huge alpine glacier melts, giving rise to a lake of clear water
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Climat, guerre, pollution : comment les satellites documentent nos plus grands défis

L’ampleur de la fonte des glaciers mesurée depuis l’espace

avec Étienne Berthier, glaciologue au CNRS et Fabien Maussion, professeur associé au Centre de glaciologie de Bristol à l'Université de Bristol
Le 24 septembre 2025 |
4 min. de lecture
R32_3505
Étienne Berthier
glaciologue au CNRS
Fabien Maussion
Fabien Maussion
professeur associé au Centre de glaciologie de Bristol à l'Université de Bristol
En bref
  • Sous l’effet du réchauffement climatique, les glaciers et le permafrost fondent, ce qui diminue la stabilité des pentes et provoque des accidents.
  • Dans les régions où les glaciers sont de petite taille, comme les Alpes et les Pyrénées, nombre d’entre eux vont disparaître avant la fin du siècle.
  • Les satellites fournissent aujourd’hui une cartographie et un suivi des changements de près de 220 000 glaciers existants.
  • En 2021, l’observation des glaciers par satellites a montré une perte de 267 milliards de tonnes par an entre 2000 et 2019.
  • Deux fois plus de masse glaciaire pourrait être perdue si la température augmente de 2,7 °C d’ici la fin du siècle.

Fin mai 2025, le vil­lage de Blat­ten en Suisse était en grande par­tie détru­it par l’effondrement d’un glac­i­er, faisant une vic­time. En mon­tagne, un évène­ment source – des pluies intens­es ou des tem­péra­tures élevées – peut désta­bilis­er les ter­rains en pente1. Cela entraîne par­fois des proces­sus en cas­cade, menant par exem­ple à un éboule­ment rocheux ou l’effondrement d’un glac­i­er. Ces risques ont tou­jours existé, mais le réchauf­fe­ment cli­ma­tique d’origine anthropique altère leur fréquence, ampli­tude et local­i­sa­tion2. En cause ? Sous l’effet de la hausse des tem­péra­tures, les glac­i­ers et le per­mafrost fondent, ce qui dimin­ue la sta­bil­ité des pentes. En France, le nom­bre d’événements glaciaires et périglaciaires a accéléré à la fin du petit âge glaciaire (fin du XIXe siè­cle), puis depuis 1980 (fig­ure 1). Dans les régions où les glac­i­ers sont de petite taille, comme les Alpes et les Pyrénées, de nom­breux glac­i­ers vont dis­paraître bien avant la fin du siè­cle, peu importe les efforts d’atténuation mis en œuvre.

Fig­ure 1 : Nom­bre annuel d’événe­ments glaciaires et périglaciaires recen­sés en France. Source : mis­sion, don­nées da Sil­va Q., RTM, 2021. Nota : les don­nées sont moyen­nées par décen­nie sauf pour 2020–2021 où la moyenne et établie sur 2 ans. Cet inven­taire est sans doute loin d’être exhaus­tif jusqu’en 1850.

Sur­veiller la fonte des glac­i­ers est cru­cial. Risques naturels, ressources en eau douce, hausse du niveau de la mer, tourisme… leur fonte impacte de nom­breux aspects de la société. Pour­tant, il y a peu, les don­nées restaient très clairsemées à l’échelle du globe. « Avant les satel­lites, on ne con­nais­sait pas le nom­bre de glac­i­ers dans le monde », souligne Fabi­en Maus­sion. Le pre­mier inven­taire mon­di­al des glac­i­ers ne remonte qu’à 20123. Alors que seule­ment quelques cen­taines de glac­i­ers sont instru­men­tés à terre, les mesures satel­lites four­nissent une car­togra­phie et un suivi des change­ments des près de 220 000 glac­i­ers exis­tants4. « Cela a été une révo­lu­tion, un nou­veau domaine de recherche a été créé : la glaciolo­gie à grande échelle », pour­suit Fabi­en Maussion.

Les données satellites : une révolution pour l’observation des glaciers

Les pre­mières don­nées de glaciolo­gie par satel­lites sont extraites des images du cap­teur ASTER embar­qué à bord du satel­lite Ter­ra, en orbite depuis 19995. « La mis­sion n’était pas prévue pour la glaciolo­gie, mais des sci­en­tifiques améri­cains ont vite com­pris son poten­tiel pour ce domaine de recherche, racon­te Éti­enne Berthi­er. Les glac­i­ers ont ensuite été très vite inté­grés dans les acqui­si­tions. »  En pra­tique, les sci­en­tifiques s’appuient sur la stéréo­scopie : sur la base de deux images satel­lite d’une même région légère­ment décalées, il est pos­si­ble de recon­stru­ire la région en 3D. On appelle ce mod­èle un mod­èle numérique de ter­rain (MNT). En com­para­nt la dif­férence d’altitude des glac­i­ers au cours du temps, il est alors pos­si­ble d’estimer leur fonte6. « Avec les mis­sions satel­lite ASTER et TanDEM‑X, la com­mu­nauté sci­en­tifique dis­pose de mis­sions spa­tiales optiques et par radars qui per­me­t­tent d’é­val­uer les change­ments d’alti­tude des glac­i­ers dans le monde entier au cours des deux dernières décen­nies », écrivent les auteurs d’un arti­cle de la revue The Cryos­phere.

Résul­tat, les con­nais­sances sur les glac­i­ers explosent, et ils devi­en­nent de véri­ta­bles témoins clés du change­ment cli­ma­tique. Change­ment de masse (fig­ure 2), vitesse d’écoulement en sur­face, exten­sion ou encore cou­ver­ture neigeuse des glac­i­ers mon­di­aux sont scrutés en détail par les satel­lites, embar­quant tou­jours plus d’instruments – inter­féromètre, radar, laser, grav­imètre7. En 2021, la pre­mière esti­ma­tion des vari­a­tions de vol­ume de l’ensemble des glac­i­ers est pub­liée : entre 2000 et 2019, les glac­i­ers ont per­du 267 mil­liards de tonnes par an, représen­tant 1/5ème de la hausse glob­ale du niveau marin8. Ces don­nées récem­ment actu­al­isées mon­trent une accéléra­tion de 36 % entre la pre­mière et la deux­ième décen­nie de la péri­ode étudiée9. « Nous avons égale­ment mis en évi­dence que le recul des glac­i­ers n’est pas homogène sur toute la planète », com­plète Éti­enne Berthi­er. En com­plé­tant avec des don­nées plus anci­ennes issues de mesures de ter­rain, une autre étude mon­tre que, depuis 1976, les glac­i­ers ont per­du plus de 9 000 mil­liards de tonnes10. Soit une élé­va­tion du niveau marin glob­al de plus de 2 cm unique­ment due à la fonte des glac­i­ers montagneux.

Fig­ure 2 : Bilan mas­sique annuel des glac­i­ers de référence pour lesquels des mesures glaciologiques sont effec­tuées depuis plus de 30 ans. Les valeurs annuelles de vari­a­tion de masse sont indiquées sur l’axe des y en mètres équiv­a­lent eau (m w.e.), ce qui cor­re­spond à des tonnes par mètre car­ré (1 000 kg m-2). Source : WGMS (2023, rap­ports actu­al­isés et antérieurs).

Entre fontes inévitables des glaciers et importance des mesures d’atténuation

« Nous util­isons ces infor­ma­tions pri­mor­diales sur le passé pour cal­i­br­er nos mod­èles math­é­ma­tiques, souligne Fabi­en Maus­sion. Nous pou­vons ain­si cal­culer des pro­jec­tions sur les futurs change­ments de masse des glac­i­ers et leur con­tri­bu­tion au niveau marin. Cela informe le GIEC et les décideurs, et n’est pos­si­ble que grâce aux satel­lites. » En mai dernier, une équipe inter­na­tionale (dont Fabi­en Maus­sion) mon­tre que la perte de cer­tains glac­i­ers – comme ceux des Alpes – est inéluctable aux niveaux actuels de réchauf­fe­ment11. Mais les sci­en­tifiques met­tent aus­si en évi­dence l’importance de l’atténuation du change­ment cli­ma­tique : deux fois plus de masse glaciaire serait per­due si le réchauf­fe­ment atteint 2,7 °C d’ici la fin du siè­cle (la tra­jec­toire actuelle) au lieu de 1,5 °C.

Les don­nées satel­lites ont révélé l’ampleur glob­ale de la fonte des glac­i­ers au cours des deux dernières décen­nies. « Il n’existe pour­tant aucune mis­sion satel­lite dédiée aux glac­i­ers, et cer­taines mis­sions actuelles vont s’arrêter d’ici 2 ou 3 ans, regrette Éti­enne Berthi­er. Pour assur­er la con­ti­nu­ité des obser­va­tions à haute réso­lu­tion spa­tio-tem­porelle, nous faisons la pro­mo­tion auprès des agences spa­tiales de la mis­sion 4D Earth. » Le change­ment cli­ma­tique étant un proces­sus long, des don­nées cou­vrant plusieurs décen­nies sont néces­saires pour quan­ti­fi­er les con­séquences. Si elles exis­tent pour cer­tains glac­i­ers grâce aux mesures de ter­rain plus anci­ennes, elles sont rares dans cer­taines régions d’Asie et en Amérique du Sud. Enfin, impos­si­ble de se pass­er de don­nées de ter­rain grâce aux satel­lites. « Les mesures de ter­rain per­me­t­tent de réalis­er des bilans saison­niers, de mesur­er la den­sité ou encore l’épaisseur des glac­i­ers. Il est par exem­ple indis­pens­able de con­naître la den­sité de la neige qui recou­vre les glac­i­ers et son change­ment au cours du temps pour cal­culer des change­ments de masse à par­tir des don­nées satel­lites », con­clut Éti­enne Berthier. 

Anaïs Marechal
1https://​www​.edu​ca​tion​.gouv​.fr/​r​i​s​q​u​e​s​-​d​-​o​r​i​g​i​n​e​-​g​l​a​c​i​a​i​r​e​-​e​t​-​p​e​r​i​g​l​a​c​i​a​i​r​e​-​e​l​e​m​e​n​t​s​-​e​n​-​s​o​u​t​i​e​n​-​u​n​-​p​l​a​n​-​d​-​a​c​t​i​o​n​-​3​79044
2https://www.ipcc.ch/srocc/chapter/chapter‑2/
3https://​www​.glims​.org/RGI/
4https://​www​.earth​da​ta​.nasa​.gov/​n​e​w​s​/​f​e​a​t​u​r​e​-​a​r​t​i​c​l​e​s​/​g​l​i​m​s​-​d​a​t​a​b​a​s​e​-​a​d​v​a​n​c​e​s​-​g​l​a​c​i​e​r​-​m​o​n​i​t​o​r​i​n​g​-​f​r​o​m​-​space
5https://​www​.earth​da​ta​.nasa​.gov/​n​e​w​s​/​f​e​a​t​u​r​e​-​a​r​t​i​c​l​e​s​/​g​l​i​m​s​-​d​a​t​a​b​a​s​e​-​a​d​v​a​n​c​e​s​-​g​l​a​c​i​e​r​-​m​o​n​i​t​o​r​i​n​g​-​f​r​o​m​-​space
6https://​tc​.coper​ni​cus​.org/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​1​8​/​3​1​9​5​/​2024/
7Berthi­er review 2023
8https://www.nature.com/articles/s41586-021–03436‑z?fromPaywallRec=false
9https://www.nature.com/articles/s41586-024–08545‑z
10https://​essd​.coper​ni​cus​.org/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​1​7​/​1​9​7​7​/​2025/
11https://​www​.sci​ence​.org/​d​o​i​/​f​u​l​l​/​1​0​.​1​1​2​6​/​s​c​i​e​n​c​e​.​a​d​u4675

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