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Spacecraft Solar Panel Deployment: A spacecraft gracefully maneuvers near a large, expansive solar panel array, reflecting the sun’s rays in the vast darkness of space.
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π Espace

Ultraléger, performant, pliable : les progrès du photovoltaïque spatial

Daniel Lincot_VF
Daniel Lincot
directeur de recherche émérite CNRS au IPVF
Loris Lbarrart_VF
Loris Ibarrart
spécialiste en énergie embarquée au CNES
En bref
  • L’effet photovoltaïque, qui exploite les rayons du soleil pour en faire de l’électricité, intéresse de plus en plus le secteur du spatial.
  • Au départ, la technologie photovoltaïque n’était compétitive que pour le secteur du spatial, même si l’idée d’utiliser les panneaux sur Terre était déjà présente.
  • La plupart des satellites en orbite autour de la Terre sont aujourd’hui équipés de panneaux photovoltaïques, la source d’énergie spatiale la plus compétitive.
  • Parmi les innovations du spatial qui pourraient être utiles sur Terre, on compte le fait que le photovoltaïque devient aujourd’hui ultraléger, performant et pliable.
  • Aujourd’hui, le coût des cellules pour le spatial s’élève à environ 300 € par watt, contre 10-20 centimes d’euros pour le terrestre.

Quel rôle ont joué les satellites dans la démocratisation des panneaux photovoltaïques ?

Daniel Lin­cot. L’effet pho­to­voltaïque a été décou­vert par Edmond Bec­quer­el en 1839. Les cel­lules solaires au sili­ci­um ont été inven­tées avant la Sec­onde Guerre mon­di­ale par Rus­sell Ohl, et le pre­mier brevet déposé en 19411. En 1954, la pre­mière cel­lule solaire effi­cace est fab­riquée : elle atteint un ren­de­ment de 6 %. Les États-Unis, qui cher­chaient à rav­i­tailler les satel­lites en énergie, ont immé­di­ate­ment démar­ré une pro­duc­tion de cel­lules pour les satel­lites. En 1958, Van­guard 1 est le pre­mier satel­lite envoyé dans l’espace avec des cel­lules solaires. Le coût du pho­to­voltaïque était alors extrême­ment  élevé [N.D.L.R. : Dans les années 1950, un watt de capac­ité solaire pho­to­voltaïque coûte 1 865 $, ajusté à l’in­fla­tion et aux prix de 2019. En com­para­i­son au prix de 1956, un mod­ule solaire d’au­jour­d’hui coûterait 596 800 $2, mais abor­d­able en com­para­i­son avec le coût du lance­ment d’un satel­lite dans l’espace. La pro­duc­tion de plus en plus impor­tante de cel­lules solaires pour le spa­tial enclenche une baisse des coûts, qui se pour­suit aujourd’hui. Sans l’usage du pho­to­voltaïque dans le spa­tial, la tech­nolo­gie ne se serait prob­a­ble­ment pas dévelop­pée aus­si vite.

Pourquoi le secteur du spatial est-il autant intéressé par la technologie photovoltaïque ?

Loris Ibar­rart. Le satel­lite est un objet autonome, en par­ti­c­uli­er du point de vue de l’énergie. Pour men­er à bien sa mis­sion – télé­com­mu­ni­ca­tion, mil­i­taire, obser­va­tion spa­tiale ou ter­restre – il doit pou­voir com­mu­ni­quer et sur­vivre. Ces deux exi­gences requièrent de l’énergie, pour envoy­er et recevoir des infor­ma­tions depuis la Terre, main­tenir les équipements à la bonne tem­péra­ture ou encore main­tenir l’altitude. Enfin, la mis­sion néces­site aus­si de l’énergie. Si les mis­sions d’observation de la Terre sont peu éner­gi­vores, les télé­com­mu­ni­ca­tions le sont. Au départ, une pile était placée à bord du satel­lite. Sa capac­ité de survie ne s’élevait alors que de quelques semaines. Les acteurs du spa­tial ont donc pen­sé à utilis­er la seule ressource disponible dans l’espace : le Soleil.

DL. Le pre­mier satel­lite lancé dans l’espace en 1957, Spout­nik, n’a été en mesure de com­mu­ni­quer avec la Terre que durant quelques semaines ! Il est ensuite resté en orbite autour de la Terre, sans aucun moyen de com­mu­ni­ca­tion avec lui.

À quel moment les panneaux photovoltaïques sont-ils « redescendus sur Terre » ?

 LI. Dès le départ, l’idée d’utiliser les pan­neaux pho­to­voltaïques sur Terre était présente, mais la tech­nolo­gie n’était com­péti­tive que pour le secteur du spatial.

DL. À par­tir des années 70, de pre­miers besoins ter­restres ont émergé : équipement des phares et balis­es dans les zones isolées, moyens de com­mu­ni­ca­tion dans des lieux inac­ces­si­bles ou encore pro­tec­tion cathodique des con­duits de pét­role pour lim­iter leur oxy­da­tion. Ces usages très spé­ci­fiques toléraient des prix élevés. Puis le coût des cel­lules a com­mencé à baiss­er, notam­ment à la suite du choc pétroli­er de 1973 qui a con­duit à une aug­men­ta­tion de la pro­duc­tion, et donc une baisse des coûts par effet d’échelle.

Depuis les premiers usages du photovoltaïque dans l’espace, le secteur du spatial a beaucoup évolué… le photovoltaïque y a‑t-il toujours sa place aujourd’hui ?

LI. L’exigence du spa­tial reste la même : pro­duire un max­i­mum d’énergie à bord pour une masse et un vol­ume les plus con­tenus pos­si­ble. La plu­part des satel­lites en orbite autour de la Terre sont équipés de pan­neaux pho­to­voltaïques. Les satel­lites de télé­com ont la plus grande capac­ité de pro­duc­tion, elle peut grimper jusqu’à une trentaine de kW, soit une sur­face de cel­lules solaires d’environ 100 m2. Seules quelques mis­sions ne peu­vent pas repos­er entière­ment sur la ressource solaire : les son­des envoyées dans l’espace loin­tain ou encore les rovers [N.D.L.R. : les « astro­mo­biles », ces véhicules conçus pour explor­er la sur­face d’un corps céleste]. Elles embar­quent un cœur nucléaire, une sorte de pile à radioiso­topes. Cette source d’énergie est plus coû­teuse et con­traig­nante que le photovoltaïque.

DL. Le pho­to­voltaïque a beau­coup pro­gressé, notam­ment ses ren­de­ments, et demeure la source d’énergie spa­tiale la plus com­péti­tive. Les ren­de­ments des cel­lules spé­ciales util­isées (à mul­ti jonc­tions) peu­vent attein­dre 35 %. Un ren­de­ment record de 47 % a été atteint en lab­o­ra­toire. En com­para­i­son, ceux des cel­lules ter­restres au sili­ci­um s’élèvent jusqu’à 25 %.

Les innovations du photovoltaïque spatial servent-elles les applications terrestres ?

DL. Le ren­de­ment théorique de la con­ver­sion des pho­tons (par­tic­ules de lumière) en élec­tric­ité s’élève à 85 %. La recherche est très active sur ce sujet et c’est une voie de pro­gres­sion for­mi­da­ble pour le ter­restre. Enfin, le spa­tial requiert de plus en plus des cel­lules très légères pour lim­iter les coûts du lance­ment et faciliter leur déploiement. Alors que les pan­neaux pho­to­voltaïques ter­restres pèsent en moyenne 25 kg par m2, nous tra­vail­lons à attein­dre un poids de 200 g par m2. C’est un change­ment de par­a­digme : le pho­to­voltaïque devient ultra léger, per­for­mant et pli­able. À Terre, cela ouvre le champ des pos­si­bles : on imag­ine par exem­ple un rideau solaire qui pour­rait se déploy­er sur les façades, les toi­tures ou en aérien. On pour­rait aus­si déploy­er tem­po­raire­ment ces rideaux sur les champs après la récolte pour stock­er de l’électricité. Nous tra­vail­lons en étroite col­lab­o­ra­tion avec l’Institut pho­to­voltaïque d’Ile-de-France et le lab­o­ra­toire de physique des inter­faces et couch­es minces de l’École poly­tech­nique (IP Paris), spé­cial­istes de ces sujets.

LI. Nous sommes aus­si à un tour­nant pour le pho­to­voltaïque spa­tial, avec un retour de la Terre vers l’espace.

Dans quelle mesure sommes-nous à un tournant pour le photovoltaïque spatial ?

LI. Depuis env­i­ron 10 ans, on observe une appé­tence du spa­tial pour les tech­nolo­gies ter­restres. En cause ? L’essor des con­stel­la­tions de satel­lites, pour lesquelles le mod­èle économique du spa­tial n’est plus com­pat­i­ble. Les exi­gences sont ici dif­férentes : une capac­ité de pro­duc­tion élevée, un coût plus faible et des per­for­mances moin­dres puisque la redon­dance est assurée par le nom­bre impor­tant de satel­lites. Aujourd’hui, le coût des cel­lules pour le spa­tial s’élève à env­i­ron 300 € par watt, con­tre 10–20 cen­times d’euros pour le ter­restre. On peut imag­in­er qu’un com­pro­mis émerge entre la pro­duc­tion de masse pour le ter­restre et le tra­vail d’orfèvre pour le spa­tial, même si l’avenir est incer­tain. L’enjeu est de mod­i­fi­er les cel­lules ter­restres pour qu’elles fonc­tion­nent le plus longtemps pos­si­ble dans l’espace, tout en mod­i­fi­ant le moins pos­si­ble les chaines indus­trielles existantes.

C’est donc la fin des filières photovoltaïques dédiées au spatial ?

LI. Non, l’essor des con­stel­la­tions de satel­lites ne tuera pas les fil­ières his­toriques du pan­neau solaire spa­tial. Les télé­com­mu­ni­ca­tions, l’observation et la sci­ence con­tin­ueront à avoir besoin des procédés dévelop­pés spé­ci­fique­ment pour le spa­tial. Les fab­ri­cants n’ont jamais enreg­istré autant de deman­des qu’aujourd’hui.

Propos recueillis par Anaïs Marechal
1https://​patents​.google​.com/​p​a​t​e​n​t​/​U​S​2​4​02662
2https://​our​worldin​da​ta​.org/​c​h​e​a​p​-​r​e​n​e​w​a​b​l​e​s​-​g​rowth

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