Pour les adultes, les médecins recommandent une durée de sommeil moyenne comprise entre 7 et 9 heures. Pourtant, en France, nous peinons à atteindre le bas de cette fourchette. Que faire pour tenter d’améliorer nos nuits ? Faisons le point sur quelques résultats scientifiques récents.
Nous dormons de moins en moins. L’enquête annuelle de l’Institut national du sommeil et de la vigilance1 révèle ainsi qu’en 2024, les Français déclarent dormir en moyenne 6h42 en semaine et 7h25 le week-end, soit 15 minutes par jour de moins qu’en 2023. Cette tendance à la baisse, si elle s’accélère ces dernières années, n’est pas récente : nous aurions perdu 1h30 de sommeil quotidien depuis 50 ans. Le même sondage indique toutefois que nous avons conscience qu’adopter une bonne hygiène de vie participe à un sommeil de meilleure qualité. Et de fait, corriger ses habitudes est la première mesure que préconisent médecins et associations médicales pour la prise en charge des troubles du sommeil ; avant d’envisager tout traitement médicamenteux.
Pour comprendre l’impact de l’hygiène de vie sur nos nuits, plongeons d’abord dans les mécanismes biologiques qui gouvernent le sommeil. Deux éléments régulent sa durée, ses horaires et sa qualité : la pression de sommeil et l’horloge biologique. La première met en jeu des processus dits homéostasiques, qui fonctionnent comme un sablier qu’on retournerait au réveil. L’adénosine, joue ici un rôle central : produite lors des phases d’éveil, ce produit de la dégradation de l’ATP (la principale source d’énergie des cellules) s’accumule tout au long de la journée jusqu’à réduire l’excitabilité neuronale et provoquer l’endormissement.
Notre corps dispose par ailleurs d’une horloge centrale située dans l’hypothalamus, directement reliée aux structures de sommeil. Grâce à elle, la glande pinéale (une glande endocrine en forme de pomme de pin – d’où son nom – et située au cœur du cerveau, qui joue un rôle central dans la régulation des rythmes biologiques) sécrète en fin de journée, quand la lumière baisse, de la mélatonine – aussi appelée « hormone du sommeil » – qui favorise l’endormissement. Pendant les phases d’éveil, la même horloge inhibe la production de mélatonine et pousse les glandes surrénales à sécréter une hormone aux effets opposés, le cortisol. Il stimule la gluconéogenèse afin de maintenir les niveaux de glucose sanguin et de fournir de l’énergie aux cellules. En véritable chef d’orchestre, notre horloge interne va également réguler la température corporelle et synchroniser de multiples horloges périphériques gouvernant diverses fonctions biologiques comme les rythmes de l’appétit ou les contractions intestinales. L’horloge centrale est elle-même en permanence remise à l’heure sur le cycle jour/nuit par des synchroniseurs extérieurs : la lumière principalement, mais également (avec des influences plus modestes) l’activité physique, les horaires des repas, les interactions sociales ou la température extérieure.
Notre horloge biologique définit ainsi des fenêtres de sommeil où celui-ci sera de meilleure qualité. Pour la renforcer, il est donc essentiel d’observer une bonne régularité dans les heures de coucher et de lever et d’être à l’écoute des premiers signes d’endormissement. Mais d’autres stratégies peuvent également être mises en place.
#1 Surveiller son temps d’exposition à la lumière
Les médecins recommandent de s’exposer au « bleu du ciel » dès le matin, afin de stimuler la production de cortisol et inhiber celle de mélatonine. La synchronisation par la lumière passe en effet par l’activation de photorécepteurs présents dans notre rétine, les cellules à mélanopsine, qui sont plus spécifiquement sensibles à la lumière bleue. Contempler les nuages à travers la vitre de votre bureau ou de votre appartement ne suffira pas. En effet, la luminosité dépasse alors rarement quelques centaines de lux, quand les recommandations standards s’élèvent à 10 000 lux (l’équivalent de l’éclairement d’une surface à l’ombre en été) pendant une demi-heure au moins. À l’inverse, et toujours pour favoriser la bonne synchronicité de notre horloge, il est très important de tamiser les lumières et de ne pas regarder d’écrans le soir venu (les études évoquent des durées allant de 30 minutes à 2 heures avant le coucher), car ces derniers diffusent une lumière riche en bleu.
Une étude récente menée par l’Inserm, dont les résultats sont publiés dans Journal of Pineal Research, vient affiner ces recommandations2. S’appuyant sur deux groupes de volontaires distincts, de 25 et 59 ans de moyenne d’âge, elle s’est intéressée à la production de mélatonine après une exposition à différentes couleurs. Il apparaît que si la mélanopsine est le seul photorécepteur impliqué dans l’inhibition de la production de l’hormone chez les sujets jeunes, chez les plus âgés, d’autres photorécepteurs, sensibles à des couleurs différentes, entrent aussi en jeu. Ce mécanisme serait une adaptation au brunissement du cristallin survenant avec l’âge, qui diminuerait la quantité de lumière atteignant la rétine. Ces résultats suggèrent donc que les personnes âgées gagneraient tout particulièrement à s’exposer quotidiennement à la lumière du jour, plus riche en longueurs d’onde que les lumières artificielles. Les chercheurs recommandent également, si les sorties étaient impraticables, d’adapter la couleur et la luminosité des éclairages intérieurs.
#2 Faire de l’exercice
La littérature scientifique foisonne de preuves concordantes sur une association positive entre l’activité physique et un meilleur sommeil. Deux études publiées en 2024, l’une par l’Université de Reykjavik3, l’autre par l’Université d’Australie du Sud complètent cette bibliographie4. Dans les travaux islandais, 4 339 participants issus de 9 pays européens et âgés de 39 à 67 ans ont été suivis pendant une période de 10 ans. Les niveaux d’activité physique, la durée et les troubles du sommeil étaient évalués par des questionnaires. Conclusion : les personnes ayant maintenu sur la période d’étude une activité physique régulière font moins état de difficultés d’endormissement ou de durées extrêmes de sommeil (inférieures à 6 heures ou supérieures à 9 heures) que les sujets les plus sédentaires. L’étude australienne, qui s’appuie sur une évaluation des paramètres d’activité d’une population de 1 168 enfants et 1 360 adultes, pendant 8 jours et 24/24, montre quant à elle qu’une activité physique modérée à vigoureuse durant la journée est corrélée à un sommeil plus long et de meilleure qualité. Les chercheurs pensent que cet effet serait dû à une sécrétion accrue de sérotonine, qui favorise à la fois l’amélioration de l’humeur et de la production de mélatonine.
D’autres travaux suggèrent par ailleurs de respecter, là aussi dans la mesure du possible, des heures de pratique régulières, en évitant celles qui précédent le coucher. Une étude conduite par l’Université de Caen-Normandie publiée en 20245 pourrait nuancer cette recommandation. Menée sur 16 jeunes adultes en bonne santé, elle suggère qu’une activité physique modérée de 30 minutes, une heure avant le coucher, n’a, sur cette population au moins, qu’un impact très minime sur l’efficacité du sommeil. Mais des approfondissements seront nécessaires pour confirmer ces résultats.
#3 Soigner son dîner
Il est communément admis qu’il est bon d’éviter les boissons contenant de la caféine le soir. Pourquoi ? Parce que la caféine se fixe sur les mêmes récepteurs que l’adénosine, retardant la sensation de fatigue. Quant au contenu de votre assiette, une étude menée par l’équipe dirigée par Armelle Rancillac, chercheure à l’Inserm et au Collège de France, montre qu’un dîner riche en glucose favorisait le sommeil6. La chercheuse s’intéresse aux cellules gliales, des cellules plus nombreuses que les neurones, et indispensables à leur fonctionnement. Ses travaux concernent plus précisément les astrocytes, nommées ainsi du fait de leur forme en étoile. Ses recherches ont ainsi montré que ces cellules, qui captent le glucose sanguin, sont capables d’induire une libération d’adénosine variable en fonction du moment de la journée. Les astrocytes tiennent compte de l’heure pour adapter leur réponse à une même augmentation de glucose. Cette réponse est ainsi plus importante le soir que le matin, afin de favoriser l’endormissement en fin de journée.