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Andrew Steele
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Nous pourrions « guérir » du vieillissement, mais est-ce une bonne idée ?

Andrew Steele
Andrew Steele
docteur en physique à l'Université d'Oxford, auteur et chroniqueur chez Polytechnique Insights
En bref
  • La possibilité de concevoir des traitements contre le vieillissement soulève un bon nombre de questions éthiques, concernant la surpopulation ou encore le sens de la vie.
  • Si la vieillesse n’était plus considérée comme cause potentielle de décès, la population augmenterait d’environ 16 % d’ici 2050 (en admettant que la vieillesse soit éradiquée en 2025).
  • « Guérir » du vieillissement équivaudrait à des milliards économisés : face aux coûts colossaux de la vieillesse pour l’économie mondiale, les médicaments anti-âge auraient un prix abordable.
  • Les implications éthiques des nouveaux traitements se doivent d’être discutées, y compris pour les médicaments anti-âge.

Les sci­en­tifiques qui étu­di­ent la biolo­gie du proces­sus de vieil­lisse­ment ont fait des décou­vertes incroy­ables au cours des dernières décen­nies : le proces­sus de vieil­lisse­ment n’est pas inévitable et, en com­prenant les mécan­ismes molécu­laires et cel­lu­laires qui en sont à l’origine, dévelop­per des traite­ments sus­cep­ti­bles de ralen­tir ou même d’inverser ce proces­sus pour­rait être pos­si­ble. Pou­vons-nous en appren­dre suff­isam­ment pour que les humains puis­sent vivre 400 ans, comme le requin du Groen­land ? Voilà une ques­tion fasci­nante, mais sou­vent suiv­ie d’une autre : est-ce souhaitable ? L’idée que nous puis­sions traiter le vieil­lisse­ment comme n’importe quel autre prob­lème médi­cal soulève de grandes ques­tions éthiques. Exam­inons les plus impor­tantes d’entre elles.

Que ferions-nous de tous ces gens ?

L’objection la plus courante au traite­ment du vieil­lisse­ment se résume sou­vent à un seul mot : « sur­pop­u­la­tion ». Le cli­mat est déjà mis à rude épreuve par nos émis­sions col­lec­tives de dioxyde de car­bone, et nous pol­lu­ons égale­ment la planète d’une mul­ti­tude d’autres façons — de l’agriculture à la sur­pêche en pas­sant par les microplas­tiques et les déchets tox­iques. Or, si les gens vivaient plus longtemps, nous seri­ons for­cé­ment plus nom­breux. Ce fait n’aura-t-il pas des con­séquences d’autant plus graves pour la planète ?

Le pre­mier prob­lème lié à cette préoc­cu­pa­tion est la façon dont elle est for­mulée : la « sur­pop­u­la­tion » implique que ce sont les per­son­nes qui posent prob­lème, plutôt que les ressources que nous util­isons. Elle dia­bolise aus­si injuste­ment les régions du monde où la pop­u­la­tion croît le plus rapi­de­ment — pré­cisé­ment les pays pau­vres dont les pop­u­la­tions utilisent le moins de ressources par per­son­ne. Mais il est cer­tain que l’augmentation de la pop­u­la­tion rend les dif­férents prob­lèmes envi­ron­nemen­taux plus dif­fi­ciles à résoudre, même si ce n’est pas la pop­u­la­tion en soi qui est à blâmer.Le plus sur­prenant réside dans le fait que même un remède com­plet con­tre le vieil­lisse­ment — une pilule hypothé­tique qui réduirait con­sid­érable­ment le risque de can­cer, de mal­adie car­diaque, de démence et bien plus encore — aurait tout de même un impact assez mod­este sur la pop­u­la­tion mon­di­ale. Si l’on prend les pro­jec­tions démo­graphiques pop­u­laires des Nations Unies et que l’on sup­prime totale­ment le vieil­lisse­ment comme cause de décès d’ici 2025 (un scé­nario un peu ridicule qui dépasse même les prévi­sions les plus opti­mistes con­cer­nant la médecine anti-âge), on obtient une aug­men­ta­tion de 16 % seule­ment de la pop­u­la­tion d’ici 20501.

Il est alors impor­tant de se rap­pel­er ce qui se trou­ve de l’autre côté de la bal­ance : le vieil­lisse­ment est la cause de la plu­part des can­cers, des crises car­diaques et des démences, ain­si que de la fragilité, de l’incontinence, de la perte de l’audition et de la vue, et de bien d’autres choses encore. Il est respon­s­able d’environ deux tiers des décès dans le monde2. Je serais heureux de tra­vailler 16 % de plus pour réduire mon empreinte car­bone si cela per­me­t­tait de réduire con­sid­érable­ment les décès et les souf­frances dus à des dizaines de caus­es, partout dans le monde.

Vue sous cet angle, la pop­u­la­tion est cer­taine­ment un élé­ment à pren­dre en compte (et des organ­ismes comme l’ONU feraient bien d’accorder un peu plus d’attention à cette sci­ence — aucune de leurs prévi­sions n’envisage une espérance de vie dépas­sant large­ment les 80 ans dans le monde), mais ce n’est pas la cat­a­stro­phe envi­ron­nemen­tale inévitable qu’elle sem­blait être au départ.

Ces traitements ne seront-ils pas qu’à la portée des riches ?

Avec Jeff Bezos, fon­da­teur d’Amazon, qui est le dernier (et le plus riche) mil­liar­daire à inve­stir dans la recherche con­tre le vieil­lisse­ment, il est clair que les ultra-rich­es s’intéressent au ralen­tisse­ment du proces­sus de vieil­lisse­ment. Mais, s’ils y parvi­en­nent, le reste d’entre nous aura-t-il les moyens de se pay­er les traite­ments qui en découleront ? La bonne nou­velle, c’est qu’il y a trois sérieuses raisons de l’espérer.

Tout d’abord, cer­tains de ces traite­ments pour­raient être très peu coû­teux : les pre­miers pré­ten­dants aux médica­ments anti-âge, comme la met­formine et la rapamycine, sont des médica­ments exis­tants dont les brevets ont déjà expiré et qui coû­tent seule­ment quelques cen­times par pilule3. Même les thérapies plus avancées sont sus­cep­ti­bles de coûter des mil­liers plutôt que des mil­lions, en rai­son de l’automatisation et des économies d’échelle dans le cas où les traite­ments sont applic­a­bles à chaque humain sur la planète, et pas seule­ment à un sous-ensem­ble atteint d’une forme par­ti­c­ulière de can­cer, par exem­ple4.

Les médica­ments per­me­t­traient aux gou­verne­ments et aux sys­tèmes de san­té d’économiser des sommes con­sid­érables, qui com­penseraient ain­si le coût des traitements.

Deux­ième­ment, il sera impératif, d’un point de vue économique, de fournir des traite­ments assez abor­d­ables, pré­cisé­ment parce que le vieil­lisse­ment lui-même est très coû­teux. On estime que la démence — qui n’est, bien sûr, qu’une des nom­breuses mal­adies du vieil­lisse­ment — coûte plus de 1 000 mil­liards de dol­lars dans le monde, et que ce chiffre attein­dra les 2 000 mil­liards de dol­lars d’ici 20305. Les médica­ments qui pour­raient alléger l’énorme fardeau que représen­tent ces mal­adies per­me­t­traient aux gou­verne­ments et aux sys­tèmes de san­té d’économiser des sommes con­sid­érables, qui com­penseraient ain­si le coût des traitements.

Enfin, si vous con­sid­érez que les mil­liar­daires ne pensent qu’à eux, songez que, même d’un point de vue égoïste, accu­muler les pilules n’a aucun sens. Imag­inez que vous soyez Jeff Bezos : voulez-vous être la pre­mière per­son­ne à pren­dre un médica­ment anti-âge expéri­men­tal, ou la 100 000e, après des tests appro­fondis de sécu­rité et d’efficacité ? Le meilleur résul­tat pour les mil­liar­daires est le même que pour le reste d’entre nous : une indus­trie de la longévité floris­sante, avec des traite­ments suff­isam­ment bon marché pour des essais clin­iques à grande échelle, et donc une util­i­sa­tion généralisée.

Et si la mort était ce qui donne sens à la vie ?

Depuis que l’humain existe, sa mort existe avec lui. Il est prou­vé que les rit­uels funéraires remon­tent à des cen­taines de mil­liers d’années6. Il est donc prob­a­ble que notre espèce soit aux pris­es avec sa fini­tude depuis au moins des dizaines de mil­lé­naires. Est-ce le fait de savoir que tout à une fin qui nous motive à réus­sir, ou  sim­ple­ment qui donne un sens à notre vie ?Pre­mière­ment, il s’agit là d’une des nom­breuses objec­tions qui démon­trent com­ment la recherche sur le vieil­lisse­ment est placée dans sa pro­pre caté­gorie éthique — per­son­ne ne deman­derait à un chercheur en can­cérolo­gie s’il est préoc­cupé par le fait qu’une réduc­tion de la mor­tal­ité résul­tant de ses recherch­es pour­rait avoir un effet négatif sur la con­di­tion humaine. Pour­tant, pour les biol­o­gistes du vieil­lisse­ment, c’est une ques­tion courante.

Deux­ième­ment, il faut se ren­dre à l’évidence : même si nous par­ve­nions à guérir com­plète­ment le vieil­lisse­ment, les gens con­tin­ueraient à mourir. Il y aura tou­jours des bus à per­cuter, des mal­adies infec­tieuses à attrap­er, les can­cers, les mal­adies car­diaques et autres, qui con­cerneront les per­son­nes biologique­ment jeunes, même si c’est à un rythme bien moin­dre que les per­son­nes âgées. Cepen­dant, un monde où notre jeunesse biologique serait pro­longée, peut-être indéfin­i­ment, serait cer­taine­ment un monde où il y aurait moins de morts — et je ne suis pas sûr que ce soit une mau­vaise chose.

Une grande par­tie du sens de notre vie provient des per­son­nes qui la rem­plis­sent, nos familles et nos amis. Et une grande par­tie de la douleur, tant émo­tion­nelle que physique, résulte d’une mau­vaise san­té, la leur ou la nôtre. Si nous viv­ions tous plus longtemps et en bonne san­té, comme le promet­tent les médica­ments con­tre le vieil­lisse­ment, pourquoi ne voudri­ons-nous pas con­tin­uer à vivre ? Et comme l’art, la musique, la sci­ence, la tech­nolo­gie et bien d’autres choses encore n’ont de cesse que de pro­gress­er (peut-être vers de nou­veaux hori­zons qui ne sont pos­si­bles que grâce à des créa­teurs ou à des chercheurs ayant une longue car­rière, capa­bles de faire des décou­vertes que seules des décen­nies d’expérience sup­plé­men­taires ren­dent pos­si­bles), il sem­ble incroy­able­ment improb­a­ble que nous nous ennuyions.

Et, même si nous nous las­sons de la vie elle-même à 250 ans, ne préféreriez-vous pas par­tir de manière brève et sans douleur, au moment de votre choix, plutôt que de voir la vie vous être retirée lente­ment et douloureuse­ment pen­dant des décen­nies par la vieillesse ?

Le point essen­tiel revient à com­pren­dre que les médica­ments con­tre le vieil­lisse­ment ne sont que cela : de la médecine. Ils ne sont pas plus étranges qu’un médica­ment pour réduire le cholestérol visant de pro­longer la vie en bonne san­té d’une per­son­ne atteinte d’une mal­adie car­diaque. Rien ne prou­ve vrai­ment que les années sup­plé­men­taires gag­nées en prévenant les crises car­diaques ont ôté tout sens à la vie mod­erne — alors pourquoi ajouter quelques années sup­plé­men­taires sans crise car­diaque, sans can­cer et sans fragilité le ferait-il ?

Tous les médica­ments ont des effets sec­ondaires. Pour les médica­ments dont la portée est suff­isam­ment large, les effets peu­vent être soci­ologiques, économiques et éthiques. La pilule con­tra­cep­tive a trans­for­mé la société, en par­ti­c­uli­er pour les femmes ; les antibi­o­tiques et les vac­cins n’ont pas seule­ment sauvé des mil­lions de vies, mais ont fon­da­men­tale­ment réori­en­té notre rela­tion mil­lé­naire avec les mal­adies infec­tieuses ; les pre­miers médica­ments amaigris­sants véri­ta­ble­ment sûrs et effi­caces sont déjà en train de fomenter une autre révo­lu­tion sociale et médi­cale. Nous devri­ons dis­cuter des impli­ca­tions éthiques de tous les nou­veaux traite­ments — mais, même s’il y aura tou­jours des effets sec­ondaires à affron­ter, je pense que le monde serait bien meilleur si l’on ajoutait à cette liste de véri­ta­bles médica­ments anti-âge.

Il y a beau­coup plus à dire sur l’éthique de la biolo­gie du vieil­lisse­ment, et vous pou­vez trou­ver un chapitre gra­tu­it du livre d’Andrew Steele, Age­less, sur age​less​.link/​e​thics.

1Would cur­ing age­ing cause over­pop­u­la­tion?Cal­cu­la­tions based on UN pop­u­la­tion pro­jec­tions
2Cal­cu­la­tions based on IHME Glob­al Bur­den of Dis­ease data
3Nation­al Insti­tute for Health and Care Excel­lence, retrieved Decem­ber 2021 age​less​.link/​s​s973t
4Plus de détails ici : A world with­out age­ing
5Mar­tin J. Prince et al., World Alzheimer report 2015 : The glob­al impact of demen­tia, Alzheimer’s Dis­ease Inter­na­tion­al 2015. age​less​.link/​u​csaf9
6P. Pet­titt, J. R. Ander­son, Pri­mate thana­tol­ogy and homi­noid mor­tu­ary arche­ol­o­gy. Pri­mates (2019), DOI : 10.1007/s10329-019–00769‑2

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