Le CO2 atmosphérique
Nul ne peut aujourd’hui l’ignorer : le dioxyde de carbone (CO2) est l’un des principaux responsables de l’effet de serre, ce phénomène qui contribue au réchauffement du climat terrestre en redirigeant le rayonnement réfléchi vers les couches basses de l’atmosphère et le sol. Si l’effet de serre est indispensable au maintien d’une température propice au développement de la vie sur Terre, son excès menace notre climat de graves dérèglements à court ou moyen terme.
L’évolution de la concentration atmosphérique du CO2 montre une augmentation alarmante depuis le début de l’ère industrielle et, plus particulièrement, une véritable explosion depuis le milieu du vingtième siècle, passant de 300 parties par million (ppM) en 1950 à plus de 400 ppM aujourd’hui. Selon les estimations les plus récentes des experts du GIEC, une réduction drastique et rapide des émissions est indispensable pour maintenir le réchauffement climatique dans des limites acceptables : il s’agit ni plus ni moins de ramener ces émissions de 50 milliards de tonnes par an… à zéro d’ici 2050 (scénario +1,5 °C) ou 2075 (scénario +2 °C). Nous sommes donc confrontés à un défi qui ne pourra être relevé qu’en associant un grand nombre de solutions.
Capture du CO2 : la filière DAC (« Direct Air Capture »)
On notera que la nature – notamment par le phénomène de photosynthèse –, capture déjà de grandes quantités de CO2 atmosphérique, pour le stocker de façon très durable dans les végétaux, les animaux qui les consomment, et finir par former du charbon, du pétrole et du gaz… On ne parlera pas ici de capture naturelle du CO2, même si la valorisation de la biomasse est considérée comme l’une des solutions les plus prometteuses pour réduire la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Parmi les autres solutions, la capture industrielle du CO2 et son stockage à long terme – sa « séquestration » – pourraient représenter jusqu’à près de 20 % des réductions d’émissions. Jusque très récemment, la capture était uniquement envisagée dans les effluents des industries fortement émettrices : centrales électriques à charbon ou à fuel lourd, cimenteries, aciéries, raffinage pétrolier, production d’ammoniac… Étant donné la concentration élevée de CO2 dans ces effluents, leur capture est relativement « facile », et les technologies pour le faire existent depuis longtemps. Cependant, ces émissions concentrées ne représentent qu’environ 50 % des émissions totales, l’autre moitié étant constituée des émissions diffuses dues aux secteurs des transports, du bâtiment ou aux petites industries.
La capture industrielle du CO2 et son stockage pourraient représenter jusqu’à près de 20 % des réductions d’émissions.
La capture directe du CO2 atmosphérique (DAC, pour « Direct Air Capture »), solution a priori efficace au problème des émissions diffuses, se heurte à la difficulté majeure de la faible concentration. Avec 400 ppM dans l’air, et en supposant un taux de capture de 100 %, il faudrait en effet traiter 1,25 millions de mètres cubes d’air pour capturer une tonne de CO2. Rappelons l’enjeu : capturer des centaines de millions, voire des milliards de tonnes ! C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles les projets de développement d’une filière DAC ne sont apparus que très récemment. D’autres raisons étant la difficulté de trouver un débouché au CO2 capté et un modèle économique justifiant les investissements qui devront être consentis, ainsi que le coût énergétique très élevé des procédés de capture.
Sur le plan technologique, les projets existants font appel à des solutions éprouvées, basées sur la réactivité chimique du CO2 (un gaz acide) avec des réactifs basiques. Les premiers prototypes mis au point au début de ce siècle ne présentaient pas d’innovation majeure. On peut citer le démonstrateur de tour d’absorption à la soude présenté en 2008 par l’Université de Calgary, d’une capacité de capture de 20 tonnes de CO2 par an. Depuis, les technologies ont évolué et plusieurs acteurs industriels semblent sur la voie d’un développement à grande échelle de la filière DAC. Le procédé par voie humide des origines (barbotage de l’air aspiré dans une solution de soude ou de potasse) se voit concurrencé par des procédés par voie sèche, utilisant par exemple des membranes imprégnées de réactif basique. C’est ce que propose la start-up Suisse Climeworks, issue de l’École polytechnique fédérale de Zurich. La société fait état de quatorze installations opérationnelles ou en projet à ce jour, dont la plus grosse usine DAC commerciale au monde : le projet ORCA, en cours de construction en Islande, qui sera capable de capturer 4 000 tonnes de CO2 atmosphérique par an. Mais même si les progrès semblent s’accélérer avec la prise de conscience des enjeux, nous restons encore loin des objectifs de moyen terme.
Les coûts associés
Quel que soit le réactif employé, l’un des principaux postes de dépenses de la filière reste l’énergie nécessaire pour extraire le CO2. Car il est bien sûr indispensable de disposer de CO2 pur pour le stocker dans des réservoirs géologiques ou pour le valoriser comme matière première industrielle. Or si le CO2 est si prompt à réagir avec des réactifs basiques, l’opération inverse requiert un chauffage à des températures élevées, supérieures à 100 °C. Cette opération de régénération permet de récupérer le réactif basique, qui pourra ainsi être réinjecté dans le cycle de capture. Cette étape cause aussi des pertes de réactif, ce qui constitue un deuxième poste de dépenses pour le procédé. Le troisième poste est celui du conditionnement du CO2 capté, plus précisément de sa compression jusqu’à atteindre l’état supercritique, au-dessus de 80 bars. Au-delà de l’aspect économique, ces coûts énergétiques ont un effet paradoxal, puisque le procédé de capture a lui-même un bilan carbone défavorable. Ainsi, il peut émettre une quantité de CO2 équivalente à 30 % du carbone qu’il élimine.
Des procédés plus innovants sont à l’étude, parmi lesquels on peut citer l’« Electro-Swing-Absorption » (ESA)1. Ce procédé est basé sur une batterie électrochimique utilisant comme matériau d’électrode le poly-anthraquinone, un polymère capable de fixer le CO2 sous l’effet d’un potentiel électrique au cours de la charge. Lors de l’opération inverse, la décharge de la batterie libère le CO2 tout en fournissant un courant électrique utilisable. Encore au stade de recherche, ce procédé a fait l’objet d’études techno-économiques destinées à évaluer le coût de capture à grande échelle dans une fourchette de 50 à 100 $ par tonne de CO2. À titre de comparaison, le cours de la tonne de CO2 sur le marché européen des droits d’émissions, en forte hausse depuis quelques mois, fluctue actuellement autour de 55 € (66 $) par tonne.