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Peut-on cacher nos émissions de CO2 sous le tapis ?

Limiter le changement climatique en capturant le CO2 : rêve ou réalité ?

Didier Dalmazzone, professeur en chimie et procédés à l'ENSTA Paris (IP Paris)
Le 10 janvier 2023 |
5 min. de lecture
Ddidier Dalmazzone
Didier Dalmazzone
professeur en chimie et procédés à l'ENSTA Paris (IP Paris)
En bref
  • Le GIEC estime que la capture et le stockage du CO2 sont des stratégies d’atténuation permettant de limiter le réchauffement climatique.
  • Il faudrait pour ce faire capter 7,6 Gt CO2/an d’ici 2050, ce qui semble actuellement hors d’atteinte : la filière est encore à construire.
  • De nombreux défis sont en jeu pour généraliser cette technologie de captage, comme le coût du procédé ou les quantités d’eau et d’énergie requises.
  • Pour stocker le CO2, les anciens réservoirs d’hydrocarbures semblent plus stables que les aquifères salins profonds.
  • Valoriser le CO2 capté à l’échelle industrielle pourrait permettre d’éviter les inconvénients de son stockage.

#1 Nous sommes en mesure de capter suffisamment de COpour répondre aux objectifs de l’Accord de Paris.

En quoi l’affirmation #1 est-elle vraie ?

Les dif­férents scé­nar­ios d’atténuation du change­ment cli­ma­tique intè­grent les tech­nolo­gies de cap­tage, de stock­age et d’utilisation du CO2 (CCUS).

Dans son scé­nario de neu­tral­ité car­bone en 20501, l’Agence inter­na­tionale de l’énergie (AIE) prévoit de capter 7,6 Gt de CO2 chaque année d’ici 2050. Quant au Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (GIEC), il souligne dans son six­ième rap­port pub­lié en avril 20222 : « Les straté­gies d’atténuation per­me­t­tant de [lim­iter le réchauf­fe­ment à 1,5 °C ou 2 °C] inclu­ent la tran­si­tion vers des car­bu­rants fos­siles asso­ciés à la cap­ture et le stock­age du CO2 […], et le déploiement des méth­odes de cap­ture du CO2 [ndlr : comme la cap­ture directe atmo­sphérique] pour con­tre­bal­ancer les émis­sions résidu­elles. »

Il faut cepen­dant garder en tête que la cap­ture de CO2 n’est qu’une par­tie de la solu­tion : 37,1 Gt de CO2 d’origine fos­sile ont été émis en 20213. Un ensem­ble d’actions doit être mis en œuvre pour atténuer le change­ment cli­ma­tique : l’agriculture, la forêt ou encore les océans jouent tous, à leur façon, un rôle très impor­tant dans le bilan car­bone global.

En quoi l’affirmation #1 est-elle fausse ?

Les objec­tifs sont large­ment supérieurs aux capac­ités actuelles de cap­ture et de val­ori­sa­tion du CO2.

L’AIE estime qu’il faut capter 4 Gt de CO2/an en 2035 et 7,6 Gt d’ici 2050. À ce jour, seules 35 instal­la­tions com­mer­ciales utilisent les CCUS. Ces sites sont des démon­stra­teurs et leurs capac­ités de cap­tage sont extrême­ment faibles : moins de 0,05 Gt de CO2 par an4

L’AIE estime qu’il faut capter 4 Gt de CO2/an en 2035 et 7,6 Gt d’ici 2050.

La fil­ière est à con­stru­ire, et les objec­tifs de l’AIE sont hors d’atteinte en rai­son des investisse­ments néces­saires notam­ment dans les pays forte­ment émet­teurs comme la Chine, l’Inde et les États-Unis. La mon­tée en puis­sance passe par l’équipement de nou­velles instal­la­tions, mais aus­si par la réno­va­tion – très coû­teuse – des unités exis­tantes (le « retro­fit »).

En quoi l’affirmation #1 est-elle incertaine ?

Les quan­tités d’eau et d’énergie néces­saires au CCUS pour­raient être une lim­ite au procédé.

Intéres­sons-nous aux retombées de l’installation d’une unité de cap­ture de CO2 sur une cen­trale à char­bon exis­tante5. En par­tant d’un ren­de­ment élec­trique de 46 % pour une capac­ité de pro­duc­tion de 500 MWe, la perte d’efficacité dans le cas idéal serait au min­i­mum de 3,8 %. En réal­ité, cette perte s’élève plutôt à 10 %, soit un ren­de­ment après cap­ture ramené à 36 %. Les deux tiers de l’énergie con­som­mée le sont pour la cap­ture, et le tiers restant pour la com­pres­sion du CO2. Il faut ajouter à cela l’énergie néces­saire au trans­port et à l’injection : le main­tien du CO2 à l’état super­cri­tique ou liqué­fié néces­site beau­coup d’énergie. 

Con­cer­nant l’eau, les procédés actuels déga­gent beau­coup de chaleur. L’eau néces­saire pour refroidir l’installation aug­mentera la con­som­ma­tion de cette ressource.

#2 Il est déjà possible de capter et de valoriser le COémis par les activités humaines.

En quoi l’affirmation #2 est-elle vraie ?

De nom­breux secteurs utilisent déjà les tech­nolo­gies de CCUS.

Les tech­nolo­gies de cap­tage du CO2 exis­tent depuis les années 70 : elles sont notam­ment util­isées pour la récupéra­tion assistée du pét­role ou encore pour le traite­ment des gaz naturels. Mais, dans ce cadre, le CO2n’est pas val­orisé mais relâché dans l’atmosphère. 35 instal­la­tions indus­trielles com­mer­ciales utilisent les CCUS pour capter et val­oris­er le CO2, par exem­ple en trai­tant les fumées de com­bus­tion grâce à l’absorption chim­ique aux amines. 

En quoi l’affirmation #2 est-elle fausse ?

Les fil­ières de val­ori­sa­tion ou stock­age restent à développer.

À ce jour, par­mi les 440 Mt de CO2 cap­tées chaque année, 230 Mt de CO2 sont util­isées en majorité pour la pro­duc­tion d’urée pour la fer­til­i­sa­tion (130 mil­lions de tonnes) et la récupéra­tion assistée de pét­role (80 mil­lions de tonnes)6. Nous n’imaginons pas val­oris­er de cette façon des mil­liards de tonnes de CO2.

Con­cer­nant le stock­age, cer­tains démon­stra­teurs expéri­mentent déjà l’injection dans d’anciens champs gaziers. Mais le développe­ment de cette fil­ière devra faire face à des ques­tions d’acceptabilité sociale. Il est impor­tant de stock­er au plus près du cap­tage pour lim­iter les coûts : par exem­ple en France, dans le Bassin parisien à l’est de Paris ou encore dans les envi­rons de Pau.

En quoi l’affirmation #2 est-elle incertaine ?

L’intérêt de la cap­ture directe dans l’air (DAC), un procédé cou­vrant les émis­sions dif­fus­es (chauffage, voiture, etc.), reste discuté.

18 instal­la­tions de DAC exis­tent actuelle­ment dans le monde (Europe, États-Unis et Cana­da) : elles captent presque 0,01 Mt de CO2 chaque année. Ces petites struc­tures captent le CO2 pour des usages directs, comme la con­fec­tion de bois­sons gazeuses. Seules deux d’entre elles stock­ent le CO2 dans des for­ma­tions géologiques7.

La con­cen­tra­tion glob­ale de CO2 dans l’atmosphère est passée de 277 ppm avant l’ère indus­trielle à 417 ppm en 20228. Avec la DAC, il faudrait traiter des vol­umes d’air gigan­tesques pour attein­dre les con­cen­tra­tions de l’ère préin­dus­trielle ! Je pense que les investisse­ments néces­saires, les coûts de fonc­tion­nement et l’énergie req­uise font de la DAC une option de fini­tion : la pri­or­ité est de capter le CO2 en sor­tie des indus­tries les plus émettrices.

#3 Le stockage du CO2 à long terme est risqué.

En quoi l’affirmation #3 est-elle vraie ?

L’étanchéité des aquifères salins pro­fonds est mécon­nue à long terme.

Les aquifères salins pro­fonds sont des réser­voirs priv­ilégiés pour le CO2 : ils sont bien répar­tis sur la sur­face du globe et per­me­t­tent donc de lim­iter le trans­port du CO2. De plus, ils offrent un poten­tiel de stock­age très impor­tant, allant de 400 à 10 000 Gt9. Dans ces réser­voirs, le CO2 serait dis­sous dans l’eau pour y être stocké, mais des incer­ti­tudes per­sis­tent quant à la sta­bil­ité du réser­voir, notam­ment au niveau des risques géochim­iques. En effet, l’ajout de CO2 va acid­i­fi­er l’eau, ce qui pour­rait provo­quer des réac­tions chim­iques avec la roche hôte et frag­ilis­er le réservoir.

En quoi l’affirmation #3 est-elle fausse ?

Les anciens réser­voirs d’hydrocarbures sem­blent plus sta­bles dans le temps.

Les anciens réser­voirs d’hydrocarbures font par­tie des autres réser­voirs étudiés pour le stock­age du CO2. S’ils présen­tent l’inconvénient d’avoir une répar­ti­tion géo­graphique moins intéres­sante, leur étanchéité a été éprou­vée durant des mil­lions d’années en tant que réser­voirs d’hydrocarbures (gaz, char­bon ou pét­role). Les risques géomé­caniques et géochim­iques liés à l’injection du CO2 doivent tout de même être mieux appréhendés : cela fait actuelle­ment l’objet de démon­stra­teurs aux États-Unis, au Cana­da, en Algérie ou encore en Norvège.

En quoi l’affirmation #3 est-elle incertaine ?

De nou­velles voies de val­ori­sa­tion pour­raient per­me­t­tre de s’affranchir en par­tie du stock­age du CO2.

Nous l’avons déjà évo­qué, il est aus­si pos­si­ble de val­oris­er le CO2 cap­té. Mais les fil­ières restent aujourd’hui lim­itées : il est sûr qu’on ne peut pas aug­menter indéfin­i­ment la pro­duc­tion de fer­til­isant ! Mais de nom­breux procédés bien con­nus pour­raient per­me­t­tre de val­oris­er le CO2 autrement, cer­tains ont même déjà été dévelop­pés à l’échelle indus­trielle par le passé. Par exem­ple, grâce à une réac­tion entre l’hydrogène et le CO2, de nom­breux de car­bu­rants de syn­thèse peu­vent être pro­duits. Le CO2 peut égale­ment être util­isé pour pro­duire du plas­tique ou encore des car­bon­ates minéraux pour les matéri­aux de con­struc­tion. Le prob­lème réside dans le fait que ces procédés sont, à ce stade, plus coû­teux que ceux reposant sur les matéri­aux fos­siles comme le pétrole.

Anaïs Marechal
1IEA (2021), Net Zero by 2050, IEA, Paris https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​n​e​t​-​z​e​r​o​-​b​y​-2050, License: CC BY 4.0
2IPCC, 2022: Cli­mate Change 2022: Mit­i­ga­tion of Cli­mate Change. Con­tri­bu­tion of Work­ing Group III to the Sixth Assess­ment Report of the Inter­gov­ern­men­tal Pan­el on Cli­mate Change [P.R. Shuk­la, J. Skea, R. Slade, A. Al Khour­da­jie, R. van Diemen, D. McCol­lum, M. Pathak, S. Some, P. Vyas, R. Fradera, M. Belka­ce­mi, A. Hasi­ja, G. Lis­boa, S. Luz, J. Mal­ley, (eds.)]. Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, Cam­bridge, UK and New York, NY, USA. doi: 10.1017/9781009157926
3Friedling­stein, P., et al.: Glob­al Car­bon Bud­get 2022, Earth Syst. Sci. Data, 14, 4811–4900, https://doi.org/10.5194/essd-14–4811-2022, 2022
4IEA (2022), CO2 Cap­ture and Util­i­sa­tion, IEA, Paris https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​c​o​2​-​c​a​p​t​u​r​e​-​a​n​d​-​u​t​i​l​i​s​ation, License: CC BY 4.0
5Pp. 31 & 53 in D. Stolten & V. Scher­er Ed., Car­bon Cap­ture for Coal Pow­er Plants, 2011, Wiley-VCH GmbH & Co. ISBN 978–3‑527–33002‑7
6IEA (2022), CO2 Cap­ture and Util­i­sa­tion, IEA, Paris https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​c​o​2​-​c​a​p​t​u​r​e​-​a​n​d​-​u​t​i​l​i​s​ation, License: CC BY 4.0
7IEA (2022), Direct Air Cap­ture, IEA, Paris https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​d​i​r​e​c​t​-​a​i​r​-​c​a​pture, License: CC BY 4.0
8Friedling­stein, P., et al.: Glob­al Car­bon Bud­get 2022, Earth Syst. Sci. Data, 14, 4811–4900, https://doi.org/10.5194/essd-14–4811-2022, 2022
9Site con­sulté le 23/11/2022 : https://​www​.ifpen​ergies​nou​velles​.fr/​e​n​j​e​u​x​-​e​t​-​p​r​o​s​p​e​c​t​i​v​e​/​d​e​c​r​y​p​t​a​g​e​s​/​c​l​i​m​a​t​-​e​n​v​i​r​o​n​n​e​m​e​n​t​-​e​t​-​e​c​o​n​o​m​i​e​-​c​i​r​c​u​l​a​i​r​e​/​r​e​d​u​i​r​e​-​l​e​s​-​e​m​i​s​s​i​o​n​s​-​i​n​d​u​s​t​r​i​e​l​l​e​s​-​c​o​2​-​c​a​p​t​a​g​e​-​e​t​-​s​t​o​c​k​a​g​e​-​d​u-co2

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