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Conquête de Mars : fantasme ou projet réaliste ?

Le voyage vers Mars : mythe ou réalité ?

Pierre Henriquet, docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights
Le 10 mai 2023 |
5 min. de lecture
Pierre Henriquet
Pierre Henriquet
docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights
En bref
  • De nombreuses contraintes freinent la possibilité d’aller sur Mars, et d’y habiter, dans un futur proche.
  • La radioprotection est un problème, car sur Mars l’Homme ne bénéficie plus du champ magnétique terrestre qui dévie une partie des rayons cosmiques.
  • Si de nouvelles innovations permettent de faciliter les approvisionnements en eau et en nourriture, il reste difficile de les faire fonctionner sur de longues périodes.
  • Il faut également pallier la décalcification des os : dans l’espace, les astronautes perdent en moyenne 1 % de masse d’os par mois.
  • Un dernier point concerne le mental des astronautes : personne ne peut prévoir comment il va réagir à l’idée qu’aucun retour sur Terre n’est possible.

Quel pas­sion­né d’astronomie n’a jamais rêvé de con­tem­pler la sur­face de Mars du haut d’Olympus Mons, la plus haute mon­tagne du Sys­tème solaire ? Qui n’aurait pas envie d’admirer au moins une fois les couch­ers de soleil bleus de la Planète Rouge ?

Si le voy­age entre la Terre et Mars ne con­siste par­fois qu’à tourn­er une page de roman de sci­ence-fic­tion, il en va autrement dans la vie réelle. Com­plexe, dan­gereux, utopique, sui­cidaire… les qual­i­fi­cat­ifs ne man­quent pas aujourd’hui pour qual­i­fi­er les pub­lic­ités de cer­taines entre­pris­es privées qui promet­tent le pre­mier homme (ou la pre­mière femme) sur Mars d’ici la fin de la décennie.

Quels sont les freins à l’exploration (osera-t-on dire, la coloni­sa­tion ?) de Mars ? Pourquoi ne sommes-nous pas déjà en train de réserv­er notre ter­rain hab­it­able près des pentes de Valles Mariner­is ? Faisons un petit tour d’horizon…

« L’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage » qu’ils disaient…

Mal­heureuse­ment, les prob­lèmes ne com­menceront pas une fois arrivés sur Mars, mais bien avant. Actuelle­ment, l’humains n’est jamais allé plus loin que l’orbite lunaire, à 3 ou 4 jours de voy­age de notre planète. Et même dans ces cas-là, s’il y a le moin­dre souci à bord, ou si plus aucune com­mande ne répond, on s’arrange tou­jours pour que les lois immuables de la mécanique spa­tiale ramè­nent le vais­seau tout seul vers la Terre. C’est ce qui s’est passé le 14 avril 1970 lorsqu’un réser­voir d’oxygène liq­uide a explosé dans le mod­ule de ser­vice d’Apollo 13, met­tant fin à la mis­sion. Après 3 jours de survie dans un vais­seau éven­tré, les astro­nautes ont pour­tant pu retourn­er sains et saufs sur Terre.

Mal­heureuse­ment, un scé­nario comme celui-ci est inen­vis­age­able lors d’un trans­fert entre Mars et la Terre. Ce voy­age dur­erait entre 6 et 9 mois, pen­dant lequel le vais­seau deviendrait un véri­ta­ble monde autonome, capa­ble de fournir eau, oxygène et nour­ri­t­ure à un équipage soumis, en plus, à un envi­ron­nement bien plus hos­tile que tout ce qui n’a jamais été simulé ou expérimenté.

Se protéger, se nourrir, s’abreuver

Out­re les com­mu­ni­ca­tions qui vont s’allonger au fur et à mesure que la dis­tance entre le vais­seau et le cen­tre de con­trôle aug­mente, pas­sant finale­ment à plus de 10 min­utes entre l’émission et la récep­tion d’un mes­sage, l’un des prob­lèmes prin­ci­paux con­cerne les rayons cos­miques, ce flux de par­tic­ules énergé­tiques (pro­tons, élec­trons, noy­aux d’atomes lourds) qui baig­nent l’espace inter­plané­taire en irra­di­ant tous les objets qui s’y trou­vent. Certes, il existe des envi­ron­nements spa­ti­aux qui, aujourd’hui, per­me­t­tent aux humains de s’entraîner aux longs séjours dans l’espace, comme la Sta­tion Spa­tiale Inter­na­tionale (ISS), mais la sit­u­a­tion n’est pas la même. En effet, l’ISS tourne à 400 km d’altitude, et dans ces con­di­tions, elle béné­fi­cie large­ment de l’effet de boucli­er pro­tecteur du champ mag­né­tique ter­restre (la mag­né­tosphère), qui ralen­tit et dévie une frac­tion des rayons cosmiques.

L’humanité habit­era-t-elle un jour l’orbite mar­ti­enne ? (Crédit : James Vaughan).

Et la radio­pro­tec­tion n’est qu’un des très nom­breux prob­lèmes qu’il fau­dra résoudre avant d’envoyer des humains vers Mars. Pour l’eau, beau­coup de tra­vail a été mené à bord de l’ISS et il existe actuelle­ment un sys­tème très effi­cace qui recy­cle les urines et récupère même la vapeur d’eau émise par la res­pi­ra­tion et la tran­spi­ra­tion pour les fil­tr­er et en faire de l’eau potable. Mais même mal­gré ça, des pertes sont inévita­bles, et les car­gos qui par­tent tous les mois pour l’ISS amè­nent tou­jours un peu d’eau pour faire le plein.

En ce qui con­cerne la nour­ri­t­ure, le prob­lème est loin d’être résolu. Impos­si­ble, par exem­ple, d’emmener 12 à 18 mois de pro­vi­sions dans une remorque der­rière le vais­seau (en sup­posant qu’on n’abandonne pas l’équipage sans pos­si­bil­ité de retour, auquel cas, en effet, la quan­tité à emmen­er pour­ra être divisée par deux).

Il existe toute­fois, tou­jours dans l’ISS, cer­taines recherch­es pour trou­ver des solu­tions. Depuis 2019, l’expérience BioNutrients‑1 (puis 2) étu­di­ent le fonc­tion­nement de cer­taines lev­ures et bac­téries géné­tique­ment mod­i­fiées pour pro­duire des anti-oxy­dants, de la vit­a­mine A ou des pro­téines per­me­t­tant de main­tenir la masse mus­cu­laire des astro­nautes. Avec les pro­grès de l’édition géné­tique, il n’est pas irréal­iste d’imaginer, à terme, des micro-organ­ismes capa­bles, par exem­ple, de décom­pos­er les sell­es humaines en molécules sim­ples, et d’autres pro­gram­més pour utilis­er cette soupe élé­men­taire et pro­duire pro­téines, graiss­es, fibres et autres glu­cides con­som­ma­bles – et pou­voir recy­cler, cette fois-ci, une par­tie des matières solides humaines.

Quels effets sur le corps humain ?

Un autre prob­lème très con­nu du milieu spa­tial sur le corps humain est la décal­ci­fi­ca­tion des os. Ce phénomène peut être ralen­ti par une ali­men­ta­tion adap­tée et une pra­tique sportive quo­ti­di­enne, mais cette perte est inévitable (1 % de masse d’os per­due par mois). Là encore, une solu­tion pour­rait venir des biotech­nolo­gies. L’idée est d’utiliser les légumes pro­duits à l’intérieur du vais­seau de la manière la plus effi­cace et poly­va­lente pos­si­ble. Out­re le fait de pro­duire un peu d’oxygène en con­som­mant du CO2 et de servir à l’alimentation humaine, on envis­age aus­si de s’en servir comme… pharmacie.

Dans l’espace, les astro­nautes per­dent 1 % de masse d’os par mois. 

En 2022 parais­sait une étude de l’Université de Cal­i­fornie sur la crois­sance, dans l’espace, d’une laitue géné­tique­ment mod­i­fiée qui pro­duit un peu d’hor­mone parathy­roï­di­enne humaine qui, entre autres, aide à stim­uler la crois­sance osseuse. Une con­som­ma­tion quo­ti­di­enne de cette laitue pour­rait ain­si, à terme, aider les astro­nautes à main­tenir leur den­sité osseuse lors de longs voy­ages dans l’espace. On peut alors imag­in­er dis­pos­er, à l’intérieur du vais­seau, d’une phar­ma­copée végé­tale pro­gram­ma­ble, éditée au besoin, sans avoir à emmen­er une phar­ma­cie entière au décollage.

Enfin, le fac­teur humain est, lui aus­si, un paramètre très sen­si­ble qui ne garan­tit pas for­cé­ment le suc­cès d’une hypothé­tique mis­sion vers Mars. Beau­coup de recherch­es sont menées actuelle­ment sur la capac­ité d’un groupe restreint de pseu­do-astro­nautes à rester seuls, vivant en promis­cuité 24h/24 sans pos­si­bil­ité d’y chang­er quoi que ce soit. Mais ces études ont, elles aus­si, leurs lim­ites, car elles se déroulent dans des milieux certes isolés, mais qui restent sur Terre. La con­science que plus aucun retour n’est pos­si­ble et que toute l’humanité se trou­ve défini­tive­ment der­rière vous est impos­si­ble à simuler.

Peu de sci­en­tifiques pensent que Mars restera à tout jamais inac­ces­si­ble. Mais ça ne rend pas ce voy­age prêt pour demain. Si d’intenses travaux sont actuelle­ment faits pour pré­par­er l’humanité aux pre­miers voy­ages inter­plané­taires, l’état actuel des con­nais­sances et des tech­nolo­gies pour réalis­er ce voy­age ne per­me­t­tent cer­taine­ment pas de l’envisager pour un futur proche.

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