Accueil / Chroniques / La science au service de la performance sportive
Young pretty sporty girl playing table tennis on black
π Science et technologies

La science au service de la performance sportive

Romain Vuillemot
Romain Vuillemot
maître de conférence en informatique à l'École centrale de Lyon
Aymeric Erades
Aymeric Erades
doctorant en informatique, spécialisé en computeur vision et visualisation au LIRIS/École centrale de Lyon
En bref
  • Des études universitaires s’intéressent au tennis de table pour comprendre les techniques de jeu et augmenter la performance, d’autant plus à l’approche des JO.
  • Les chercheurs analysent des vidéos des matchs grâce à un algorithme, puis représentent l’échange de jeu sous forme d'un graphique.
  • Ainsi, ils caractérisent la position des joueurs, la façon dont ils se déplacent lors de la frappe, le mouvement et la trajectoire de la balle.
  • Contrairement à d’autres sports, le tennis de table est très synchrone, il existe donc une forte correspondance entre la séquence de coups et le joueur.
  • Les analyses permettront aux joueurs de s'adapter à leurs adversaires, afin d'améliorer leurs propres stratégies.

Le ten­nis de table, sport de raque­tte pop­u­laire dans le monde entier, est une dis­ci­pline olympique depuis 1988. Il fait l’ob­jet d’é­tudes uni­ver­si­taires, dans lesquelles les chercheurs analy­sent les sché­mas et les tac­tiques de jeu afin d’améliorer la per­for­mance des joueurs en com­péti­tion. Des chercheurs de l’É­cole cen­trale Lyon mem­bres du Lab­o­ra­toire d’in­for­ma­tique en images et sys­tèmes d’in­for­ma­tion (LIRIS UMR 5205 CNRS) tra­vail­lent en étroite col­lab­o­ra­tion avec la Fédéra­tion française de ten­nis de table (FFTT), l’organisme chargé de la ges­tion du ten­nis de table en France qui four­nit un encadrement tech­nique au groupe de très haut niveau. Les chercheurs analy­sent des vidéos des matchs des joueurs disponibles en ligne sur les plate­formes de dif­fu­sion, et ten­tent d’i­den­ti­fi­er des sché­mas de jeu, à par­tir de jeux de don­nées con­tenant des séquences de coups de raque­tte rel­a­tive­ment cour­tes (qua­tre à cinq coups en moyenne) mais com­plex­es (une ving­taine de descrip­teurs par coup). Le tra­vail s’ac­célère à l’approche des Jeux olympiques qui se tien­dront cet été à Paris.

Cet arti­cle a été pub­lié en exclu­siv­ité dans notre mag­a­zine Le 3,14 sur la sci­ence et le sport.
Décou­vrez-le ici.

Dans un match de ten­nis de table, les joueurs frap­pent, à tour de rôle, la balle avec leur raque­tte et la font rebondir sur le côté de la table où se trou­ve l’ad­ver­saire – sauf lors d’un ser­vice, où la balle doit rebondir sur les deux côtés. Un échange est donc per­du par un joueur s’il ne ren­voie pas la balle con­for­mé­ment à ces règles. Il gagne un set lorsqu’il atteint 11 points ou plus, avec une dif­férence de deux points entre lui et son adversaire.

Analyser les combinaisons de coups gagnants

Dans leurs travaux, les chercheurs dirigés par Romain Vuille­mot, ont mis en place des méth­odes d’analyse fine de matchs. Ain­si, ils analy­sent la posi­tion des joueurs, la façon dont ils se dépla­cent lors de la frappe, le mou­ve­ment et la tra­jec­toire de la balle. Les sci­en­tifiques se sont focal­isés sur l’analyse des com­bi­naisons de coups gag­nants, afin de car­ac­téris­er les tac­tiques des joueurs. Selon les entraîneurs de la FFTT, une tac­tique con­siste en deux coups con­sé­cu­tifs pour un des joueurs, ce qui sig­ni­fie que dans l’échange, elle se joue en trois coups. Le joueur au ser­vice con­trôle les deux pre­miers coups du jeu, puis réag­it selon la balle ren­voyée par son adver­saire, afin d’éventuellement con­clure le point. Les échanges au-delà des trois pre­miers coups peu­vent avoir un intérêt tech­nique, qui prend le dessus sur la tactique.

Trou­ver des tac­tiques ne se lim­ite pas aux com­péti­tions de ten­nis de table. D’autres sports tels que le foot­ball ou la boxe en usent, même s’ils com­por­tent beau­coup plus de con­tacts physiques entre les joueurs. Au foot­ball, cepen­dant, une séquence est définie comme une liste de plusieurs mou­ve­ments con­sé­cu­tifs effec­tués par le même joueur ou par des joueurs dif­férents, mais de manière asyn­chrone, là où le ten­nis de table est forte­ment syn­chrone au fil des échanges. Ain­si, dans une série de coups con­sé­cu­tifs au ten­nis de table, les deux joueurs appa­rais­sent alter­na­tive­ment dans une séquence. Cela sig­ni­fie qu’il existe une forte cor­re­spon­dance entre la séquence de coups et le joueur, avec des actions/réactions, antic­i­pa­tions et dominations.

Les chercheurs ont analysé la séquence des coups dans un échange jusqu’à ce qu’il soit rem­porté par l’un des deux joueurs. Une séquence a la struc­ture suivante :

  • Un ser­vice (du côté droit ou du côté gauche) qui touche l’une des neuf zones d’im­pact pos­si­bles du côté de la table de l’adversaire
  • Une séquence de coups décrite par le type de coup (con­trôle, attaque ou poussée), le fait qu’il s’agisse d’un revers ou d’un coup droit et la zone d’impact de la balle. 

D’autres descrip­teurs sont aus­si analysés, comme l’effet, la tech­nique et la posi­tion du joueur.

Un algorithme sur mesure

À l’aide d’un nou­v­el algo­rithme dévelop­pé dans leur lab­o­ra­toire, les chercheurs ont con­stru­it un graphique représen­tant un ensem­ble d’échanges à par­tir des don­nées visuelles issues d’une vidéo. Les nœuds du graphe représen­tent les coups, et les arêtes les tran­si­tions entre les coups. Les nœuds sont ordon­nés pour que les ral­lyes soient lus de gauche à droite : le nœud le plus à gauche est le ser­vice et le nœud le plus à droite désigne le vain­queur du rallye. 

« En analysant les déplace­ments de chaque joueur, les mou­ve­ments de la raque­tte et les tra­jec­toires de la balle sur la table, nous pou­vons class­er le type de coup en dif­férentes caté­gories et analyser ce qui se passe lors de chaque point », explique Romain Vuille­mot. « Nous essayons ensuite de com­pren­dre la stratégie qui se cache der­rière un coup don­né. Pour ce faire, il faut com­pren­dre ce que fait le joueur en général et com­ment réag­it son adver­saire, c’est-à-dire s’est-il adap­té au jeu de son con­cur­rent ? Cela est très com­plexe, mais nos graphes per­me­t­tent déjà d’identifier des récur­rences de séquences effi­caces promet­teuses. Il suf­fit ensuite de con­tex­tu­alis­er ces résul­tats, en par­ti­c­uli­er en fonc­tion du score ou de la dom­i­na­tion d’un joueur. » Les points tac­tique­ment intéres­sants sont sou­vent peu nom­breux et pour­tant ils sont sou­vent décisifs pour expli­quer une victoire.

Comment adopter une stratégie gagnante ?

Les résul­tats des analy­ses fourniront aux joueurs et à leurs entraîneurs les infor­ma­tions per­me­t­tant de com­pren­dre et de s’adapter à leurs adver­saires, afin d’amélior­er leurs pro­pres stratégies.

« Ce que nous avons con­staté, c’est que les tac­tiques adop­tées dépen­dent de chaque joueur, et de son mode de fonc­tion­nement », explique Aymer­ic Erades, doc­tor­ant tra­vail­lant sur ce pro­jet avec Romain Vuille­mot. « Ce qui est intéres­sant, c’est qu’un même joueur ne jouera pas tou­jours de la même manière. L’idée est donc de détecter toutes les com­bi­naisons de jeu pos­si­bles pour ensuite de com­pren­dre celles qui seront déployées pen­dant le jeu, en par­ti­c­uli­er face à un adver­saire dont on con­naît les points forts, les points faibles et le style de jeu général. »

À ce jour, les chercheurs ont analysé une trentaine de matchs dans leur inté­gral­ité et sont en train d’en analyser 70 autres. « Ce nom­bre pour­rait aug­menter à l’ap­proche des Jeux olympiques cet été, car les joueurs de ten­nis de table pré­par­ent active­ment leurs com­péti­tions et les entraîneurs nous deman­dent davan­tage de don­nées sur de nou­veaux adver­saires », explique Aymer­ic Erades. 

« D’i­ci l’été, nous espérons avoir des analy­ses tac­tiques de tous les adver­saires poten­tiels que l’équipe de France est sus­cep­ti­ble de ren­con­tr­er pour com­pren­dre com­ment ils jouent et éventuelle­ment faire remon­ter aux cadres tech­niques de la fédéra­tion les élé­ments per­me­t­tant de gag­n­er con­tre eux », ajoute Romain Vuillemot.

Isabelle Dumé

Références :

Explor­ing Table Ten­nis Ana­lyt­ics: Dom­i­na­tion, Expect­ed Score and Shot Diver­si­ty. Machine Learn­ing and Data Min­ing for Sports Ana­lyt­ics work­shop MLSA, 2023

Visu­al Analy­sis of Table Ten­nis Game Tac­tics. Journée Visu 2023, 22 juin 2023, Saclay (France)

Pierre Dulu­ard, Xin­qing Li, Marc Plante­vit, Céline Robardet, Romain Vuille­mot. Dis­cov­er­ing and Visu­al­iz­ing Tac­tics in a Table Ten­nis Game Based on Sub­group Dis­cov­ery. ECML/PKDD 2022 Work­shop, Greno­ble, France, 2022. hal-03768114

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter