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Voitures : quelles solutions contre la pollution ?

Paris : moins de voies dans le centre, plus de pollution sur le périphérique

Léa Bou Sleiman, doctorante en économie urbaine et environnementale au Centre de Recherche en Économie et Statistique (CREST) de l’École polytechnique (IP Paris)
Le 25 mai 2022 |
4 min. de lecture
Léa Bou Sleiman
Léa Bou Sleiman
doctorante en économie urbaine et environnementale au Centre de Recherche en Économie et Statistique (CREST) de l’École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • La question de la congestion appelle celle de la pollution, dont celle de l’air. Selon l’OMS, elle serait responsable de 4,2 millions de morts prématurées par an dans le monde.
  • En 2016, la Ville de Paris a fermé la voie Georges-Pompidou, aussi appelée « les voies sur Berges », qui était auparavant empruntée par environ 40 000 véhicules par jour sur 3,3 km de long.
  • La pollution de l’air s’est alors déplacée. La concentration de NO2 dans l’air a augmenté à hauteur de 70 μg/m3 sur la borne de pollution au niveau du périphérique Est (en 2015) alors qu’au centre, le taux de pollution se maintient autour de 40 μg/m3.
  • Pour endiguer cette pollution et ces problématiques, la réouverture des berges (à certains moments de la journée) ou l’instauration d’un péage urbain peuvent être des solutions envisageables.

La con­ges­tion du traf­ic auto­mo­bile en zone urbaine n’est pas nou­velle. La ville de Paris, réputée pour ses embouteil­lages, a notam­ment voulu flu­id­i­fi­er la cir­cu­la­tion en aug­men­tant le nom­bre de voies, dans les années 80. Mais cette ten­ta­tive de ges­tion a con­duit à ce qu’on appelle le para­doxe de Bræss : l’ajout ou la mod­i­fi­ca­tion de routes – ici l’augmentation du nom­bre de voies – mod­i­fie le flux de cir­cu­la­tion, et en réduit sa per­for­mance glob­ale. Or, la ques­tion de la con­ges­tion appelle celle de la pol­lu­tion, dont celle de l’air. Selon l’OMS, elle serait respon­s­able de 4,2 mil­lions de morts pré­maturées par an dans le monde1, provo­quées notam­ment par l’exposition aux par­tic­ules (ultra)fines dans les villes. Face à cette prob­lé­ma­tique gran­dis­sante de san­té publique, plusieurs poli­tiques de fer­me­ture de voies ont vu le jour, bien que régulière­ment con­testées pour leur manque de preuve quant à leur effet pré­sumé sur la qual­ité de l’air.

Des centres plus verts, mais des banlieues plus grises

En 2016, suiv­ant cette logique, la Ville de Paris a fer­mé la voie Georges-Pom­pi­dou, aus­si appelée « les voies sur Berges ». Emprun­té par env­i­ron 40 000 véhicules par jour sur 3,3 km de long, ce tronçon per­me­t­tait d’ac­céder à Paris et cer­taines ban­lieues. Bien que la réduc­tion de cette voirie entraîne divers effets béné­fiques intra­muros (qual­ité de l’air, besoin de plus vastes espaces publics, réduc­tion des nui­sances sonores…), elle a provo­qué la dépor­ta­tion d’usagers sur d’autres voies. Résul­tat : les voies Ouest-Est du périphérique sud ont vu leur con­ges­tion aug­menter de 15 %, ajoutant 2 min­utes de tra­jet sur une dis­tance de 10 km.

La con­ges­tion des berges de Seine s’ex­porte donc en périphérie, qui con­naît déjà une hausse glob­ale des com­pli­ca­tions res­pi­ra­toires de ses habi­tants. Selon une étude menée par l’association Air­parif2, 5 040 décès pré­maturés dans la métro­pole du Grand Paris et près de 7 920 en Île-de-France sont à déplor­er entre 2017 et 2019. Il n’y a pas d’indication que cette hausse soit un effet dû à l’augmentation de la con­ges­tion en ville, mais il ne l’améliore sans doute pas.

Carte de Paris mon­trant l’exposition à la pol­lu­tion3

La pol­lu­tion de l’air s’est donc déplacée aug­men­tant la con­cen­tra­tion dans l’air autour de 70 μg/m3 pour le NO2 sur la borne de pol­lu­tion au niveau du périphérique Est (en 2015) alors qu’au cen­tre, le taux de pol­lu­tion se main­tient autour de 40 μg/m3. Or, le niveau recom­mandé par l’UE est de 40. Cette dépor­ta­tion mon­tre que les espaces déjà grande­ment con­fron­tés aux prob­lèmes de pol­lu­tion le sont d’autant plus et que l’impact sur la san­té, bien que com­plexe à cor­réler avec de telles mesures, pour­rait être impor­tant dans les années à venir. 

Les analy­ses de notre étude sur le sujet4 sem­blent indi­quer que si les auto­mo­bilistes ne changent pas de modes de trans­ports, c’est parce qu’ils sont dans l’impossibilité de le faire. L’élargissement des trans­ports en com­mun ne suiv­ant pas la cadence, les poli­tiques publiques pénalisent les « cap­tifs de la voiture » habi­tant en périphérie, et qui le restent par défaut faute d’alternatives à voiture. De telles alter­na­tives doivent donc être inté­grées aux prochaines mesures envis­agées, afin d’avoir des effets posi­tifs sur le long terme sur l’ensemble du ter­ri­toire et d’éviter un déplace­ment per­pétuel de la con­ges­tion des routes.

Quelles autres pistes ?

D’autres solu­tions ont été envis­agées à l’étranger. Cer­taines villes comme Lon­dres ou Séoul ont notam­ment instal­lé des péages urbains, dont le coût est cal­culé en fonc­tion de l’impact moyen d’un auto­mo­biliste en ter­mes de con­ges­tion (« con­ges­tion charge » à Lon­dres). Cepen­dant, il serait com­plexe de l’appliquer en France, alors que les ten­sions poli­tiques autour des tax­es envi­ron­nemen­tales sont très fortes. La hausse de la taxe car­bone en 2018, finale­ment annulée suite au mou­ve­ment des gilets jaunes, est un des exem­ples les plus fla­grants de l’opposition du peu­ple français envers ce type de tax­a­tion. De plus, cela reviendrait à creuser les iné­gal­ités sociales, car en France, con­traire­ment à d’autres pays comme les États-Unis, la pop­u­la­tion la moins aisée vit en banlieue.

Alors pour endiguer la con­ges­tion des voies routières sans aggraver la frac­ture sociale, plusieurs idées pour­raient être réal­isées notam­ment celle qui induit de fer­mer et ouvrir les quais à dif­férents moments de la journée. Pour cela, il est pos­si­ble d’imaginer com­ment utilis­er de manière opti­male les berges en fonc­tion de la con­som­ma­tion des aménités. Car, quand les voies sont fer­mées, elles sont exploitées pour des fins économiques. À titre d’exemple, il pour­rait être intéres­sant de couper la cir­cu­la­tion en dehors des heures de pointe en semaine (8h-18h) afin de faciliter le traf­ic pour les usagers tra­vail­lant dans la cap­i­tale et en même temps per­me­t­tre l’exploitation des aménités qui ne sont peut-être pas con­som­mées pen­dant les heures de pointe.

Néan­moins toutes ces solu­tions impliquent dif­férents coûts, notam­ment sur l’ouverture et la fer­me­ture des berges qui néces­si­tent du per­son­nel. Les bonnes solu­tions sont donc com­plex­es et doivent être nuancées avec beau­coup de pru­dence afin que les dif­férents par­tis puis­sent y trou­ver leur compte.

Propos recueillis par Fabien Roches
1https://​our​worldin​da​ta​.org/​d​a​t​a​-​r​e​v​i​e​w​-​a​i​r​-​p​o​l​l​u​t​i​o​n​-​d​eaths
2https://www.airparif.asso.fr/actualite/2022/avec-les-recommandations-de-loms‑7–900-deces-pourraient-etre-evites-en-idf
3https://​www​.ipp​.eu/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​/​m​a​i​-​2​0​2​1​-​d​e​s​-​c​e​n​t​r​e​s​-​p​l​u​s​-​v​e​r​t​s​-​d​e​s​-​b​a​n​l​i​e​u​e​s​-​p​l​u​s​-​g​r​ises/
4Léa Bou Sleiman, 2021. « Are car-free cen­ters detri­men­tal to the periph­ery? Evi­dence from the pedes­tri­an­iza­tion of the Parisian river­bank, » Work­ing Papers2021-03, Cen­ter for Research in Eco­nom­ics and Sta­tis­tics.

Auteurs

Léa Bou Sleiman

Léa Bou Sleiman

doctorante en économie urbaine et environnementale au Centre de Recherche en Économie et Statistique (CREST) de l’École polytechnique (IP Paris)

Léa Bou Sleiman est doctorante en économie urbaine et environnementale au Centre de Recherche en Économie et Statistique (CREST) de l’École polytechnique, sous la supervision de Benoît Schmutz et Patricia Crifo. Ses travaux se concentrent sur les politiques publiques liées aux villes, avec un accent particulier sur les aspects environnementaux et de transport. L’objectif principal de sa recherche est d’étudier le rôle central des transports dans les villes d'aujourd'hui, d’estimer la capacité optimale de voirie en ville et d’évaluer la manière dont les transports influencent les comportements individuels de déplacement, tant d’un point de vue théorique qu'empirique.

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