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Réparer l’hôpital sans le réformer : une affaire d’organisation

Guillaume Couillard
Guillaume Couillard
directeur général du GHU Paris psychiatrie & neurosciences
Etienne Minvielle
Etienne Minvielle
directeur du Centre de recherche en gestion de l'École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • L’hôpital peut parfois pâtir de la complexité de son organisation, où se croisent et s’opposent différentes logiques : médicales, administratives et soignantes.
  • L’ouvrage L’hôpital apprenant relève le défi de proposer des modes de coordination tenant compte de ces différentes « logiques hospitalières ».
  • La faible coopération des différents acteurs hospitaliers peut par exemple provoquer un « effet de silo » et un « effet de rigidité », qui ont un impact négatif sur son organisation.
  • Au contraire, une circulation efficace des informations et des problématiques entre les secteurs permet de résoudre les dysfonctionnements de manière optimale.
  • Le rôle du directeur de l’établissement est donc d’être sur le terrain pour comprendre les réalités de chacun et de jouer un rôle d’intermédiaire entre les différents acteurs de l’hôpital.

De nom­breux prob­lèmes orbitent autour du sys­tème hos­pi­tal­ier en France. Les plus vis­i­bles médi­a­tique­ment sont le manque de moyens, la crise des voca­tions ou encore l’épuisement du per­son­nel. L’organisation de ces insti­tu­tions est rarement remise en ques­tion. Pour­tant, l’hôpital, lieu de haute tech­nic­ité médi­cale, peut égale­ment en pâtir. En son sein, trois logiques s’affrontent : médi­cale, admin­is­tra­tive et soignante. Et il peut être dif­fi­cile de les con­cili­er. C’est le défi que tente de relever Guil­laume Couil­lard, directeur du GHU Paris psy­chi­a­trie & neu­ro­sciences, dans son livre co-écrit avec Anne-Lise Seltzer et Michael Bal­lé, L’hôpital apprenant — L’amélioration con­tin­ue du ser­vice de soin1, paru en 2024.

« Sou­vent, le débat pub­lic sur le fonc­tion­nement hos­pi­tal­ier se focalise sur des ques­tions de pou­voir — qui doit décider ? —, observe Guil­laume Couil­lard. Alors que selon moi, le vrai sujet est de savoir com­ment les dif­férentes logiques qui cohab­itent au sein d’un hôpi­tal arrivent à coopér­er de façon effi­cace et intel­li­gente. » Bien sûr, les hôpi­taux, comme toutes grandes struc­tures, sont dotés d’une bureau­cratie — c’est-à-dire de l’établissement de règles dans la déf­i­ni­tion des rôles et des respon­s­abil­ités, ain­si que de procé­dures. L’objectif de ce livre n’est pas de les remet­tre en ques­tion, car, selon le directeur : « Elles sont nées d’un besoin. Si toutes les organ­i­sa­tions dans le monde ont défi­ni des règles d’organisation, c’est peut-être parce que l’on ne sait pas faire autrement, mais aus­si parce que c’est glob­ale­ment très effi­cace : cela per­met à des mil­lions de gens d’accéder à des soins de haute tech­nic­ité ! Il faut donc être autant con­scient de l’apport de ce type de sys­tème que de ses lim­ites. »

Le vrai sujet ne serait donc pas de ques­tion­ner ces règles, mais plutôt de se deman­der com­ment les faire mieux fonctionner.

Faire communiquer les diverses logiques hospitalières

Un hôpi­tal regroupe divers acteurs ne faisant pas le même méti­er, et cha­cun d’entre eux suit une logique spé­ci­fique pour accom­plir ses tâch­es. C’est ce que le directeur de l’établissement parisien nomme les « logiques hos­pi­tal­ières ». « La pre­mière logique est médi­cale, explique-t-il. Fon­da­men­tale­ment, elle est basée sur la sci­ence médi­cale — c’est-à-dire sur l’état de l’art, les stan­dards et les bonnes pra­tiques médi­cales établies par la sci­ence. Ensuite, vient la logique admin­is­tra­tive : c’est essen­tielle­ment une logique de normes, il faut respecter un cer­tain nom­bre de lois de régle­men­ta­tion, qui s’appliquent aux organ­i­sa­tions en com­plé­ment d’une logique d’allocation des ressources. La logique soignante, quant à elle, se trou­ve dans l’organisation quo­ti­di­enne des ser­vices et reste assez dis­tincte de la logique médi­cale. »

Le pre­mier mode de défail­lance habituelle des gross­es organ­i­sa­tions se trou­ve dans la faible coopéra­tion des dif­férents acteurs, provo­quant un « effet silo » : par manque de com­mu­ni­ca­tion, cha­cun fait ce qu’il a à faire dans son couloir de respon­s­abil­ité, ce qui aboutit, la plu­part du temps, à nég­liger les effets sys­témiques. En out­re, « ces trois logiques inter­agis­sent en per­ma­nence entre elles, main­tient Guil­laume Couil­lard. Pour les faire coopér­er, il faut que l’information cir­cule bien. Or, le per­son­nel aura tou­jours ten­dance à pré­sup­pos­er que tout le monde dis­pose de la bonne infor­ma­tion néces­saire à l’accomplissement de son tra­vail ». Cela laisse place à un deux­ième effet, aus­si cause de défail­lance selon les auteurs du livre : « l’effet de rigid­ité » — « tout ira bien si cha­cun fait ce qu’il a à faire ». Ces deux tra­vers ont ten­dance à entretenir un cer­cle vicieux. « En réal­ité, la bonne infor­ma­tion cir­cule non seule­ment très mal, mais elle est égale­ment très par­tielle, insiste-t-il. On a ten­dance à la regarder de son point de vue, non pas en igno­rant celui des autres, mais en faisant des hypothès­es sur ce que serait la réal­ité des autres. »

Comprendre les réalités de chacun

Un exem­ple con­cret serait d’avoir un radi­a­teur cassé dans une cham­bre. Le GHU dont Guil­laume Couil­lard est directeur étant mul­ti­site, la prise en compte du temps de tra­jet du plom­bier doit être faite. « Dans ce cas très sim­ple, l’équipe de main­te­nance aura une logique d’optimisation de ses ressources, appuie-t-il. Avant de me diriger sur le site loin­tain, il faudrait peut-être atten­dre qu’il y ait plus qu’un sim­ple radi­a­teur à répar­er. » Ici, l’équipe de main­te­nance fait le pré­sup­posé que ce n’est pas si grave. Sans ignor­er le prob­lème, elle ne lui donne pas la même impor­tance que l’équipe soignante. « Pour les autres logiques hos­pi­tal­ières, un radi­a­teur cassé sig­ni­fie une cham­bre con­damnée, ajoute le directeur. Ce qui peut impli­quer de réelles dif­fi­cultés dans un pro­gramme opéra­toire, par exem­ple. Bien que tout le monde soit dans une logique rationnelle, le manque de com­mu­ni­ca­tion des deux par­ties engen­dre un véri­ta­ble prob­lème. »

« La bonne cir­cu­la­tion de l’information est aus­si d’appréhender une sit­u­a­tion dans la réal­ité telle qu’elle est vue de cha­cun, pour l’ensemble des par­ties prenantes, con­clut Guil­laume Couil­lard. Il ne faut pas l’appréhender en pré­sup­posant ce qu’elle est pour les autres. » Ain­si, lorsqu’il y a un prob­lème — qu’il soit petit ou gros —, si l’information ne cir­cule pas comme il le faut, le prob­lème ne pour­ra que s’aggraver et, surtout, ne pour­ra pas être résolu de manière opti­male. « Il y a aus­si le biais de reporter la faute sur l’autre : imag­i­nons que quelqu’un n’ait pas respec­té ce qu’il devait faire, on dira alors qu’“il n’a pas respec­té la procé­dure”, explique-t-il. En réal­ité, la vraie ques­tion est plutôt de savoir pourquoi il ne l’a pas respec­tée. D’autant que, dans la grande majorité des cas, n’importe qui placé dans la même sit­u­a­tion aurait fait la même chose. »

Le rôle du directeur de l’établissement prend donc une tout autre valeur. Il doit avant tout être sur le ter­rain, com­pren­dre les réal­ités de cha­cun, et jouer un rôle d’intermédiaire entre toutes ces logiques hos­pi­tal­ières. Selon Guil­laume Couil­lard, cela demande un tra­vail sur soi très impor­tant : « Il faut être à l’aise avec le fait que l’on ne sait pas tout ! Cer­tains cadres ont encore du mal avec cela, mais il faut tou­jours avoir le souci d’aller sur le ter­rain pour bien com­pren­dre la réal­ité des sit­u­a­tions. On pense tou­jours savoir ce qui se passe. Alors qu’en réal­ité on ne le sait pas pré­cisé­ment, et on ne le saura jamais tant qu’on ne sera pas allé inter­roger les pre­miers con­cernés. »

Ain­si, la mise en place de réu­nions régulières, selon un cer­tain for­mal­isme des­tiné à faire émerg­er l’ensemble des facettes de la sit­u­a­tion, pour faire com­mu­ni­quer cha­cune de ces logiques, devient essen­tielle. Encore faudrait-il que la com­mu­ni­ca­tion se déroule de manière effi­cace. « L’ingrédient secret est sim­ple­ment de se met­tre d’accord sur nos prob­lèmes et non pas sur ce que l’on pense être une solu­tion, insiste-t-il. Cette étape est sou­vent oubliée. Les pre­mières dis­cus­sions, générale­ment, se font autour des solu­tions : “il faut faire cela”. Cette manière de faire enclenche un mau­vais départ à la réso­lu­tion du prob­lème, car elle est non seule­ment source de désac­cords, cha­cun apporte sa pro­pre solu­tion, mais elle ren­force d’autant plus les deux effets men­tion­nés (silos et rigid­ité). » Une affaire d’organisation qui doit donc pren­dre en compte le point de vue de cha­cun, ouvrant de nou­velles per­spec­tives pour penser l’hôpital de demain…

Pablo Andres
1M. Bal­lé, G. Couil­lard et A.— L. Seltzer, L’hôpital apprenant — L’amélioration con­tin­ue du ser­vice de soin, 2024

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