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L'hydrogène vert doit encore faire ses preuves

Pourquoi l’hydrogène est émetteur de CO2

Didier Dalmazzone, professeur en chimie et procédés à l'ENSTA Paris (IP Paris)
Le 8 juillet 2021 |
5 min. de lecture
Ddidier Dalmazzone
Didier Dalmazzone
professeur en chimie et procédés à l'ENSTA Paris (IP Paris)
En bref
  • L'hydrogène gris, la méthode la plus répandue pour produire de l'hydrogène, est aussi le procédé qui présente la pire empreinte carbone.
  • Il est produit par reformage à la vapeur de gaz naturel et coûte 1,5 €/kg, contre 6 €/kg pour l'hydrogène produit par électrolyse.
  • La production d'hydrogène devrait être multipliée par 14 pour couvrir 20 % de la consommation énergétique mondiale, ce qui n'est pas possible actuellement avec l'hydrogène gris.
  • L'énergie de l'hydrogène peut être utilisée pour fabriquer d'autres carburants, directement comme agent propulseur ou dans une pile à combustible – chaque méthode ayant ses propres défis à relever.

Cet arti­cle fait par­tie du deux­ième numéro de notre mag­a­zine Le 3,14 dédié
à l’hy­drogène. Décou­vrez-le ici

L’hydrogène gris

Par « hydrogène gris », on entend l’hydrogène pro­duit à par­tir de com­bustibles fos­siles. C’est le mode de pro­duc­tion qui est, de très loin, le plus employé pour pro­duire l’hydrogène aujourd’hui. C’est aus­si celui qui présente le bilan car­bone le plus défavorable.

Loin de son poten­tiel futur comme vecteur d’énergie, l’hydrogène sert actuelle­ment surtout de matière pre­mière dans l’industrie, que ce soit dans le raf­fi­nage pétroli­er pour l’hydrocraquage et la désul­fu­ra­tion des car­bu­rants (env­i­ron 44 % de la demande), dans la syn­thèse d’ammoniac pour les engrais azotés (38 %), pour la pro­duc­tion de cer­tains pro­duits chim­iques (8 %), ou encore dans l’industrie ali­men­taire et divers­es autres appli­ca­tions (10 %). Ces besoins, qui représen­tent 75 mil­lions de tonnes d’hydrogène par an à l’échelle mon­di­ale, sont donc cou­verts à 48 % par le procédé de refor­mage du gaz naturel, à 30 % à par­tir d’hydrocarbures pétroliers et à 18 % par gazéi­fi­ca­tion du char­bon. Cette pro­duc­tion s’accompagne de l’émission d’un mil­liard de tonnes de CO2 chaque année. L’électrolyse de l’eau, beau­coup moins car­bonée – mais tout dépend du mix élec­trique util­isé – cou­vre à ce jour moins de 5 % de la demande. 

Pourquoi les com­bustibles fossiles ?

Dans tous les cas, la fab­ri­ca­tion d’hydrogène passe par la décom­po­si­tion de la molécule d’eau, une opéra­tion qui demande une grande quan­tité d’énergie : 121 méga­joules pour pro­duire 1 kg d’hydrogène. Dans les procédés con­ven­tion­nels, une par­tie de cette énergie est apportée par la réac­tion d’un com­bustible avec de la vapeur d’eau à haute tem­péra­ture. Le mélange de com­bustible et d’eau est alors con­ver­ti par la réac­tion de refor­mage, en un mélange de monoxyde de car­bone (CO) et d’hydrogène. Cette opéra­tion demande néan­moins l’apport d’un com­plé­ment d’énergie, qui est apporté par la com­bus­tion de fuel ou de gaz afin de main­tenir le réac­teur de refor­mage à la bonne tem­péra­ture opéra­tionnelle. Après cette pre­mière étape, il est néces­saire de recourir à une opéra­tion de « water gas shift » (réac­tion du gaz à l’eau) afin de con­ver­tir le CO, très tox­ique, en CO2 par réac­tion avec de la vapeur d’eau à moyenne température.

Au bilan, on con­state que du CO2 est généré en grande quan­tité aux dif­férentes étapes du procédé : con­ver­sion du CO issu du reformeur, com­bus­tion de fuel pour la pro­duc­tion de vapeur et pour l’apport énergé­tique dans le reformeur. Pour chaque tonne d’hydrogène pro­duite, ce sont ain­si près de 12 tonnes de CO2 qui sont libérées dans l’atmosphère. 

Si le refor­mage des com­bustibles fos­siles reste, mal­gré son bilan car­bone exécrable, le procédé le plus util­isé, c’est en rai­son d’un avan­tage décisif en matière de coûts. L’hydrogène issu du refor­mage de gaz naturel en grand vol­ume coûte env­i­ron 1,5 €/kg, là où celui pro­duit par élec­trol­yse de l’eau revient à 6 €/kg. Notons néan­moins que, même au coût le plus bas, l’hydrogène revient encore 3 fois plus cher que le gaz naturel à quan­tité d’énergie équivalente.

En plus des prob­lèmes de prix de revient et d’émissions de GES, l’hydrogène souf­fre de capac­ités de pro­duc­tions encore très insuff­isantes pour représen­ter à ce jour une solu­tion viable pour la tran­si­tion énergé­tique. En effet, si elle était con­sacrée inté­grale­ment à la con­ver­sion d’énergie, la pro­duc­tion mon­di­ale actuelle d’hydrogène cou­vri­rait à peu près 214 Mtep (mil­lions de tonnes équiv­a­lent pét­role). Or, la demande mon­di­ale annuelle d’énergie est de 14,5 Gtep (mil­liards de tep). Ain­si, il faudrait accroître la pro­duc­tion d’un fac­teur 14 pour que l’hydrogène puisse cou­vrir 20 % de la con­som­ma­tion énergé­tique mon­di­ale. Pour que cela ait un sens, il est évi­dent que cela ne pour­ra pas se faire avec de l’hydrogène gris !

Con­ver­sion énergé­tique de l’hydrogène

On par­lera donc ici de con­ver­sion énergé­tique d’hydrogène d’origine renou­ve­lable de préférence. L’hydrogène est un com­posé très ver­sa­tile, qui peut être con­ver­ti en énergie de dif­férentes manières :

- Sous forme ther­mochim­ique, par réac­tion avec des réac­t­ifs appro­priés. On obtient alors une énergie poten­tielle, aisé­ment stock­able sur de longues durées et util­is­able à la demande. Par le procédé Sabati­er, en util­isant du CO2 comme réac­t­if, on obtient du méthane syn­thé­tique qui peut ensuite servir de com­bustible pour l’industrie et les trans­ports ou être injec­té dans les réseaux. Ce con­cept est con­nu sous le voca­ble « pow­er to gas », dans le cas où l’hydrogène util­isé provient de l’électrolyse de l’eau. Par le procédé Fis­ch­er-Trop­sch, on obtient des com­bustibles liq­uides (« pow­er to liq­uids »). Par le procédé Haber-Bosch on obtient, en com­bi­nant l’hydrogène avec l’azote de l’air, de l’ammoniac facile­ment stock­able et qui peut lui-même servir de combustible.

- Sous forme de chaleur et de tra­vail mécanique, par com­bus­tion dans l’air ou avec l’oxygène pur. C’est notam­ment le principe du moteur-fusée, util­isé sur cer­tains étages des fusées Ari­ane. Cette solu­tion fait par­tie des moyens envis­agés pour propulser les futurs avions à hydrogène. L’hydrogène peut égale­ment être addi­tion­né en quan­tité lim­itée aux com­bustibles con­ven­tion­nels, dans les réseaux de gaz naturel ou pour ali­menter les moteurs à com­bus­tion interne.

- Sous forme de chaleur et de tra­vail élec­trique, par oxy­da­tion ménagée dans une pile à com­bustible (PàC). Il existe aujourd’hui une grande var­iété de tech­nolo­gies de PàC, cer­taines très matures, d’autres tout juste par­v­enues au stade com­mer­cial, d’autres enfin, encore en développe­ment. L’un des enjeux majeurs est d’optimiser le ren­de­ment élec­trique des PàC, qui se lim­ite aux alen­tours de 60–65 % dans le meilleur des cas. Cela sig­ni­fie que seule 60 à 65 % de l’énergie ther­mochim­ique trans­portée par le com­bustible est effec­tive­ment con­ver­tie en tra­vail élec­trique, le reste étant per­du sous forme de chaleur. Si cette chaleur est pro­duite à basse ou moyenne tem­péra­ture (< 500 °C par exem­ple), elle est dif­fi­cile­ment val­oris­able, alors que la chaleur pro­duite à haute tem­péra­ture (entre 700 et 1000 °C) peut être con­ver­tie en tra­vail mécanique avec une bonne effi­cac­ité. C’est tout l’enjeu des piles à com­bustible à car­bon­ates fon­dus (MCFC) ou à oxy­des solides (SOFC). Quoique promet­teuses pour cer­taines appli­ca­tions – fix­es en général – ces tech­nolo­gies haute tem­péra­ture en sont encore à un stade pré­coce de leur développe­ment. Les PàC les plus employées sont celles à élec­trolyte liq­uide (solu­tion alca­line ou acide) et à mem­branes échangeuses de pro­tons (PEMFC pour « pro­ton exchange mem­brane fuel cell »), qui tra­vail­lent à des tem­péra­tures mod­érées. Les PàC pour la mobil­ité appar­ti­en­nent pour l’essentiel cette dernière tech­nolo­gie, qui reste néan­moins coû­teuse en rai­son des matéri­aux qu’elle utilise (mem­brane, catal­y­seur à base de platine). 

On peut espér­er que les recherch­es en cours et le développe­ment d’un marché de masse per­me­t­tront aux PàC de con­naître des pro­grès com­pa­ra­bles à ceux réal­isés par les bat­ter­ies, en ter­mes de coûts et d’efficacité, et à l’hydrogène de trou­ver sa place dans la tran­si­tion énergétique.

Auteurs

Ddidier Dalmazzone

Didier Dalmazzone

professeur en chimie et procédés à l'ENSTA Paris (IP Paris)

Didier Dalmazzone est aussi membre du Comité de Direction du Centre Interdisciplinaire Energy for Climate de l'Institut Polytechnique de Paris. Responsable du Parcours Production et Gestion de l'Énergie en 3ème année du cursus ingénieur ENSTA Paris, il est également responsable de la Mention de Master en Energie de l'IP Paris. Ses activités de recherche sur les procédés pour la transition énergétique concernent la filière hydrogène, la capture du CO2 ainsi que la réfrigération.

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