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π Science et technologies
Lasers : les applications prometteuses de la recherche

Paratonnerres et antennes : applications de la filamentation laser

Isabelle Dumé, journaliste scientifique
Le 29 juin 2022 |
4 min. de lecture
Aurélien Houard
Aurélien Houard
chercheur au LOA* à l’ENSTA Paris (IP Paris)
En bref
  • Le phénomène de filamentation laser possède plusieurs applications comme des perches lasers, paratonnerres, antennes…
  • L'idée de ce dernier est de remplacer les conducteurs métalliques, qui sont assez gros, par des conducteurs à plasma produits avec ces filaments femtoseconde.
  • Pour le paratonnerre il s’agit de fabriquer un filament très long capable de guider la foudre, et éventuellement de la déclencher avant que le nuage orageux n’arrive à proximité d’un site sensible, comme un aéroport.
  • Cet effet laser fonctionne bien en laboratoire, et les scientifiques travaillent à améliorer son efficacité à plus grande distance dans l’air à pression atmosphérique.

Le phénomène de fil­a­men­ta­tion laser – qui se man­i­feste lors de la prop­a­ga­tion d’im­pul­sions laser intense de durée fem­tosec­onde – peut être exploité pour de nom­breuses appli­ca­tions : amélio­ra­tions révo­lu­tion­naires de la télédé­tec­tion optique pour la sci­ence atmo­sphérique ; perch­es laser super­son­iques pour réduire la pres­sion de l’onde de choc à l’a­vant d’un avion tra­ver­sant l’at­mo­sphère à une vitesse super­son­ique ; para­ton­nerres laser pour se pro­téger de la foudre ; ou antennes à plas­ma virtuelles pour l’émis­sion d’on­des radio.

Les fais­ceaux laser de forte puis­sance crête induisent un cer­tain nom­bre d’ef­fets non-linéaires impor­tants qui appa­rais­sent lorsqu’ils se propa­gent dans l’air. Ces effets font qu’une par­tie de l’énergie du fais­ceau s’au­to-focalise spon­tané­ment, se con­cen­trant ain­si pour for­mer des canaux de lumière intens­es appelés fil­a­ments – des ban­des lumineuses de quelques microns de large et jusqu’à plusieurs mètres de long. Cette auto-focal­i­sa­tion se pro­duit à des puis­sances laser supérieures à un cer­tain seuil et aug­mente l’in­ten­sité du fais­ceau au point d’ioniser les atom­es de l’at­mo­sphère et de génér­er un plas­ma. Les fil­a­ments sont générale­ment pro­duits lorsque le fais­ceau laser a une puis­sance crête supérieure à 5 gigawatts (GW). En ter­mes sim­ples, la fil­a­men­ta­tion laser est un régime par­ti­c­uli­er de prop­a­ga­tion laser obtenu lorsque des fais­ceaux très intens­es ont une durée de seule­ment quelques cen­taines de fem­tosec­on­des (10-15 s).

Si le fais­ceau ne con­tient que quelques mil­li­joules d’én­ergie, toute sa puis­sance sera auto-focal­isée en un fais­ceau étroit et pro­duira un seul fil­a­ment. Toute­fois, de petites vari­a­tions d’intensité trans­ver­sale, ain­si que la tur­bu­lence de l’air, font que des fais­ceaux de quelques cen­timètres de diamètre et d’une énergie de l’ordre du Joule s’au­to-focalisent en de mul­ti­ples fil­a­ments. Il en résulte un grand nom­bre de fil­a­ments – jusqu’à 1000 – répar­tis plus ou moins aléa­toire­ment sur la sec­tion trans­ver­sale du faisceau.

Ces fil­a­ments peu­vent être util­isés pour divers­es appli­ca­tions – pour guider et con­trôler des décharges élec­triques, par exem­ple, puisqu’ils créent un chemin préféren­tiel pour ces décharges. On peut ain­si les guider sur une dis­tance allant jusqu’à cinq mètres en ligne droite.

Antennes à plasma virtuelles et barres d’éclairage laser

Ces décharges pour­raient être employées pour fab­ri­quer un type d’an­tenne qui exploite les pro­priétés con­duc­tri­ces des décharges droites pour une trans­mis­sion dans le domaine radiofréquence. L’idée ici est de rem­plac­er les con­duc­teurs métalliques, qui sont assez gros, par des con­duc­teurs à plas­ma pro­duits avec ces fil­a­ments femtoseconde.

Pho­togra­phie du mont Saen­tis en Suisse où sont réal­isées les expéri­ences du pro­jet Laser Light­ning Rod

L’autre appli­ca­tion impor­tante est le para­ton­nerre laser. Ce dis­posi­tif ressem­ble à l’an­tenne à plas­ma virtuelle, mais à plus grande échelle, sur plusieurs cen­taines de mètres. L’idée est de fab­ri­quer un fil­a­ment très long capa­ble de guider la foudre, et éventuelle­ment de la déclencher avant que le nuage orageux n’arrive à prox­im­ité d’un site sen­si­ble, comme un aéro­port. Cette tech­nique pour­rait aider à pro­téger ces cibles sen­si­bles en déviant la foudre vers un point de cap­ture. Nous tra­vail­lons sur ce sujet dans notre lab­o­ra­toire dans le cadre du pro­jet européen « Laser Light­ning Rod ».

Nous cher­chons à démon­tr­er ce guidage de la foudre dans des con­di­tions réelles – dans les mon­tagnes suiss­es. Dans cette région du monde, nous avons iden­ti­fié un site où la foudre est très fréquente et tombe tou­jours au même endroit, ce qui est idéal pour des expéri­men­ta­tions. Nous pour­rions ain­si avoir plus d’événe­ments de foudre pos­si­ble près de notre laser et de voir si notre tech­nique fonc­tionne avec de éclairs réels.

Une perche laser supersonique

Lorsque nous fab­riquons les fil­a­ments – et notre plas­ma – nous chauf­fons l’air, ion­isons les atom­es et déposons locale­ment de l’én­ergie laser. Cet échauf­fe­ment se pro­duit sous la forme d’une ligne très uni­forme en rai­son du proces­sus de fil­a­men­ta­tion. Nous avons récem­ment démon­tré en souf­flerie, à l’aide d’une maque­tte d’avion à échelle réduite, qu’un tel chauffage par fil­a­men­ta­tion à l’a­vant d’un avion se déplaçant à des vitesses super­son­iques (Mach‑3), for­mait une bulle qui déforme l’onde de choc sur le nez de l’avion, réduisant alors sa traînée de 20 à 50%. Le chauffage réduit égale­ment l’én­ergie néces­saire pour faire avancer l’avion, amélio­rant ain­si sa con­som­ma­tion de carburant.

Nous tra­vail­lons à dévelop­per ce con­cept pour décou­vrir si un long dépôt laser généré à plus haute cadence est capa­ble de réduire la traînée de l’avion de façon con­tinu et s’il peut être util­isé pour con­trôler sa direction.

Pho­togra­phie du fil­a­ment de plas­ma pro­duit en amont du nez d’un engin super­son­ique, dans les souf­fleries de l’ONERA Meudon

Il existe égale­ment un cer­tain nom­bre d’ap­pli­ca­tions liées au fait que les fil­a­ments peu­vent pro­duire une lumière intense avec un spec­tre très large à des dis­tances pou­vant attein­dre un kilo­mètre. Cela peut être intéres­sant, par exem­ple, pour un sys­tème LiDAR (light detec­tion and rang­ing) mul­ti­fréquence parce que, dans le fil­a­ment, on génère beau­coup de fréquences lumineuses. Ces fréquences sont dif­fusées par les par­tic­ules d’air sur une dis­tance d’un kilo­mètre et peu­vent être util­isées pour analyser la com­po­si­tion de l’air.

Tou­jours dans le cadre du LiDAR et de la télédé­tec­tion optique, le plas­ma que nous créons dans le fil­a­ment peut émet­tre un ray­on­nement cohérent et agir naturelle­ment comme une source laser UV. Les molécules qui sont ion­isées ou excitées dans le plas­ma peu­vent ampli­fi­er très forte­ment une émis­sion de pho­tons et la forme allongée du fil­a­ment rend ce gain très direc­tion­nel. Si l’in­ten­sité est suff­isam­ment élevée, on peut exciter les molécules d’a­zote de l’air et obtenir une émis­sion ultra­vi­o­lette direc­tion­nelle et cohérente rel­a­tive­ment intense. Pour l’instant, nous avons démon­tré que cet effet laser fonc­tionne bien en lab­o­ra­toire et nous tra­vail­lons à amélior­er son effi­cac­ité à de plus grandes dis­tances dans l’air à pres­sion atmosphérique.

Références :

  • T. Pro­duit, P. Walch, C. Herkom­mer, A. Mosta­jabi, M. Moret, U. Andral, A. Sun­jer­ga, M. Azad­i­far, Y.-B. André, B. Mahieu, W. Haas, B. Esmiller, G. Fournier, P. Krötz, T. Met­zger, K. Michel, A. Mysy­row­icz, M. Rubin­stein, F. Rachi­di, J. Kas­par­i­an, J.-P. Wolf, A. Houard, The Laser Light­ning Rod project, The Euro­pean Phys­i­cal Jour­nal Applied Physics 93, 10504 (2021)
  • P.-Q. Elias, N. Sev­er­ac, J.-M. Luyssen, Y.-B. André, I. Doudet, B. Wat­tel­li­er, J.-P. Tobeli, S. Albert, B. Mahieu, R. Bur, A. Mysy­row­icz and A. Houard, Improv­ing super­son­ic flights with fem­tosec­ond laser fil­a­men­ta­tion, Sci­ence Advances 4, eaau5239 (2018)
  • A. Houard and A. Mysy­row­icz, Fem­tosec­ond laser fil­a­men­ta­tion and appli­ca­tions, Light Fil­a­ments: Struc­tures, chal­lenges and appli­ca­tions, Insti­tu­tion of Engi­neer­ing and Tech­nol­o­gy, pp.11–30 (2021)

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