An astrounaut spaceman in outer space closeup shot
« Le monde de demain » par Viviane Lalande / Scilabus

Qu’est-ce que le « New Space », cet écosystème émergent du spatial ?

Pierre Henriquet, docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights
Le 3 novembre 2022 |
7 min. de lecture
Pierre Henriquet
Pierre Henriquet
docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights
En bref
  • Aujourd’hui, de nouveaux modèles économiques prônant agilité et innovation émergent dans le domaine spatial : c’est le « New Space ».
  • Depuis vingt ans, il est plus simple d’utiliser et d’accéder à l’espace grâce aux évolutions technologiques (nanosatellites, nouvelles fusées…).
  • Le New Space propose d’exploiter tout le potentiel d’utilisation du spatial : tourisme spatial « bas carbone », suivi de données ou encore synchronisation des réseaux électriques terrestres.
  • Si c’est aux États-Unis que s’est développé le New Space, l’Europe tente aujourd’hui de reprendre du terrain, et la France est un des pays les plus motivés.
  • La croissance du New Space et de ses satellites suscite néanmoins des inquiétudes concernant les tensions géopolitiques ou le risque de collision spatiale.

Pen­dant des décen­nies, le domaine du spa­tial s’est dévelop­pé en s’appuyant sur de grandes infra­struc­tures telles que les agences spa­tiales (la NASA améri­caine, l’ESA européenne, Roscos­mos russe…) et les grands groupes de l’industrie aéro­nau­tique (Boe­ing, Lock­heed Mar­tin, Air­bus, Das­sault…). Mais les temps changent. Aujourd’hui, de nou­veaux mod­èles économiques émer­gent, prô­nant l’agilité, l’innovation et une plus grande prise de risque (tech­nolo­gie et économique). C’est ain­si que de jeunes entre­pris­es privées ten­tent de se faire leur place dans ce domaine très com­péti­tif qu’est le spatial.

Quels change­ments ont per­mis leur émer­gence ? Quelle est cette nou­velle dynamique ? Pour quels usages et quels marchés ? Regar­dons de plus près ce qu’on appelle aujourd’hui le « New Space ».

L’espace, plus accessible que jamais

Ces deux dernières décen­nies ont vu plusieurs change­ments ren­dre plus facile (et plus économique) l’accès et l’utilisation de l’espace. Les tech­nolo­gies, tout d’abord, ont con­sid­érable­ment évolué. Elles per­me­t­tent aujourd’hui de com­press­er dans un vol­ume équiv­a­lent à quelques boîtes de chaus­sures le matériel qui aurait été embar­qué aupar­a­vant dans un satel­lite du vol­ume d’une voiture. Minia­tur­i­sa­tion des com­posants élec­tron­iques, nou­veaux matéri­aux, algo­rithmes d’intelligence arti­fi­cielle embar­qués : les nou­veaux satel­lites sont petits, flex­i­bles et bien moins chers que leurs prédécesseurs. 

Des « microsatel­lites » dont le poids dépasse à peine les 100 kg, nous sommes passés aujourd’hui aux nanosatel­lites (à peu près 10 kg). Ces satel­lites ver­sion nano sont aujourd’hui surtout util­isés par les uni­ver­sités pour des pro­jets de type édu­cat­ifs et péd­a­gogiques ou des organ­ismes de recherche afin de men­er des expéri­ences spa­tiales à coût réduit (à peu près 100 000 € l’unité). La sonde DART qui s’est récem­ment crashée sur l’astéroïde Dimor­phos pour tester la pos­si­bil­ité de dévi­er un astéroïde par « impact ciné­tique » trans­portait un nanosatel­lite appelé LICIA (Light Ital­ian Cube­sat­for Imag­ing of Aster­oids) qui a per­mis de filmer en temps réel l’impact et de ren­voy­er immé­di­ate­ment les don­nées sur Terre.

Mais les économies ne se font pas que sur la masse des charges utiles. Une entre­prise ayant besoin d’envoyer en orbite quelques nanosatel­lites pour son fonc­tion­nement a aujourd’hui un choix bien plus impor­tant dans les lanceurs qui met­tront leur matériel en orbite. À côté des piliers tra­di­tion­nels du spa­tial (Ari­ane européenne, Soy­ouz russe, Long March chi­noise), de nou­velles fusées sont dévelop­pées avec cette idée cen­trale de rentabil­ité économique.

Space­Bus con­voyeur de nanosatel­lites en orbite basse. Crédit : Exo­trail TM

Citons, par exem­ple, les célèbres Falcon9 de SpaceX et leur 1er étage réu­til­is­able, capa­bles de revenir automa­tique­ment atter­rir sur leur base de départ. Après un con­trôle tech­nique minu­tieux, les voilà prêtes à décoller à nou­veau. Cer­taines en sont déjà à leur quinz­ième vol d’affilée sans défail­lance. Pour un prix avoisi­nant les 65 mil­lions de dol­lars, il est ain­si pos­si­ble de s’offrir les ser­vices de cet out­il de mise en orbite. L’utilisation de ce lanceur est très var­iée : envoi de car­go de rav­i­taille­ment (Mis­sions Drag­on) ou d’astronautes (cap­sule Crew Drag­on) sur la Sta­tion Spa­tiale Inter­na­tionale, de satel­lites de télé­com­mu­ni­ca­tion (Asi­asat, ABS-2A…), de satel­lites d’études sci­en­tifiques (DSCOVR, TESS) ou de dizaines de mil­liers de microsatel­lites Star­link, pro­duits par SpaceX, et des­tinés à fournir une cou­ver­ture Inter­net planétaire.

Un autre con­cept vient de Nou­velle-Zélande. Conçu par la société Rock­et Lab, le lanceur Elec­tron a récem­ment, après avoir placé avec suc­cès 34 satel­lites en orbite, été récupéré au cro­chet par un héli­cop­tère alors qu’il redescendait vers le sol sous para­chute. Une autre manière de déclin­er la notion de réu­til­is­abil­ité. Ce lanceur, moins puis­sant que la Fal­con 9, se spé­cialise dans le lance­ment de nanosatel­lites des­tinés à l’imagerie de la Terre (DOVE de Plan­et labs) ou la sur­veil­lance mar­itime (Bro-One de la start­up française Unseen­labs). Citons l’envoi récent autour de notre satel­lite naturel du satel­lite CAPSTONE, des­tiné à tester la sta­bil­ité de l’orbite où sera con­stru­ite la future sta­tion lunaire Gateway.

Inutile de con­stru­ire une fusée capa­ble d’aller jusqu’à la Lune si l’on veut juste plac­er ses charges utiles en orbite basse.

Inutile de con­stru­ire une fusée capa­ble d’aller jusqu’à la Lune si l’on veut juste plac­er ses charges utiles en orbite basse, à quelques cen­taines de kilo­mètres au-dessus de la sur­face ter­restre. Car c’est effec­tive­ment à cette alti­tude que se trou­ve le plus gros du marché. C’est ain­si que plusieurs star­tups tra­vail­lent sur l’idée de « microlanceurs », des fusées minia­tures ayant juste la capac­ité d’atteindre l’orbite basse. Citons par exem­ple la société française Ven­ture Orbital Sys­tem et son microlanceur Zéphyr (17 mètres de long) dont une par­tie de la propul­sion est, par souci d’économie, con­stru­ite par impres­sion 3D indus­trielle. Son vol inau­gur­al est prévu pour 2024.

De nouvelles idées pour exploiter tout le potentiel du spatial

L’une des grandes nou­veautés du New Space est aus­si son car­ac­tère dis­rup­tif, per­me­t­tant de trou­ver de nou­velles util­i­sa­tions des tech­nolo­gies du spa­tial. Et dans ce domaine, ne serait-ce qu’en France, les idées foisonnent.

Le domaine du tourisme spa­tial, par exem­ple, pâtit d’une image mit­igée, à cause des con­séquences envi­ron­nemen­tales des vols vers l’espace. Si cer­tains lanceurs comme le New Shep­ard de la société Blue Ori­gin détenue par le mil­liar­daire Jeff Bezos peu­vent se van­ter de l’utilisation de car­bu­rants (oxygène et hydrogène liq­uide) qui ne pro­duisent que de l’eau après com­bus­tion, d’autres comme la Space­Ship (de la société Vir­gin­Galac­tic de Richard Bran­son) ou le célèbre lanceur russe Soy­ouz (qui a déjà envoyé de rich­es touristes à bord de la Sta­tion Spa­tiale Inter­na­tionale) utilisent des car­bu­rants qui émet­tent d’autre com­posés carbonés. 

La propo­si­tion de la start­up française Zephal­to est donc de dévelop­per un bal­lon stratosphérique capa­ble de pro­pos­er à 6 voyageurs et 2 pilotes un voy­age « bas car­bone » dans l’espace. Pre­mier vol prévu : 2024.

Par­fois, l’aspect inno­vant ne con­siste pas à con­stru­ire de nou­veaux satel­lites mais à mieux utilis­er l’immense quan­tité de don­nées générées par tous les satel­lites déjà en place.  Ain­si, la start­up Kayrros, par exem­ple, utilise les don­nées des satel­lites d’observation de la Terre du pro­gramme européen COPERNICUS pour détecter automa­tique­ment les gross­es fuites de méthane indus­trielles, suiv­re la déforesta­tion, ou encore éval­uer pré­cisé­ment le con­tenu car­bone séquestré dans la végétation.

Revenons sur Terre. Dans le domaine de l’agriculture, la jeune pousse Agreen­cul­ture pro­pose une solu­tion de machines agri­coles autonomes guidées par satel­lites avec une pré­ci­sion au sol inférieure au cen­timètre, ce qui per­met aux robots de men­er à bien les tâch­es de désherbage et d’entretien programmés.

Robot désher­beur chargé de l’entretien des vignes. Crédit : Agreenculture

Et si, enfin, vous avez besoin de met­tre en orbite vos satel­lites pour mesur­er les radi­a­tions spa­tiales, assur­er une cou­ver­ture de télé­com­mu­ni­ca­tion ciblée ou syn­chro­nis­er des réseaux élec­triques ter­restres, la société U‑Space pro­pose à ses clients de les aider à con­cevoir et à con­stru­ire le (ou les) nanosatellite(s) correspondant(s) à leurs besoins. Une fois que ces derniers seront con­stru­its, les clients pour­ront choisir la start­up Exo­trail et son « space van » pour embar­quer plusieurs de ces nanosatel­lites et, une fois que le lanceur Falcon9 de SpaceX l’aura libéré dans l’espace, le laiss­er larguer pré­cisé­ment chaque charge utile sur sa pro­pre orbite opérationnelle. 

Nouvel Éden ou Far West débridé

C’est aux États-Unis que s’est dévelop­pé le New Space, avec l’émergence de star­tups inno­vantes soutenues par des mil­lion­naires du numérique qui n’hésitent plus à inve­stir mas­sive­ment dans ce nou­v­el accès à l’espace à prix réduit.

Car le numérique passe aujourd’hui par l’espace. Géopo­si­tion­nement, syn­chro­ni­sa­tion des réseaux, télé­com­mu­ni­ca­tions, inter­net plané­taire, ces nou­veaux marchés s’ouvrent à qui veut les pren­dre, et la com­péti­tion est féroce. Aujourd’hui, l’Europe tente de recon­quérir ce ter­rain. Certes, les entre­pris­es améri­caines ont plus de facil­ité à lever d’énormes sommes, mais elles dépensent aus­si beau­coup dans ce proces­sus, avec une effi­cac­ité, in fine, qui n’est pas dras­tique­ment supérieure à la démarche européenne, qui mise plus sur la sobriété et l’efficacité.

Une chose est sûre, le secteur des jeunes entre­pris­es posi­tion­nées sur le spa­tial (que ce soit en ter­mes de tech­nolo­gies inno­vantes ou de ser­vices util­isant des don­nées spa­tiales) est en plein essor en France. Aujourd’hui, c’est plusieurs jeunes pouss­es par mois qui voient le jour, et ce rythme s’accélère chaque année.

Aujourd’hui, c’est plusieurs jeunes pouss­es par mois qui voient le jour, et ce rythme s’accélère chaque année.

Et bien sûr, cette évo­lu­tion crois­sante ne va pas sans provo­quer des inquié­tudes légitimes. Quid du cadre lég­is­latif dans lequel se développe cette nou­velle économie ? En orbite basse, un satel­lite ne reste jamais au-dessus d’un même ter­ri­toire mais cir­cule libre­ment autour du monde. Ce sur­vol d’un nom­bre de plus en plus grand d’yeux et de détecteurs privés au-dessus de ter­ri­toires étrangers ne va pas sans pos­er un cer­tain nom­bre de prob­lèmes stratégiques et géopolitiques.

Et le dernier (et non le moin­dre) prob­lème est, bien sûr, l’augmentation expo­nen­tielle des satel­lites en orbite basse et celle du risque de col­li­sion dans l’espace, menaçant de pro­jeter, si un tel acci­dent arrivait à l’avenir, des mil­liers de débris autour de la Terre à plusieurs dizaines de mil­liers de kilomètre/heure (débris risquant eux-mêmes de provo­quer des dégâts sur d’autres satel­lites orbi­tant à la même alti­tude). Le prob­lème n’est pas tant les satel­lites indi­vidu­els que les con­stel­la­tions de satel­lites, ensem­bles de mil­liers, par­fois dizaines de mil­liers de microsatel­lites cou­vrant presque toute la sur­face ter­restre, comme le pro­jet d’internet plané­taire Star­link de SpaceX, actuelle­ment en cours de déploiement, et dont le nom­bre de satel­lites total est estimé, s’il parvient à son terme, à 42 000.

Certes, des entre­pris­es du New Space se spé­cialisent juste­ment dans la détec­tion et/ou le suivi en temps réel de ces cen­taines de mil­liers d’objets et de débris en orbite, comme la start­up français Space­able, mais cela suf­fi­ra-t-il à en garan­tir la sécu­rité ? Seul l’avenir nous le dira.

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