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Voitures : quelles solutions contre la pollution ?

Les routes de demain produiront de l’énergie

Bernard Jacob, professeur à l'ENTPE et l'ESIEE (Univ. Gustave Eiffel)
Le 6 octobre 2021 |
4 min. de lecture
Bernard Jacob
Bernard Jacob
professeur à l'ENTPE et l'ESIEE (Univ. Gustave Eiffel)
En bref
  • Le transport routier représente environ 30% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES).
  • Une part de ces émissions provient des routes, car les matériaux les constituant, comme le ciment ou le bitume, sont non renouvelables et nécessitent une forte consommation d’énergie.
  • Pour y remédier, des systèmes sans contact par induction sont en cours de développement ou d’essais en Europe et en Asie.
  • La Suède et l’Allemagne expérimentent ces systèmes dits de « routes électriques » (ERS).
  • La surface des routes reçoit les rayons solaires, et pourrait constituer une source d’énergie de l’ordre de 2,25GW (soit 3,5 % de la puissance électrique installée en France).

[Cet arti­cle est la syn­thèse d’une note pub­liée par La Jaune et La Rouge. Pour lire le texte orig­i­nal, cliquez ici.]

Le trans­port routi­er – routes et véhicules ther­miques – représente env­i­ron 30 % des émis­sions mon­di­ales de gaz à effet de serre (GES). Ce secteur néces­site donc des efforts impor­tants pour attein­dre la neu­tral­ité car­bone. Si l’automobile est en pleine tran­si­tion énergé­tique (élec­tric­ité) et d’usage (véhicules autonomes), les routes doivent aus­si s’adapter, car une part impor­tante des matéri­aux les con­sti­tu­ant, comme le ciment ou le bitume, sont non renou­ve­lables et néces­si­tent une forte con­som­ma­tion d’énergie.

Des États, dont la France, ten­tent d’encourager un trans­fert modal vers le fer­rovi­aire et le flu­vial, par des poli­tiques publiques, mais la part du trans­port routi­er reste prépondérante, notam­ment pour les marchan­dis­es, et con­tin­ue même à aug­menter. Par con­séquent, depuis une dizaine d’années les États ont infléchi leurs poli­tiques et cher­ché à décar­bon­er la route et les véhicules, tout en encour­ageant la com­plé­men­tar­ité des modes, cha­cun étant util­isé là où il est per­for­mant et économique­ment viable. Le con­cept de route du futur ou de cinquième généra­tion1 prend tout son sens dans ce con­texte et ouvre de nou­velles per­spec­tives pour le XXIe siècle.

Une route électrique 

Les bat­ter­ies atteignent leurs lim­ites physiques et économiques, en par­ti­c­uli­er pour les véhicules lourds (camions, auto­cars), et ne peu­vent pas assur­er seules des autonomies de plusieurs cen­taines de kilo­mètres pour les plus grands véhicules à pleine charge, ou à des coûts, vol­umes et mass­es inac­cept­a­bles. Une solu­tion con­siste à ali­menter les véhicules en marche, par l’infrastructure. Des sys­tèmes d’alimentation élec­trique dévelop­pés dans le domaine fer­rovi­aire (trains, métros, tramways) peu­vent être adap­tés à la route. Siemens pro­pose ain­si une ali­men­ta­tion par caté­naires et pan­tographes (dou­ble caté­naire car il n’y a pas de retour courant par le sol), Alstom développe une ali­men­ta­tion par le sol avec des rails élec­tri­fiés par tronçons (trans­po­si­tion du sys­tème du tramway de Bor­deaux) et Elways pro­pose un rail pro­filé creux, tous deux avec des patins ou un ergot de cap­ta­tion instal­lés sous les véhicules. Des sys­tèmes sans con­tact par induc­tion exis­tent déjà en sta­tique pour les bus et sont en cours de développe­ment ou d’essais en Europe et en Asie. La Suède et l’Allemagne expéri­mentent ces sys­tèmes dits de « routes élec­trique » (ERS) et un rap­port d’état de l’art a été pub­lié sur le sujet en 2018 par l’association mon­di­ale de la route2.

L’ERS serait per­ti­nent sur des cor­ri­dors autoroutiers à fort traf­ic, notam­ment pour les poids lourds, qui représen­tent près de 30 % des émis­sions du trans­port routi­er. Il per­me­t­trait non L’ERS serait per­ti­nent sur des cor­ri­dors autoroutiers à fort traf­ic, notam­ment pour les poids lourds, qui représen­tent près de 30 % des émis­sions du trans­port routi­er. Il per­me­t­trait non seule­ment d’assurer la propul­sion des véhicules sur le réseau équipé, mais aus­si de recharg­er leurs bat­ter­ies pour leur don­ner une autonomie suff­isante en dehors du réseau élec­tri­fié. Les coûts d’investissement des solu­tions ERS sont estimés (avant indus­tri­al­i­sa­tion) entre 2 et 5 mil­lions d’euros par kilo­mètre, et pour la France il est admis que 3 à 4 000 km d’autoroutes seraient éli­gi­bles à l’ERS dans un pre­mier temps, exten­si­ble jusqu’à 8 à 10 000 km. Ce qui représente un investisse­ment de 10 à 15 mil­liards d’euros (il suf­fi­rait d’équiper 50 % de la longueur des voies lentes, compte tenu de la présence de bat­ter­ies tam­pons dans les véhicules). Avec une durée d’amortissement de vingt à trente ans et un sys­tème de con­ces­sion, cela ne sem­ble pas hors de portée. Toute­fois, les ques­tions de sécu­rité, de résilience du sys­tème et du mod­èle économique (répar­ti­tion des coûts et béné­fices) restent à clar­i­fi­er, maisil n’y a a pri­ori pas de ver­rou majeur identifié.

Une route à énergie positive et intelligente

La route est con­som­ma­trice d’énergie, tant pour sa con­struc­tion, sa main­te­nance et son exploita­tion (éclairage et sig­nal­i­sa­tion) que pour les véhicules qui l’empruntent. Mais elle peut égale­ment en être pro­duc­trice : sa sur­face, qui reçoit les rayons solaires, pour­rait en effet con­stituer une source d’énergie. Avec des hypothès­es pru­dentes, de 25 % de temps d’ensoleillement (soit la moitié de la journée), 0,5 % de la sur­face routière util­isée et 300 W/m² d’énergie reçue, la puis­sance moyenne reçue serait de l’ordre de 2,25 GW, soit 3,5 % de la puis­sance élec­trique instal­lée en France, ou un peu plus de la moitié de celle con­som­mée par le trans­port routi­er. Certes, la part réelle­ment récupérable de cette énergie est prob­a­ble­ment faible, mais elle pour­rait toute­fois con­tribuer à la décar­bon­a­tion du secteur routi­er, voire répon­dre à des besoins énergé­tiques lim­ités au voisi­nage d’une route équipée.

La récupéra­tion d’énergie solaire via les routes pour­rait être ther­mique, avec la chaleur emma­gas­inée, ou pho­to­voltaïque, avec l’insertion de cel­lules dans la couche de roule­ment ren­due trans­par­ente pour laiss­er pass­er la lumière inci­dente. La pre­mière solu­tion est com­mer­cial­isée en France avec suc­cès par Eurovia pour la réha­bil­i­ta­tion ther­mique de bâti­ments. La sec­onde solu­tion, pro­posée par Colas (Wattway), peut servir à ali­menter des cap­teurs ou con­tribuer à l’éclairage. Les deux solu­tions peu­vent se com­bin­er sur un même site. Néan­moins le ren­de­ment de ces tech­nolo­gies reste lim­ité et les investisse­ments assez lourds, surtout pour la solu­tion pho­to­voltaïque. Enfin, la route du XXIe siè­cle n’est plus un sim­ple ruban de bitume sup­por­t­ant des véhicules et équipée de dis­posi­tifs de sécu­rité et de sig­nal­i­sa­tion. Au-delà de ses fonc­tions physiques, la route sera de plus en plus équipée de cap­teurs, de sys­tèmes d’information et de com­mu­ni­ca­tion, et con­nec­tée aux véhicules qui l’empruntent ain­si qu’aux opéra­teurs qui la gèrent. La route dite « intel­li­gente » devra s’autodiagnostiquer, voire s’auto-réparer, et com­mu­ni­quer sur son état et son évo­lu­tion. Sa fonc­tion sera col­lab­o­ra­tive, dans la mesure où elle par­ticipera à la ges­tion ou au con­trôle du traf­ic, à l’alimentation énergé­tique de cer­tains véhicules et au guidage ou à la sur­veil­lance des véhicules autonomes. En out­re, elle s’intégrera dans un véri­ta­ble sys­tème glob­al de ser­vices de mobil­ité. Cepen­dant, chaque solu­tion et le mod­èle économique asso­cié doivent être étudiés pour éviter les mythes technologiques.

1Hau­tière N., de La Roche C. & Piau J.-M. (2015), Les routes de 5e généra­tion, Pour la Sci­ence, n° 450, avril 2015, pp. 26–35.
2PIARC (2018), Elec­tric Road Sys­tems : a Solu­tion for the Future?, Report of a Spe­cial Project, 2018SP04EN, 138 pp.

Auteurs

Bernard Jacob

Bernard Jacob

professeur à l'ENTPE et l'ESIEE (Univ. Gustave Eiffel)

Bernard Jacob a commencé à travailler au SETRA sur la sécurité des ponts et les codes de charge, puis a rejoint le Laboratoire Central des Ponts et Chaussées (LCPC) où il a dirigé des projets sur la fatigue des ponts métalliques sous trafic. Il a dirigé des projets européens et internationaux sur le pesage des poids lourds, les interactions dynamiques entre infrastructures et véhicules, la sécurité et le comportement des poids lourds, leurs poids et dimensions (expertise pour la Commission européenne) et a été directeur technique exploitation et sécurité routière au LCPC puis transports et infrastructures à l'IFSTTAR avant de rejoindre la vice-présidence Recherche de l'Université Gustave Eiffel.

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