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Peut-on cacher nos émissions de CO2 sous le tapis ?

Carboneo, la start-up qui veut recycler le CO2 en carburant

Cécile Michaut, journaliste scientifique
Le 26 mai 2021 |
3 min. de lecture
Marc Robert
Marc Robert
professeur à l’Université de Paris et directeur d'une équipe au laboratoire d’électrochimie moléculaire (CNRS)
En bref
  • La start-up française Carboneo cherche à transformer le CO2 atmosphérique en oxygène et en monoxyde de carbone ; une molécule très utile pour l’industrie chimique.
  • Pour ce faire, Carboneo veut récupérer le CO2 émis par les sites industriels (cimenteries, aciéries ou industries chimiques), dont les émissions s’élevaient à 133 millions de tonnes en 2019 en France.
  • Leur technologie a plusieurs avantages : elle ne contient pas de métaux rares, et fonctionne à température et pression ambiantes.
  • La preuve de concept a été apportée en 2019 via un article dans le journal Science, mais l’enjeu est désormais de changer d’échelle.

Recy­cler le CO2 plutôt que de l’envoyer dans l’atmosphère est l’une des voies pos­si­bles pour réduire nos émis­sions de gaz à effet de serre. Reste à prou­ver que cette tech­nolo­gie est viable industriellement.

Et si le CO2 pou­vait se recy­cler ? C’est l’idée inno­vante de chercheurs et de quelques start-ups dans le monde, dont la française Car­bo­neo, créée en décem­bre 2020. Son objec­tif : trans­former le CO2 en CO (monoxyde de car­bone) et oxygène. Le monoxyde de car­bone étant une molécule très utile pour l’industrie chim­ique, il pour­rait servir de brique de base pour de nou­veaux pro­duits… ou des carburants.

Pilote industriel dès 2025

L’idée est donc de récupér­er le CO2 là où il est con­cen­tré, c’est-à-dire sur les sites indus­triels tels que les cimenter­ies, les aciéries ou les indus­tries chim­iques, puis de pro­duire le monoxyde de car­bone. Celui-ci est alors réin­jec­té dans le process indus­triel, ou ven­du. L’ensemble fonc­tionne par élec­trol­yse, soit l’inverse d’une pile, et con­somme donc de l’électricité. Sur l’une des élec­trodes, le CO2 est réduit en CO, tan­dis que sur l’autre, l’eau est oxy­dée pour for­mer de l’oxygène.

Si l’idée est belle, sa réal­i­sa­tion indus­trielle n’est pas pour tout de suite. La preuve de con­cept a été apportée en 2019 via un arti­cle dans le jour­nal Sci­ence1 pub­lié avec des chercheurs cana­di­ens, mais l’enjeu est main­tenant de chang­er d’échelle. C’est le but de Car­bo­neo, qui s’installe dans l’incubateur Acce­lair d’Air Liq­uide, à Jouy-en-Josas (Yve­lines). « Des pilotes de lab­o­ra­toire et de taille inter­mé­di­aire sont en cours de fab­ri­ca­tion, et nous prévoyons de con­stru­ire un pilote indus­triel en 2025 », indique Marc Robert, pro­fesseur au lab­o­ra­toire d’électrochimie molécu­laire de l’université de Paris – CNRS, et co-fon­da­teur de Carboneo.

Pas de métaux rares

L’avantage de la tech­nolo­gie dévelop­pée par Car­bo­neo est sa sim­plic­ité : le catal­y­seur ne con­tient pas de métaux rares, seule­ment des élé­ments abon­dants comme le fer, le cobalt et le car­bone. L’électrolyseur fonc­tionne à tem­péra­ture et pres­sion ambiantes, et l’électrolyte est l’eau, ce qui per­met de ne pas pol­luer. Enfin, la mise en forme de l’électrode est sim­ple : le catal­y­seur, mélangé à une encre en car­bone, est déposé sur l’électrode en papi­er, et se dis­perse dans ses pores lorsque l’encre s’évapore.

L’objectif est d’atteindre quelques dizaines de kilo­grammes par heure dans le pilote pré-industriel.

Les dif­férents pilotes devront mon­tr­er que l’électrolyseur fonc­tionne aus­si bien à plus grande échelle, qu’il est sta­ble dans le temps, que les coûts et la main­te­nance sont maîtrisés… La tâche est ardue : on ne sait actuelle­ment trans­former que quelques mil­ligrammes de CO2 par heure. L’objectif est d’atteindre quelques dizaines de kilo­grammes par heure dans le pilote pré-industriel.

Quel coût énergétique et financier ?

Il ne faudrait cepen­dant pas croire que le recy­clage du CO2 est une solu­tion mir­a­cle, et que nous pou­vons jeter aux orties les efforts de réduc­tion de nos émis­sions. Pour don­ner quelques ordres de grandeur, les émis­sions de CO2 dues à l’industrie (inclu­ant l’industrie man­u­fac­turière, la trans­for­ma­tion de l’énergie et le traite­ment des déchets) s’élevaient à 133 mil­lions de tonnes en France en 2019 2. Or, pour traiter un kg de CO2, il faut con­som­mer entre 4 et 7 kWh d’électricité – suiv­ant les per­for­mances qui seront atteintes dans les élec­trol­y­seurs. Traiter tout le CO2 émis par l’industrie française con­som­merait entre 532 et 931 ter­awattheures (TWh), soit plus que la pro­duc­tion française la même année (537,7 TWh) !

Néan­moins, tout est bon à pren­dre pour réduire les émis­sions de CO2 dans l’atmosphère. La prin­ci­pale ques­tion sera celle du coût de la tech­nolo­gie. « Aujourd’hui, le CO2 ne coûte presque rien :  50 €/kg au max­i­mum, souligne Marc Robert. Mais la taxe car­bone devrait tripler d’ici 2030, ça va devenir coû­teux pour l’industrie. » De quoi ren­dre le recy­clage du CO2 rentable ? L’avenir de cette tech­nolo­gie dépen­dra beau­coup de déci­sions poli­tiques sur le prix du car­bone ou les oblig­a­tions de réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre.

1https://​sci​ence​.sci​encemag​.org/​c​o​n​t​e​n​t​/​3​6​5​/​6​4​5​1/367
2https://​www​.insee​.fr/​f​r​/​s​t​a​t​i​s​t​i​q​u​e​s​/​2​0​15759

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