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Comment les humains vivront-ils sur la Lune ?

Pierre Henriquet
Pierre Henriquet
docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights
En bref
  • Le programme de retour sur la Lune de 2024-2025 s’inscrit dans la durée : l’objectif est de créer une station spatiale et une base lunaires habitables à long terme.
  • Pour ce faire, les humains doivent s’adapter aux contraintes du milieu lunaire : gravité 6x plus faible, températures extrêmes, météoroïdes impromptus…
  • L’innovation robotique, technologique et industrielle est donc cruciale pour assurer l’installation humaine sur la Lune.
  • Ce programme requiert de grandes quantités d’énergie, qui pourraient être assurées par des systèmes d’alimentation à fission nucléaire.
  • Les humains retournent aussi sur la Lune pour miner des ressources comme l’oxygène, le silicium, l’aluminium, le fer ou l’hélium-3.

16 novem­bre 2022. L’immense lanceur SLS décolle du com­plexe de lance­ment 39 du Cen­tre Spa­tial Kennedy, en Floride avec comme mis­sion d’envoyer autour de la Lune le nou­veau vais­seau spa­tial Ori­on, dévelop­pé par l’Agence spa­tiale améri­caine (mod­ule hab­it­able) et l’Agence spa­tiale européenne (mod­ule de service).

Cette mis­sion, nom­mée Artemis I, a été un franc suc­cès mais n’a con­sti­tué que la pre­mière étape pour pré­par­er le retour des humains vers la Lune en 2024 (sur­vol par le vais­seau Ori­on habité, cette fois-ci) et 2025 (où un homme et une femme devraient fouler à nou­veau le sol lunaire).

Mais, con­traire­ment au pro­gramme Apol­lo des années 70, ce nou­veau pro­gramme de retour habité sur la Lune s’inscrit dans la durée. En effet, sont déjà prévues la mise en orbite prochaine d’une sta­tion spa­tiale lunaire sim­i­laire à la Sta­tion Spa­tiale Inter­na­tionale (plusieurs mod­ules sont déjà con­stru­its) et l’installation pro­gres­sive, au sol, d’une base lunaire, d’abord vis­itée ponctuelle­ment par les astro­nautes mais dont l’objectif à terme est d’être habitée en permanence.

Astro­nautes tra­vail­lant près d’une petite base mobile lunaire (crédit : NASA). 

Pour met­tre en œuvre cet ambitieux pro­gramme, il est néces­saire de s’adapter au milieu hos­tile de la Lune et de dévelop­per des instal­la­tions capa­bles de main­tenir une zone hab­it­able dans ce qui est l’un des envi­ron­nements les plus extrêmes que l’humains ait jamais con­nu. Par­lons aujourd’hui des défis tech­nologiques et indus­triels qui se pro­fi­lent sur la Lune pour ces prochaines décennies.

Un environnement hostile à apprivoiser

Pour main­tenir un habi­tat sta­ble et sûr, il faut com­mencer par analyser l’environnement dans lequel on veut s’installer et con­naître les con­traintes qu’il va faire peser sur les con­struc­tions et les per­son­nes. Comme la Lune est plus petite que la Terre, sa masse est plus faible. La grav­ité lunaire est ain­si 6 fois plus faible que la grav­ité ter­restre : tous les cal­culs d’architecture, de struc­tures et de résis­tance des matéri­aux sont alors à revoir en profondeur.

De plus, la Lune a une rota­tion très lente. Là-bas, une journée dure env­i­ron 2 semaines ter­restres, tout comme la nuit. Et sans atmo­sphère pour homogénéis­er les tem­péra­tures entre le côté éclairé et le côté som­bre, les tem­péra­tures vari­ent de 120 °C le jour jusqu’à ‑250 °C la nuit ! Sans compter que sur la Lune, les météoroïdes arrivent intacts et à pleine vitesse jusqu’au sol.

Enfin, il faut pren­dre en compte l’irradiation per­ma­nente de la sur­face lunaire par les rayons cos­miques, ce flux de par­tic­ules dont une dose exces­sive peut provo­quer brûlures, stéril­ité ou appari­tion de cancers.

Base lunaire déployée à l’intérieur d’un ancien tube de lave lunaire (crédit : Sebas­t­ian Luca).

Plusieurs options ont été étudiées pour con­tr­er ces effets. Il a par exem­ple été envis­agé d’utiliser d’anciens tun­nels de lave, présents juste en-dessous de la sur­face de la Lune, pour y bâtir un envi­ron­nement pro­tégé, à l’abri des con­di­tions extérieures (voir illus­tra­tion ci-dessous). Mais le pro­gramme Artemis prévoit aujourd’hui de s’établir près du pôle Sud lunaire, où il n’y a pour l’instant pas de traces de ces vastes tun­nels souterrains.

Une nouvelle industrie spatiale en devenir

Les pro­jets de base lunaire envis­agent des activ­ités de sur­face, néces­si­tant donc de pren­dre en compte ces con­di­tions lunaires par­ti­c­ulières. En 2016, l’Agence spa­tiale européenne présen­tait notam­ment son con­cept de « Moon vil­lage ». L’idée était de lancer en sur­face des mod­ules gon­flables que des robots viendraient recou­vrir d’une épaisse couche de béton dévelop­pé sur place à par­tir du régolithe lunaire.

Pro­jet de « Moon Vil­lage européen » (crédit : ESA).

Les struc­tures gon­flables ne sont pas nou­velles dans le secteur spa­tial. Un mod­ule gon­flable appelé BEAM (Bigelow Expand­able Activ­i­ty Mod­ule) a même été testé et instal­lé sur la Sta­tion spa­tiale inter­na­tionale en 2016. La start­up française Spar­tan Space développe à ce titre une solu­tion d’habitat gon­flable et mobile pou­vant servir de camp de base tem­po­raire lors d’expéditions loin de la base principale.

Le vil­lage lunaire européen repose aus­si sur l’utilisation mas­sive de robots-imp­ri­mantes 3D capa­bles de récolter le régolithe lunaire, puis de le mélanger à divers­es colles avant de pro­jeter la pâte résul­tante sur les mod­ules gon­flables pour con­stru­ire la couche pro­tec­trice qui doit garan­tir la sécu­rité des astronautes.

L’in­dus­trie robo­t­ique aura un rôle impor­tant à jouer sur la Lune.

Car l’industrie robo­t­ique aura un rôle très impor­tant à jouer sur la Lune. Dans un endroit où le moin­dre pas représente un risque mor­tel, il est prob­a­ble que les robots seront util­isés pour quan­tité d’activités de sur­face. Mais il reste beau­coup de prob­lèmes à régler avant de pou­voir déploy­er des flot­tilles de robots lunaires agiles et efficaces.

Entre la pous­sière de Lune, élec­tro­sta­tique et très abra­sive, qui s’insère dans tous les rouages et colle à toutes les sur­faces ; et l’impossibilité d’utiliser des lubri­fi­ants clas­siques qui, dans le vide de l’espace, sèchent ou s’évaporent, il reste beau­coup de pro­grès à faire et d’innovations à trouver.

Autre point fon­da­men­tal : l’alimentation en énergie. En s’installant près des pôles, l’avantage pour le pro­jet Artemis est d’avoir un Soleil tou­jours présent, au ras de l’horizon, ce qui  per­me­t­trait de déploy­er de grandes quan­tités de pan­neaux solaires sur les flancs exposés des cratères. Mais au fur et à mesure que cette base se dévelop­pera, il fau­dra cer­taine­ment com­pléter cet apport d’électricité par de petites cen­trales nucléaires com­pactes. En juin 2022, la NASA et le Depart­ment of Ener­gy (DoE) sélec­tion­naient juste­ment 3 propo­si­tions de sys­tèmes d’al­i­men­ta­tion à fis­sion nucléaire : cette dernière pour­rait être prête à être lancée d’i­ci la fin de la décen­nie pour une démon­stra­tion sur la Lune.

Mais qu’est-ce qui pourrait consommer autant d’énergie ?

Les activ­ités de minage, par exem­ple, qui sont l’une des raisons du retour des humains sur la Lune. La ressource prin­ci­pale est l’eau, bien sûr, qu’on retrou­ve en grandes quan­tités sous forme de glace au fond des cratères des pôles lunaires. Cette eau servi­ra aus­si bien à l’alimentation et à l’agriculture locale qu’à la fab­ri­ca­tion de car­bu­rant (sous forme d’oxygène et d’hydrogène liq­uide) pour les fusées qui redé­colleront depuis la Lune.

Mais le sol lunaire est poten­tielle­ment riche en autres ressources immé­di­ate­ment intéres­santes pour l’industrie minière, comme l’oxygène et le sili­ci­um, présents en grandes quan­tités, mais aus­si dif­férents métaux comme l’aluminium ou le fer. À plus long terme, l’industrie minière lunaire pour­rait s’intéresser à l’hélium 3, néces­saire pour les futures tech­nolo­gies de réac­teurs à fusion thermonucléaires.

Si les humains veu­lent rester sur notre satel­lite pen­dant de longues durées, d’autres tech­nolo­gies et d’autres indus­tries devront être dévelop­pées pour s’adapter au milieu lunaire.
Médecine, agri­cul­ture et biotech­nolo­gies seront cru­ciales pour l’avenir, mais tout cela vien­dra dans un sec­ond temps, une fois qu’il aura été prou­vé que la présence humaine dans ce milieu extrater­restre est réelle­ment possible.

Alors, se dévelop­pera peut-être une dernière indus­trie, poids-lourd qui occupe près de 7 % du PIB mon­di­al : le tourisme. Que ce soit en sur­vol, en orbite ou au sol, de courte ou de longue durée, la Lune pour­rait devenir la des­ti­na­tion incon­tourn­able du siè­cle prochain…

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