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Biomimétisme : quand la science s’inspire de la nature

S’inspirer du vivant, une méthode autant qu’une philosophie

Kalina Raskin, ingénieure physico-chimiste, docteur en neurosciences de Sorbonne Université et directrice générale de Ceebios (Centre d’études et d’expertises en biomimétisme) et Emmanuel Delannoy, consultant, auteur, conférencier, associé fondateur du cabinet Pikaia, secrétaire général du Comité français de l'UICN et fondateur de l'institut INSPIRE
Le 25 octobre 2023 |
4 min. de lecture
Kalina Raskin
Kalina Raskin
ingénieure physico-chimiste, docteur en neurosciences de Sorbonne Université et directrice générale de Ceebios (Centre d’études et d’expertises en biomimétisme)
Emmanuel Delannoy
Emmanuel Delannoy
consultant, auteur, conférencier, associé fondateur du cabinet Pikaia, secrétaire général du Comité français de l'UICN et fondateur de l'institut INSPIRE
En bref
  • Le biomimétisme est une méthode de conception qui nécessite une compréhension des systèmes biologiques à toutes les échelles.
  • Cette vision de l’innovation a une dimension écologique : sobriété énergétique, adaptabilité, durabilité, etc.
  • Or, le « biomiwashing » décrédibilise ce concept au profit du commerce, sans fondements scientifiques réels.
  • Afin de discuter du futur et des enjeux du biomimétisme, le CEEBIOS et le MNHN ont créé un programme pour réunir des laboratoires et des industriels.

Créer des adhésifs aus­si puis­sants que ceux du gecko, des fils aus­si solides que ceux des soies d’araignées, des détecteurs molécu­laires aus­si fins que l’odorat du requin… C’est ce que promet le bio­mimétisme. Mais pas seule­ment… Car au-delà du sen­sa­tion­nal­isme de cer­tains pro­duits inspirés par la nature, le bio­mimétisme s’inscrit dans une éthique et une réflex­ion glob­ale de l’innovation. « Le bio­mimétisme débute par la com­préhen­sion des sys­tèmes biologiques, à l’échelle des molécules comme des espaces naturels. On peut ensuite trans­fér­er les con­nais­sances acquis­es vers d’autres domaines d’application, c’est donc avant tout une méth­ode de con­cep­tion. C’est aus­si une philoso­phie. », explique Kali­na Raskin, direc­trice générale du Cee­bios (Cen­tre d’é­tudes et d’ex­per­tise en biomimétisme).

« C’est une approche qui con­siste à s’inspirer du vivant pour imag­in­er des solu­tions, com­pat­i­bles avec les dynamiques écologiques », acqui­esce Emmanuel Delan­noy, pio­nnier du bio­mimétisme en France et spé­cial­iste de la bio­di­ver­sité. « Le vivant offre un cahi­er des charges per­ti­nent au regard des enjeux économiques et écologiques con­tem­po­rains », com­plète le spé­cial­iste. En effet, il fonc­tionne sur le renou­velle­ment des matières pre­mières et stocke du CO2 dans une grande sobriété énergé­tique. « Le vivant ne fab­rique des matéri­aux qu’à par­tir d’atomes abon­dants, à tem­péra­ture et pres­sion ambiantes avec une cir­cu­lar­ité très impor­tante de la matière », pré­cise Kali­na Raskin. « Les formes de vie se sont adap­tées à tous les milieux et con­traintes. La dura­bil­ité est la ques­tion essen­tielle de cette longue his­toire de co-évo­lu­tion », insiste Emmanuel Delannoy.

Cette approche a déjà don­né nais­sance à des pro­duits proches des marchés comme des sys­tèmes de propul­sion inspirés du mou­ve­ment des pois­sons (les hydroli­ennes de EEL Ener­gy1, les moteurs de FinX2 ou même les pom­pes car­diaques Cor­wave3), des pro­duits des­tinés à l’agriculture issus de microalgues (les sys­tèmes de cap­ture de CO2 de Car­bon­Works4, les anti­fongiques d’Immunrise5 ou les ingré­di­ents bioac­t­ifs d’Algosource6) ou des insectes (pro­duits de bio­con­trôles de M2i Life Sci­ence7) ou encore de nou­velles tech­nolo­gies (caméras inspirées de la rétine de Proph­e­see8, ou le stock­age de don­nées sur ADN par Bio­mem­o­ry9). 

Les écosys­tèmes n’aiment pas les sys­tèmes simplifiés

Pour­tant, le bio­mimétisme ne dis­pose pas encore de label. Il n’a pas, aujourd’hui, voca­tion à verdir n’importe quel procédé ressem­blant, même de loin, à un objet vivant. « On appelle cette ten­dance le bio­mi­wash­ing », souf­fle Kali­na Raskin. De plus en plus de pro­duits « inspirés de la nature » fleuris­sent dans le com­merce et relèvent davan­tage du sto­ry­telling que d’une approche sci­en­tifique. « L’utilisation de ter­mi­nolo­gies bio­mimé­tiques sans véri­ta­ble assise sci­en­tifique décrédi­bilise l’approche », insiste la direc­trice du Ceebios.

Aujourd’hui, le bio­mimétisme fait l’objet d’une norme : l’ISO 18458, qui donne un cadre à l’utilisation de son vocab­u­laire. Le Cee­bios, en parte­nar­i­at avec l’ADEME et le Pôle Eco-con­cep­tion de Saint-Eti­enne pré­pare égale­ment « un guide d’introduction au bio­mimétisme pour l’éco-conception ». Il s’agit pour Kali­na Raskin « d’expliquer l’importance de la démarche et d’in­viter les indus­triels à mesur­er la part de bio­mimétisme dans leur processus ».

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Emmanuel Delan­noy pro­pose d’aller plus loin. « Les écosys­tèmes n’aiment pas les sys­tèmes sim­pli­fiés, remar­que-t-il. Ils ont une ten­dance à la com­plex­ité et à la diver­si­fi­ca­tion, en con­sti­tu­ant des équili­bres et des partages de ressources. Cela va à l’encontre des modes de pro­duc­tion indus­triels actuels, qui font la chas­se à la diver­sité. »  Le spé­cial­iste imag­ine des sys­tèmes dont l’efficacité ne sera pas mesurée sur la per­for­mance seule, mais la capac­ité à ten­dre vers davan­tage de com­plex­ité, de tolérance, de diver­sité et de sobriété. « Ce n’est pas for­cé­ment l’optimisation d’un pro­duit de sor­tie qui compte mais l’équilibre du sys­tème », expose-t-il. Il pense par exem­ple à des sys­tèmes logis­tiques asso­ciant des solu­tions com­plé­men­taires afin de s’adapter au terrain.

Le bio­mimétisme pour­rait aus­si se dévelop­per en élar­gis­sant ses mod­èles. Les objets biologiques les plus étudiés avec un angle bio­mimé­tique sont le gecko, le requin, le lotus, l’aigle, le mar­tin pêcheur, le fugu japon­ais, la soie d’araignée, la nageoire de la baleine à bosse… « Les experts esti­ment que la terre héberg­erait plus de 20 mil­lions d’espèces. Or, seule­ment 2 mil­lions sont iden­ti­fiées et très peu ont été étudiées aux inter­faces inter­dis­ci­plinaires… », relève Kali­na Raskin. 

Un concept en plein développement

Aujourd’hui, les pro­mo­teurs du bio­mimétisme veu­lent inté­gr­er la méth­ode aux boîtes à out­ils indus­trielles. « Pour pass­er de la sin­gu­lar­ité à un proces­sus de rou­tine, il faut qu’on démul­ti­plie les mod­èles biologiques », com­plète Kali­na Raskin.

En réponse, le Cee­bios a créé un pro­gramme avec le Muse­um nation­al d’Histoire naturelle (MNHN) financé par la Banque publique d’investissement. Il s’agit de réu­nir indus­triels et lab­o­ra­toires de recherche pour adress­er ensem­ble les enjeux. « Par exem­ple, on a besoin de nou­veaux revête­ments antifoul­ing, de matéri­aux avec de meilleures résis­tances mécaniques, de nou­veaux agents pour l’opacité des couleurs. Pour appréhen­der, ces prob­lé­ma­tiques indus­trielles, on noue des col­lab­o­ra­tions avec des chercheurs du MNHN afin de trou­ver des organ­ismes dont on peut inter­roger la biolo­gie », explique Kali­na Raskin.

Le développe­ment du con­cept pro­gresse. Pour s’installer, il devra sur­mon­ter un risque impor­tant. « Il existe un tro­pisme fort vers les tech­nologiques solu­tion­nistes, l’idée qu’à tout prob­lème il y a une solu­tion a for­tiori tech­nologique, sans regard cri­tique », analyse Emmanuel Delan­noy. Ce genre de raison­nement ne sem­ble pas com­pat­i­ble avec l’éthique du bio­mimétisme. « Il faut tou­jours se deman­der si c’est vrai­ment souhaitable, en artic­u­lant la réponse à un besoin réel aujour­d’hui et la prise en compte des enjeux humains et écologiques à venir », insiste le spécialiste.

 Agnès Vernet
1https://​www​.eel​-ener​gy​.fr
2https://​www​.finx​mo​tors​.com
3https://​www​.cor​wave​.com
4https://​car​bon​works​.bio/en/
5http://​www​.immunrise​bio​con​trol​.fr
6https://​algo​source​.com
7https://​www​.m2i​-life​sciences​.com
8https://​www​.proph​e​see​.ai
9https://​www​.bio​mem​o​ry​.com

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