Réparer l’hôpital sans le réformer : une affaire d’organisation
- L’hôpital peut parfois pâtir de la complexité de son organisation, où se croisent et s’opposent différentes logiques : médicales, administratives et soignantes.
- L’ouvrage L’hôpital apprenant relève le défi de proposer des modes de coordination tenant compte de ces différentes « logiques hospitalières ».
- La faible coopération des différents acteurs hospitaliers peut par exemple provoquer un « effet de silo » et un « effet de rigidité », qui ont un impact négatif sur son organisation.
- Au contraire, une circulation efficace des informations et des problématiques entre les secteurs permet de résoudre les dysfonctionnements de manière optimale.
- Le rôle du directeur de l’établissement est donc d’être sur le terrain pour comprendre les réalités de chacun et de jouer un rôle d’intermédiaire entre les différents acteurs de l’hôpital.
De nombreux problèmes orbitent autour du système hospitalier en France. Les plus visibles médiatiquement sont le manque de moyens, la crise des vocations ou encore l’épuisement du personnel. L’organisation de ces institutions est rarement remise en question. Pourtant, l’hôpital, lieu de haute technicité médicale, peut également en pâtir. En son sein, trois logiques s’affrontent : médicale, administrative et soignante. Et il peut être difficile de les concilier. C’est le défi que tente de relever Guillaume Couillard, directeur du GHU Paris psychiatrie & neurosciences, dans son livre co-écrit avec Anne-Lise Seltzer et Michael Ballé, L’hôpital apprenant — L’amélioration continue du service de soin1, paru en 2024.
« Souvent, le débat public sur le fonctionnement hospitalier se focalise sur des questions de pouvoir — qui doit décider ? —, observe Guillaume Couillard. Alors que selon moi, le vrai sujet est de savoir comment les différentes logiques qui cohabitent au sein d’un hôpital arrivent à coopérer de façon efficace et intelligente. » Bien sûr, les hôpitaux, comme toutes grandes structures, sont dotés d’une bureaucratie — c’est-à-dire de l’établissement de règles dans la définition des rôles et des responsabilités, ainsi que de procédures. L’objectif de ce livre n’est pas de les remettre en question, car, selon le directeur : « Elles sont nées d’un besoin. Si toutes les organisations dans le monde ont défini des règles d’organisation, c’est peut-être parce que l’on ne sait pas faire autrement, mais aussi parce que c’est globalement très efficace : cela permet à des millions de gens d’accéder à des soins de haute technicité ! Il faut donc être autant conscient de l’apport de ce type de système que de ses limites. »
Le vrai sujet ne serait donc pas de questionner ces règles, mais plutôt de se demander comment les faire mieux fonctionner.
Faire communiquer les diverses logiques hospitalières
Un hôpital regroupe divers acteurs ne faisant pas le même métier, et chacun d’entre eux suit une logique spécifique pour accomplir ses tâches. C’est ce que le directeur de l’établissement parisien nomme les « logiques hospitalières ». « La première logique est médicale, explique-t-il. Fondamentalement, elle est basée sur la science médicale — c’est-à-dire sur l’état de l’art, les standards et les bonnes pratiques médicales établies par la science. Ensuite, vient la logique administrative : c’est essentiellement une logique de normes, il faut respecter un certain nombre de lois de réglementation, qui s’appliquent aux organisations en complément d’une logique d’allocation des ressources. La logique soignante, quant à elle, se trouve dans l’organisation quotidienne des services et reste assez distincte de la logique médicale. »

Le premier mode de défaillance habituelle des grosses organisations se trouve dans la faible coopération des différents acteurs, provoquant un « effet silo » : par manque de communication, chacun fait ce qu’il a à faire dans son couloir de responsabilité, ce qui aboutit, la plupart du temps, à négliger les effets systémiques. En outre, « ces trois logiques interagissent en permanence entre elles, maintient Guillaume Couillard. Pour les faire coopérer, il faut que l’information circule bien. Or, le personnel aura toujours tendance à présupposer que tout le monde dispose de la bonne information nécessaire à l’accomplissement de son travail ». Cela laisse place à un deuxième effet, aussi cause de défaillance selon les auteurs du livre : « l’effet de rigidité » — « tout ira bien si chacun fait ce qu’il a à faire ». Ces deux travers ont tendance à entretenir un cercle vicieux. « En réalité, la bonne information circule non seulement très mal, mais elle est également très partielle, insiste-t-il. On a tendance à la regarder de son point de vue, non pas en ignorant celui des autres, mais en faisant des hypothèses sur ce que serait la réalité des autres. »
Comprendre les réalités de chacun
Un exemple concret serait d’avoir un radiateur cassé dans une chambre. Le GHU dont Guillaume Couillard est directeur étant multisite, la prise en compte du temps de trajet du plombier doit être faite. « Dans ce cas très simple, l’équipe de maintenance aura une logique d’optimisation de ses ressources, appuie-t-il. Avant de me diriger sur le site lointain, il faudrait peut-être attendre qu’il y ait plus qu’un simple radiateur à réparer. » Ici, l’équipe de maintenance fait le présupposé que ce n’est pas si grave. Sans ignorer le problème, elle ne lui donne pas la même importance que l’équipe soignante. « Pour les autres logiques hospitalières, un radiateur cassé signifie une chambre condamnée, ajoute le directeur. Ce qui peut impliquer de réelles difficultés dans un programme opératoire, par exemple. Bien que tout le monde soit dans une logique rationnelle, le manque de communication des deux parties engendre un véritable problème. »
« La bonne circulation de l’information est aussi d’appréhender une situation dans la réalité telle qu’elle est vue de chacun, pour l’ensemble des parties prenantes, conclut Guillaume Couillard. Il ne faut pas l’appréhender en présupposant ce qu’elle est pour les autres. » Ainsi, lorsqu’il y a un problème — qu’il soit petit ou gros —, si l’information ne circule pas comme il le faut, le problème ne pourra que s’aggraver et, surtout, ne pourra pas être résolu de manière optimale. « Il y a aussi le biais de reporter la faute sur l’autre : imaginons que quelqu’un n’ait pas respecté ce qu’il devait faire, on dira alors qu’“il n’a pas respecté la procédure”, explique-t-il. En réalité, la vraie question est plutôt de savoir pourquoi il ne l’a pas respectée. D’autant que, dans la grande majorité des cas, n’importe qui placé dans la même situation aurait fait la même chose. »
Le rôle du directeur de l’établissement prend donc une tout autre valeur. Il doit avant tout être sur le terrain, comprendre les réalités de chacun, et jouer un rôle d’intermédiaire entre toutes ces logiques hospitalières. Selon Guillaume Couillard, cela demande un travail sur soi très important : « Il faut être à l’aise avec le fait que l’on ne sait pas tout ! Certains cadres ont encore du mal avec cela, mais il faut toujours avoir le souci d’aller sur le terrain pour bien comprendre la réalité des situations. On pense toujours savoir ce qui se passe. Alors qu’en réalité on ne le sait pas précisément, et on ne le saura jamais tant qu’on ne sera pas allé interroger les premiers concernés. »
Ainsi, la mise en place de réunions régulières, selon un certain formalisme destiné à faire émerger l’ensemble des facettes de la situation, pour faire communiquer chacune de ces logiques, devient essentielle. Encore faudrait-il que la communication se déroule de manière efficace. « L’ingrédient secret est simplement de se mettre d’accord sur nos problèmes et non pas sur ce que l’on pense être une solution, insiste-t-il. Cette étape est souvent oubliée. Les premières discussions, généralement, se font autour des solutions : “il faut faire cela”. Cette manière de faire enclenche un mauvais départ à la résolution du problème, car elle est non seulement source de désaccords, chacun apporte sa propre solution, mais elle renforce d’autant plus les deux effets mentionnés (silos et rigidité). » Une affaire d’organisation qui doit donc prendre en compte le point de vue de chacun, ouvrant de nouvelles perspectives pour penser l’hôpital de demain…