple de voir s’il y a une fis­sure dans un morceau d’acier, par exem­ple, sans avoir à le couper, ce qui impli­querait de rem­plac­er une pièce poten­tielle­ment très coûteuse.

Ce qui nous intéresse ici, c’est la con­ver­sion des fais­ceaux d’électrons en un fais­ceau de rayons X très énergé­tique — en util­isant la tech­nique con­nue sous le nom de ray­on­nement de freinage. En pra­tique, nous envoyons le fais­ceau d’électrons dans une feuille d’épaisseur mil­limétrique d’un matéri­au assez dense, comme le titane. Les élec­trons sont ralen­tis, ou freinés, et l’énergie per­due par leur ralen­tisse­ment est con­ver­tie en rayons X dont l’énergie max­i­male cor­re­spond à l’énergie des élec­trons ini­ti­aux avec un spec­tre très large. Il s’agit d’une méth­ode assez sim­ple et rel­a­tive­ment effi­cace pour pro­duire des rayons X à par­tir d’un fais­ceau d’électrons.

La radiologie des matériaux

La taille des défauts que nous pou­vons détecter et sur­veiller est large­ment déter­minée par la taille de notre source d’accélération. L’accélération laser-plas­ma est une bonne solu­tion à cet égard puisque nous par­tons d’une source de très petite taille. Cela sig­ni­fie que la taille du fais­ceau de rayons X sera égale­ment petite. En fait, elle est un peu plus grande que celle du fais­ceau d’électrons, car ce dernier présente une grande diver­gence spa­tiale. Comme le fais­ceau diverge, le diamètre du fais­ceau d’électrons sur le con­ver­tis­seur est supérieur à sa taille à la sor­tie du plas­ma. Typ­ique­ment, si vous avez une taille de source micrométrique, vous vous retrou­vez avec une taille de l’ordre de quelques dizaines de micromètres pour le fais­ceau, typ­ique­ment 30 à 100 microns, ce qui reste un bon ordre de grandeur.

Nous sommes un peu comme des radi­o­logues médi­caux, mais nos « patients » sont les matéri­aux. Lorsque nous faisons pass­er les rayons X à tra­vers un matéri­au, ils seront moins absorbés dans la région d’un défaut. Nous pou­vons imager ce défaut exacte­ment de la même manière qu’un radi­o­logue le fait pour les frac­tures osseuses. Nos rayons X ne tra­ver­sant pas le corps humain, mais des morceaux de béton ou d’acier, sig­ni­fie que nous avons besoin de rayons beau­coup plus énergé­tiques que ceux util­isés par les radiologues.

Références :

  • V. Mal­ka, C. Thau­ry, S. Corde, K. Ta Phuoc and A. Rousse ; Accéléra­teurs à plas­ma laser : principes et appli­ca­tions, Reflets de la physique 33, 23–26 (2013)

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