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Arm robot working with Screen monitor control industrial machine
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Industrie 4.0 : à quoi faut-il s’attendre ?

Thierry Rayna
Thierry Rayna
chercheur au laboratoire CNRS i³-CRG* et professeur de l’École polytechnique (IP Paris)
Nicolas Jaunet
Nicolas Jaunet
directeur de l'ingénierie de fabrication et industrie 4.0 à Michelin
En bref
  • L’introduction des nouvelles technologies dans les usines entraîne aujourd’hui l’émergence du concept d’usine 4.0.
  • Cette quatrième révolution industrielle dématérialise la gestion de la production et permet presque à tout le monde de devenir un industriel.
  • Concrètement, dans l’usine, la transformation passe par l’automatisation, la robotisation et l’utilisation généralisée de la data en temps réel.
  • L’industrie 4.0 permet de libérer du temps pour se concentrer sur des tâches moins chronophages et concevoir de nouveaux modèles industriels.
  • Tout l’enjeu consiste à savoir comment faire pour que les opérateurs conservent leurs compétences techniques tout en les déléguant à des machines.

Après la révo­lu­tion de la pro­duc­tion mécanique portée par la machine à vapeur en 1765, puis la pro­duc­tion de masse poussée par l’énergie élec­trique et pétrolière un siè­cle plus tard et enfin la pro­duc­tion automa­tisée soutenue par l’électronique et les tech­nolo­gies infor­ma­tiques dans les années 70, c’est l’introduction des nou­velles tech­nolo­gies dans les usines qui entraîne aujourd’hui l’émergence du con­cept d’ « indus­trie 4.0 ». « Une usine du futur mais qui n’est pas née de rien, rap­pelle Thier­ry Ray­na, pro­fesseur à l’École poly­tech­nique au sein du départe­ment Man­age­ment de l’innovation et directeur de la chaire “Tech­nol­o­gy for Change”. Les machines à com­man­des numériques datent déjà des années 80, et les struc­tures de pro­duc­tion exis­tantes présen­tent une force d’inertie à ne pas sous-estimer. »

Soyons réal­istes, les usines du futur ne vont donc pas rem­plac­er les usines « ordi­naires » d’un coup de baguette mag­ique. Néan­moins, en con­créti­sant la trans­for­ma­tion numérique, elles entraî­nent de vrais bouleversements…

L’usine 4.0 : évolution ou révolution ?

L’usine 4.0 peut adopter plusieurs formes : un lieu physique « clas­sique » ou un réseau plus dif­fus d’unités de pro­duc­tion et de trans­for­ma­tion basé sur des tech­nolo­gies numériques. Ces dernières per­me­t­tent alors une inter­con­nex­ion per­ma­nente des machines, des sys­tèmes, des pro­duits et des Hommes.

« Cette qua­trième révo­lu­tion indus­trielle dématéri­alise la ges­tion de la pro­duc­tion, et per­met notam­ment à des indi­vidus de devenir des indus­triels. », souligne Thier­ry Ray­na. Ain­si une per­son­ne peut imag­in­er un objet, iden­ti­fi­er un marché, créer un pro­to­type en impres­sion 3D pour le tester, puis trou­ver un prestataire pour le fab­ri­quer, et, sans aucun investisse­ment ou presque, met­tre en vente son pro­duit en ligne.

Alors, évo­lu­tion ou révo­lu­tion ? Pour chaque nou­velle tech­nolo­gie numérique, il y a tou­jours deux vagues, estime Thier­ry Ray­na.  « La pre­mière, c’est celle des entre­pris­es qui font la même chose qu’avant mais en util­isant ces nou­velles tech­nolo­gies. La sec­onde vague est portée par les indi­vidus, les entre­pre­neurs, qui s’emparent de ces tech­nolo­gies pour inven­ter des usages rad­i­cale­ment dif­férents. » Par exem­ple, la pre­mière ver­sion du Web à la fin des années 90 n’avait rien de très orig­i­nal, il s’agissait juste pour des fab­ri­cants de pro­pos­er leur cat­a­logue en ligne plutôt qu’en ver­sion imprimée.  « Mais quand les indi­vidus se sont appro­prié la toile pour inven­ter notam­ment les ency­clopédies col­lab­o­ra­tives et les dif­férents réseaux soci­aux, alors on a pu par­ler de révo­lu­tion

Et concrètement, dans l’usine ?

Chez Miche­lin, l’implémentation d’une ingénierie 4.0 est déjà bien avancée. « Il y a six ans, nous avons fait un pre­mier état des lieux des tech­nolo­gies 4.0 exis­tantes et ren­con­tré des indus­triels en Europe, aux États-Unis et en Asie dont les unités de pro­duc­tion fonc­tion­naient déjà en mode 4.0, explique Nico­las Jaunet, respon­s­able ingénierie du groupe Miche­lin. Nous avons décou­vert des per­son­nes très motivées, dont le méti­er et le tra­vail au quo­ti­di­en avaient été vrai­ment trans­for­més, et étaient devenus plus attrac­t­ifs. De plus, ces indus­tries dou­blaient leur per­for­mance annuelle par rap­port à celles d’un même secteur qui n’avaient pas encore franchi le pas. »

Pour implanter les tech­nolo­gies 4.0, il a d’abord fal­lu con­necter physique­ment les machines aux espaces de stock­age des don­nées, avant d’utiliser ces don­nées pour génér­er des cas d’applications per­me­t­tant d’améliorer la per­for­mance de l’entreprise. Un pre­mier volet de trans­for­ma­tion con­cerne l’automatisation des process, l’utilisation de l’intelligence arti­fi­cielle et de robots col­lab­o­rat­ifs, et le recours à des véhicules autonomes pour le trans­port de pièces et de matériels à l’intérieur de l’usine. Tra­duc­tion con­crète sur les lignes de pro­duc­tion : tous les pneus qui étaient con­trôlés manuelle­ment par des opéra­teurs passent désor­mais sous les radars de vision d’une intel­li­gence arti­fi­cielle, ce qui per­met à l’opérateur de libér­er du temps pour se focalis­er sur un tri plus qualitatif.

Deux­ième volet : l’utilisation de la data. Les opéra­teurs ont désor­mais accès en temps réel aux don­nées et à la per­for­mance des machines, de l’atelier et des usines. À par­tir de ces don­nées, cer­taines IA per­me­t­tent par exem­ple de faire de la main­te­nance pré­dic­tive sur cer­taines press­es de cuis­son, afin d’anticiper des pannes ou même de guider les per­son­nes pour iden­ti­fi­er l’origine d’une panne sur une machine. Au niveau du groupe, les unités de pro­duc­tion de dif­férentes usines ont généré des cas d’application, ce qui a per­mis de tester de nou­veaux process en temps réel sur des usines « leader dig­i­tal » avant de les déploy­er sur d’autres sites du groupe. 70 cas d’applications ont déjà été déployés 8 000 fois dans l’ensemble des usines du groupe.

Est-ce la fin du travail ?

Quel est l’effet de ces évo­lu­tions sur le tra­vail humain ?  « L’industrie 4.0 prend du temps à se déploy­er, ce qui nous donne large­ment le temps d’accompagner nos per­son­nels vers un change­ment de leur méti­er, voire vers de nou­velles fonc­tions, estime Nico­las Jaunet. Par ailleurs, si le tra­vail pénible est fait par la machine, les con­di­tions de tra­vail sont plus sat­is­faisantes pour les employés. » Les exper­tis­es de ces opéra­teurs sont amenées à évoluer. Ain­si, avec les nou­velles voitures élec­triques, il faut con­cevoir des matéri­aux (la gomme), et des pneus de haute tech­nolo­gie, capa­bles notam­ment de sup­port­er des véhicules beau­coup plus lourds. L’usine 4.0 devient ain­si un vrai levi­er de trans­for­ma­tion de l’industrie du pneu.

De son côté, Thier­ry Ray­na estime que plus on numérise, plus le tra­vail humain prend de la valeur, oblig­eant le per­son­nel à se con­cen­tr­er sur des tâch­es impor­tantes. Atten­tion en revanche à ne pas per­dre en exper­tise sur le tra­vail con­fié à des robots. « Par exem­ple, dans le domaine de la soudure, si la fab­ri­ca­tion des pre­mières pièces demande une réelle exper­tise, la pro­duc­tion des 1 000 ou 10 000 autres qui vont suiv­re peut devenir véri­ta­ble­ment pénible et ennuyeuse. Mais com­ment con­fi­er cette tâche à des robots sans que le maître soudeur ne perde en com­pé­tence ? » C’est tout le défi posé par ces nou­velles technologies… 

Marina Julienne 

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