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Hacking éthique : entre fantasmes et réalités complexes

Christophe Gaie
Christophe Gaie
chef de division ingénierie et innovation numérique au sein des services du Premier ministre
Jean LANGLOIS-BERTHELOT
Jean Langlois-Berthelot
docteur en mathématiques appliquées et chef de division au sein de l'armée de Terre
En bref
  • Le « hacking éthique » est une discipline qui utilise des techniques similaires à celles des cybercriminels, mais pour renforcer la résilience des systèmes d’information.
  • Son objectif est d’identifier de manière proactive les vulnérabilités des systèmes informatiques, afin de prévenir leur exploitation par des acteurs malveillants.
  • Il repose sur une méthodologie rigoureuse, fondée sur des référentiels reconnus (comme le PTES ou l’OSSTMM), et requiert des compétences techniques avancées.
  • Cette discipline est également mobilisée en situation de crise, pour analyser les compromissions, identifier les vecteurs d’attaque et proposer des mesures correctives.
  • Les perspectives du hacking éthique sont appelées à s’élargir avec l’essor de l’intelligence artificielle, de la blockchain ou encore de l’informatique quantique.

L’expression « hack­ing éthique » peut a pri­ori sem­bler para­doxale, tant elle jux­ta­pose deux notions perçues comme antag­o­nistes. Ce para­doxe appar­ent mérite quelques clar­i­fi­ca­tions préalables.

His­torique­ment, dans les années 1960 au MIT, le terme « hack­ing » désig­nait l’ingéniosité tech­nique d’étudiants pas­sion­nés, qui mod­i­fi­aient ou amélio­raient les sys­tèmes infor­ma­tiques et élec­tron­iques à des fins exploratoires ou créa­tives. Cette approche ludique et curieuse du sys­tème infor­ma­tique a pro­gres­sive­ment évolué avec l’apparition des pre­miers virus infor­ma­tiques, puis des logi­ciels malveil­lants, con­duisant à une représen­ta­tion néga­tive du « hack­er » dans l’imaginaire col­lec­tif, sou­vent asso­cié à des actes illé­gaux, fraud­uleux ou destruc­teurs1.

Des événe­ments emblé­ma­tiques, tels que la prop­a­ga­tion du « Mor­ris Worm » en 1988 – qui paralysa une part sig­ni­fica­tive du réseau Inter­net de l’époque – ou les opéra­tions menées par des groupes comme le « Legion of Doom », ont con­tribué à cette per­cep­tion alarmiste2.

Aujourd’hui, à rebours de ces pra­tiques illicites, le « hack­ing éthique » con­stitue une dis­ci­pline à part entière, struc­turée, encadrée légale­ment, et mobil­isant des com­pé­tences avancées en cyber­sécu­rité. Les experts con­cernés, appelés « hack­ers éthiques » ou « white hats », utilisent des tech­niques sim­i­laires à celles des cyber­crim­inels, mais dans un objec­tif opposé : ren­forcer la résilience des sys­tèmes d’information, en iden­ti­fi­ant et en cor­rigeant leurs vul­néra­bil­ités avant qu’elles ne soient exploitées à des fins malveillantes.

Le hacking éthique, pour quoi faire ?

Le hack­ing éthique représente aujourd’hui un instru­ment stratégique fon­da­men­tal dans la ges­tion des risques cyber. Son objec­tif cen­tral est l’identification proac­tive des vul­néra­bil­ités au sein des sys­tèmes infor­ma­tiques, afin de prévenir leur exploita­tion par des tiers malveil­lants. Cette approche com­plète et enri­chit les dis­posi­tifs clas­siques de pro­tec­tion, dans un con­texte mar­qué par une mul­ti­pli­ca­tion expo­nen­tielle des cybermenaces.

Con­crète­ment, le hack­ing éthique per­met de simuler des scé­nar­ios d’attaque réal­istes, repro­duisant les tech­niques util­isées par les attaquants (recon­nais­sance, escalade de priv­ilèges, piv­ot, exfil­tra­tion de don­nées, etc.) pour anticiper les points de rup­ture poten­tiels du sys­tème testé. Cette sim­u­la­tion, opérée par des pro­fes­sion­nels extérieurs à l’organisation, requiert impéra­tive­ment un cadre con­tractuel pré­cis et juridique­ment fondé, garan­tis­sant la pro­tec­tion des deux par­ties et la délim­i­ta­tion du périmètre d’intervention3.

Au-delà de la sim­ple recherche de failles, cette démarche con­tribue à élever le niveau de matu­rité cyber des organ­i­sa­tions. Elle par­ticipe à la mise en place de mesures cor­rec­tives pérennes, à la con­sol­i­da­tion des pra­tiques de développe­ment sécurisé (type DevSec­Ops), et à la for­ma­tion con­tin­ue des équipes internes. En ce sens, le hack­ing éthique con­stitue un levi­er de trans­for­ma­tion organ­i­sa­tion­nelle et un fac­teur de résilience numérique4.

Par ailleurs, en iden­ti­fi­ant les risques de fuite ou de com­pro­mis­sion des don­nées sen­si­bles, le hack­ing éthique joue un rôle majeur dans la con­for­mité aux régu­la­tions (RGPD, NIS2, etc.) et la pro­tec­tion des act­ifs cri­tiques, tant pour les entre­pris­es que pour les insti­tu­tions publiques5.

Comment procéder ?

Con­traire­ment à la vision sen­sa­tion­nal­iste véhiculée par cer­tains médias, le hack­ing éthique n’a rien d’une activ­ité mar­ginale, anar­chique ou intu­itive. Il repose sur une méthodolo­gie rigoureuse, fondée sur des référen­tiels étab­lis (comme le PTES – Pen­e­tra­tion Test­ing Exe­cu­tion Stan­dard ou l’OSSTMM – Open Source Secu­ri­ty Test­ing Method­ol­o­gy Man­u­al), et néces­site des com­pé­tences tech­niques pointues.

Trois grandes phas­es struc­turent générale­ment une mis­sion de hack­ing éthique6 :

  • Phase de cadrage (ou recon­nais­sance légale) : cette étape con­siste à définir les objec­tifs, le périmètre exact de l’audit, les règles de déon­tolo­gie, les out­ils mobil­is­ables, ain­si que les cibles fonc­tion­nelles et tech­niques du test. Le sys­tème à éval­uer est ain­si appréhendé dans sa com­plex­ité opéra­tionnelle (infra­struc­ture, appli­ca­tions, couch­es réseau, etc.).
  • Phase d’attaque simulée (ou exploita­tion con­trôlée) : les « pen­testers » [N.D.L.R. : ou hack­ers éthiques] mènent des tests de vul­néra­bil­ité, à par­tir de bases de don­nées de failles con­nues (CVE, CWE) ou de leurs pro­pres tech­niques. Cette phase inclut sou­vent une exploita­tion par­tielle – mais non destruc­tive – des failles iden­ti­fiées, par­fois assor­tie de dépôts de traces prou­vant l’intrusion, à des fins de preuve.
  • Phase de resti­tu­tion (ou report­ing tech­nique et man­agér­i­al) : elle se traduit par la rédac­tion d’un rap­port d’audit for­mal­isé, qui doc­u­mente les vul­néra­bil­ités iden­ti­fiées, leur crit­ic­ité (sou­vent via des scores CVSS), les méth­odes de remé­di­a­tion pro­posées, et les recom­man­da­tions stratégiques pour ren­forcer la pos­ture de sécurité.

Cette approche s’appuie sur une déon­tolo­gie stricte. Le hack­er éthique est tenu au respect de la con­fi­den­tial­ité, de l’intégrité du sys­tème audité, et de la trans­parence vis-à-vis du com­man­di­taire. L’ensemble de ses actions est log­gé, encadré, et sou­vent audité a posteriori.

Exemples et perspectives : le hacking éthique au cœur de la cybersécurité moderne

Les appli­ca­tions du hack­ing éthique dépassent large­ment le cadre des sim­ples audits tech­niques. Dans le champ de la réponse à inci­dent, leur exper­tise est régulière­ment mobil­isée en sit­u­a­tion de crise, notam­ment pour analyser des com­pro­mis­sions avérées, iden­ti­fi­er les vecteurs d’attaque et pro­pos­er des mesures cor­rec­tives effi­caces7.

Ain­si, lors de l’attaque coor­don­née con­tre TV5Monde en 2015, qui a paralysé l’antenne et com­pro­mis plusieurs serveurs, ce sont des spé­cial­istes en sécu­rité – issus d’agences éta­tiques comme l’ANSSI, mais aus­si des experts indépen­dants – qui ont per­mis de recon­stru­ire l’architecture com­pro­mise et de mieux com­pren­dre les tech­niques util­isées par l’attaquant8.

Le développe­ment des pro­grammes de « Bug Boun­ty » s’inscrit égale­ment dans cette logique : des organ­i­sa­tions ouvrent leurs sys­tèmes à des hack­ers éthiques volon­taires, qui sont rémunérés ou recon­nus pour les vul­néra­bil­ités iden­ti­fiées. Cette stratégie d’intelligence col­lec­tive per­met de détecter des failles com­plex­es, sou­vent non iden­ti­fiées par les audits internes. Le pro­gramme pub­lic lancé en 2024 par France Iden­tité est un exem­ple récent et emblé­ma­tique9.

Enfin, les per­spec­tives du hack­ing éthique sont appelées à s’élargir avec l’essor de tech­nolo­gies cri­tiques comme l’intelligence arti­fi­cielle (IA), la blockchain ou le quan­tique. Les hack­ers éthiques seront amenés à auditer non seule­ment des infra­struc­tures tech­niques clas­siques, mais égale­ment les mod­èles d’IA eux-mêmes, les chaînes d’approvisionnement de don­nées, ou les archi­tec­tures « zero trust » en « envi­ron­nement cloud ». Des travaux exploratoires sont déjà en cours pour sécuris­er les algo­rithmes d’apprentissage automa­tique, prévenir l’empoisonnement des jeux de don­nées, ou encore auditer la trans­parence des mod­èles génératifs.

En con­clu­sion, le hack­ing éthique s’impose aujourd’hui comme un pili­er incon­tourn­able de l’écosystème cyber­sécu­ri­taire, com­bi­nant exper­tise tech­nique, éthique pro­fes­sion­nelle et logique proac­tive de ges­tion des risques. Il per­met d’éprouver les défens­es numériques de manière con­trôlée, de révéler les angles morts d’une stratégie de cyber­sécu­rité, et de ren­forcer la résilience organ­i­sa­tion­nelle face à des men­aces de plus en plus sophistiquées.

Mais cette pra­tique ne saurait se dévelop­per pleine­ment sans un équili­bre fin entre lib­erté d’action des hack­ers éthiques et encadrement rigoureux des pra­tiques. Il revient aux décideurs publics et privés de favoris­er des envi­ron­nements prop­ices à l’innovation en cyber­sécu­rité, où la créa­tiv­ité des experts pour­ra s’exprimer sans com­pro­met­tre la sécu­rité ou l’éthique.

1Lalle­ment, M. (2015). L’Âge du Faire. Hack­ing, tra­vail, anar­chie. Média Dif­fu­sion.
2Cecil, A. (2007). A sum­ma­ry of hack­ing orga­ni­za­tions, con­fer­ences, pub­li­ca­tions, and effects on soci­ety. Tiré de : https://www.cse.wustl.edu/~jain/cse571-07/ftp/hacking_orgs/
3Skills4All. (4 Juil­let 2024). Com­ment pra­ti­quer le hack­ing éthique de manière respon­s­able ? Tiré de : https://​www​.skill​s4all​.com/​c​o​m​m​e​n​t​-​p​r​a​t​i​q​u​e​r​-​l​e​-​h​a​c​k​i​n​g​-​e​t​h​i​q​u​e​-​d​e​-​m​a​n​i​e​r​e​-​r​e​s​p​o​n​s​able/
4ANSSI. (25 févri­er 2025). Guides essen­tiels et bonnes pra­tiques de cyber­sécu­rité. Tiré de : https://​cyber​.gouv​.fr/​g​u​i​d​e​s​-​e​s​s​e​n​t​i​e​l​s​-​e​t​-​b​o​n​n​e​s​-​p​r​a​t​i​q​u​e​s​-​d​e​-​c​y​b​e​r​s​e​c​u​r​i​t​e​-​p​a​r​-​o​u​-​c​o​m​m​encer
5Mal­ware­bytes. (28 Jan­vi­er 2025). Qu’est-ce que le hack­ing éthique ? Tiré de : https://​www​.mal​ware​bytes​.com/​f​r​/​c​y​b​e​r​s​e​c​u​r​i​t​y​/​b​a​s​i​c​s​/​w​h​a​t​-​i​s​-​e​t​h​i​c​a​l​-​h​a​cking
6Dalalana Bertoglio, D., & Zor­zo, A. (2017). Overview and open issues on pen­e­tra­tion test. Jour­nal of the Brazil­ian Com­put­er Soci­ety, 23(2). https://doi.org/10.1186/s13173-017‑0051‑1
7Mada­p­ati, V., & Mada­p­ati, V. (9 Avril 2024). Eth­i­cal hack­ing in prac­tice: Real-World Case Stud­ies. Ami­go Cyber. Tiré de : https://​amigo​cy​ber​.com/​e​t​h​i​c​a​l​-​h​a​c​k​i​n​g​-​i​n​-​p​r​a​c​t​i​c​e​-​r​e​a​l​-​w​o​r​l​d​-​c​a​s​e​-​s​t​u​dies/
8ANSSI. (9 Avril 2015). Attaque infor­ma­tique con­tre TV5 Monde : l’ANSSI mobil­isée. Tirée de : https://​cyber​.gouv​.fr/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​a​t​t​a​q​u​e​-​i​n​f​o​r​m​a​t​i​q​u​e​-​c​o​n​t​r​e​-​t​v​5​-​m​o​n​d​e​-​l​a​n​s​s​i​-​m​o​b​i​lisee
9France Iden­tité. (28 févri­er 2024). France Iden­tité lance son Bug Boun­ty pub­lic. Tiré de : https://​france​-iden​tite​.gouv​.fr/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​f​r​a​n​c​e​-​i​d​e​n​t​i​t​e​-​l​a​n​c​e​-​s​o​n​-​b​u​g​-​b​o​u​n​t​y​-​p​u​b​l​i​c​.html

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