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Biodiversité : comprendre la nature pour mieux la préserver

Compiler les paysages sonores pour étudier la biodiversité mondiale

avec Kevin Darras, chargé de recherche INRAE dans l'unité de recherche des écosystèmes forestiers de Nogent (EFNO)
Le 25 novembre 2025 |
5 min. de lecture
Kévin Darras_VF
Kevin Darras
chargé de recherche INRAE dans l'unité de recherche des écosystèmes forestiers de Nogent (EFNO)
En bref
  • Les suivis acoustiques passifs permettent de recenser la biodiversité animale.
  • Les enregistrements permettent de recenser les espèces qui émettent des sons, et de faire un état des lieux d’un milieu donné.
  • Le projet « Worldwide Soundscapes » ambitionne de regrouper les suivis mondiaux, afin de les rendre facilement accessibles pour les équipes de recherche.
  • Les premiers résultats du regroupement montrent une hétérogénéité à l’échelle mondiale avec plus de données dans l’hémisphère nord que sud.
  • Ce suivi pourrait permettre de mieux préserver la biodiversité en détectant les premiers signes d’un changement dans un environnement.

La bio­di­ver­sité der­rière les micro­phones. L’enregistrement des sons d’un envi­ron­nement per­met d’établir des paysages sonores. Ce procédé très utile pour les chercheurs offre la pos­si­bil­ité de con­naitre, ain­si que de suiv­re, la bio­di­ver­sité mesurable d’un lieu. Cette tech­nique, sol­lic­itée en écolo­gie, est util­is­able sur terre comme sous l’eau. Cepen­dant, l’accès à ces don­nées reste dif­fi­cile, car aucune banque mon­di­ale d’enregistrement n’existe aujourd’hui. Pour faire face à ce con­stat, Kévin Dar­ras, chargé de recherche à l’INRAE (Insti­tut nation­al de recherche pour l’agriculture, l’alimentation, et l’environnement) en écolo­gie, apporte une solu­tion en com­pi­lant ces paysages sonores dans son pro­jet inti­t­ulé « World­wide Sound­scapes ».

Qu’est-ce que le projet « Worldwide Soundscapes », que l’on pourrait traduire par « Les paysages sonores du monde entier » ?

Kévin Dar­ras. À tra­vers le monde, de nom­breuses équipes de recherche col­lectent des enreg­istrements audios pour étudi­er la bio­di­ver­sité. Cette méth­ode est appelée « suivi acous­tique pas­sif ». Or, ces don­nées sont peu partagées entre les com­mu­nautés sci­en­tifiques. World­wide Sound­scapes recense les enreg­istrements de plus de 12 000 sites – soit env­i­ron 5900 To de don­nées – et les met à dis­po­si­tion de tous les scientifiques.

Qu’est-ce que le suivi acoustique passif ?

Le suivi acous­tique pas­sif est une méth­ode très com­plète qui per­met de recenser ou faire du suivi de la bio­di­ver­sité ani­male. Con­crète­ment, cela con­siste à enreg­istr­er à l’aide d’un micro­phone et d’un enreg­istreur des sons de façon pas­sive, à la dif­férence du sonar qui lui émet des sons. Le suivi acous­tique pas­sif peut être util­isé pour tous les écosys­tèmes, qu’ils soient ter­restres, aqua­tiques et même dans le sol. C’est une méth­ode effi­cace, pré­cise et vérifiable.

Selon l’espèce et l’environnement, on est capa­ble d’enregistrer des ani­maux dis­tants de quelques dizaines de mètres, comme un rouge-gorge dans une forêt, voire quelques cen­taines de mètres ou même quelques kilo­mètres pour les chants d’orques, par exemple.

Comment arrive-t-on à mesurer la biodiversité uniquement à partir d’enregistrements sonores ?

En pre­mier lieu, l’écoute de l’enregistrement per­met de déter­min­er la présence des dif­férentes espèces ani­males sonifères (qui émet­tent des sons). On peut iden­ti­fi­er les oiseaux, chauve-souris, mam­mifères ter­restres et marins, insectes, amphi­bi­ens, etc. En util­isant des mod­èles sta­tis­tiques, il est aus­si pos­si­ble d’estimer le nom­bre d’individus présents sur un ter­ri­toire don­né. Ces mesures sont à la base d’un nom­bre impor­tant de déci­sions en matière de ges­tion des habi­tats naturels, d’atténuation des effets délétères de l’urbanisation, etc.

Pourquoi avoir travaillé à la création d’une base de données commune internationale ?

J’utilisais le suivi acous­tique pas­sif pour réalis­er des suiv­is de bio­di­ver­sité pour mes recherch­es rel­a­tives à l’agroécologie trop­i­cale. De nom­breux col­lègues qui étu­di­ent les milieux marins, d’eau douce ou ter­restres utilisent aus­si cette méth­ode, et j’ai réal­isé qu’il était utile de faire un état des lieux du suivi acous­tique pas­sif à l’échelle mon­di­ale. Une base de don­nées com­mune per­met de con­naitre les sites et péri­odes d’enregistrement, les espèces car­ac­térisées. Cela offre une vision glob­ale des régions déjà instru­men­tées à la com­mu­nauté sci­en­tifique et aux ges­tion­naires. L’intérêt ? Il est tout à fait pos­si­ble de réu­tilis­er un enreg­istrement pour iden­ti­fi­er d’autres espèces ! Cela per­met aux sci­en­tifiques de repér­er les zones jamais instru­men­tées et celles où des don­nées exis­tent déjà.

Quels sont les premiers résultats issus du projet Worldwide Soundscapes ?

Nous avons car­ac­térisé la den­sité d’échantillonnage à l’échelle mon­di­ale. Bien sûr, ce n’était pas une sur­prise, mais nous met­tons en évi­dence qu’il existe bien plus de don­nées dans l’hémisphère Nord que Sud, que les lacunes sont impor­tantes en Asie cen­trale, et que la den­sité de la cou­ver­ture spa­tiale est plus impor­tante à terre qu’en mer. Nous obser­vons que les don­nées recou­vrent la grande majorité des écosystèmes.

Dans une pre­mière pub­li­ca­tion sci­en­tifique, nous mon­trons – à l’aide d’une petite sélec­tion d’enregistrements – que cette base de don­nées per­met de répon­dre à des ques­tions d’ordre écologique sur des échelles très vastes, c’est inédit.

Quelles connaissances ont émergé ?

Pour l’instant, nous n’en sommes qu’au début de l’exploitation des don­nées et nous retrou­vons des résul­tats con­nus en macro-écolo­gie [N.D.L.R. : l’écologie à large échelle]. Par exem­ple, on observe que la bio­di­ver­sité décroit en se rap­prochant des pôles. Si cela était déjà con­nu, cette obser­va­tion avait néces­sité une analyse poussée et des sup­po­si­tions fortes. Avec la base de don­nées, il est main­tenant pos­si­ble de le faire facile­ment avec une seule méth­ode standardisée.

Nous retrou­vons égale­ment une rela­tion néga­tive entre les bruits naturels ani­maux et les bruits d’origine humaine. C’est un indi­ca­teur de la pres­sion anthropique exer­cée sur les écosys­tèmes. En revanche, cer­tains écosys­tèmes sem­blent peu affec­tés par le bruit anthropique : cela mon­tre qu’il existe encore beau­coup de sujets de recherche, mais aus­si de pos­si­bil­ités de coex­is­tence entre humains et nature ?

Quelles connaissances scientifiques pensez-vous pouvoir développer à l’avenir avec le projet Worldwide Soundscapes ?

Énor­mé­ment de ques­tions pour­ront être adressées. Nous analysons actuelle­ment les sons présents dans la base de don­nées : l’objectif est d’identifier des patrons globaux de bio­di­ver­sité, ou des liens entre des gra­di­ents écologiques et une cer­taine répar­ti­tion de la biodiversité.

Grâce à ces nou­velles don­nées, je souhait­erais étudi­er le lien entre le déclin de la bio­di­ver­sité et le change­ment cli­ma­tique. L’échelle mon­di­ale est très adap­tée, car le change­ment cli­ma­tique affecte toute la planète. En iden­ti­fi­ant les con­di­tions cli­ma­tiques néfastes à la bio­di­ver­sité, il serait alors pos­si­ble de s’y adapter. L’autre ques­tion très intéres­sante est celle de l’effet des activ­ités humaines sur la bio­di­ver­sité. En iden­ti­fi­ant les con­di­tions les moins défa­vor­ables à la bio­di­ver­sité, il pour­rait être pos­si­ble de mieux préserv­er la bio­di­ver­sité en met­tant en place de nou­velles législations.

Dans quelle mesure la législation pourrait-elle mieux protéger la biodiversité, et quel est le rôle des données scientifiques ?

Légifér­er exige des don­nées robustes, et la mise en place d’un obser­va­toire acous­tique – un réseau de cap­teurs – per­me­t­trait de répon­dre à cette exi­gence. De tels obser­va­toires nationaux exis­tent déjà en Aus­tralie, au Cana­da et dans cer­tains pays d’Amérique du Sud. Cela per­me­t­trait par exem­ple de détecter les pre­miers signes d’un change­ment de bio­di­ver­sité. Imag­i­nons que l’on observe des espèces inva­sives [N.D.L.R. : l’une des caus­es de la crise de la bio­di­ver­sité] au Sud qui com­men­cent à se propager vers le Nord : il serait alors pos­si­ble d’agir de manière préven­tive pour les régions encore non atteintes.

Propos recueillis par Anaïs Maréchal

Pour en savoir plus :

https://​ecosound​-web​.de/​e​c​o​s​o​u​n​d​_​w​e​b​/​c​o​l​l​e​c​t​i​o​n​/​i​n​d​e​x/106
https://​onlineli​brary​.wiley​.com/​d​o​i​/​1​0​.​1​1​1​1​/​g​e​b​.​70021

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