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Quand l’impression 3D s’invite sur les champs de bataille

Éric Charkaluk_VF
Éric Charkaluk
directeur de recherche au CNRS et professeur à l’École polytechnique (IP Paris)
Fabien Szmytka
Fabien Szmytka
enseignant-chercheur à l’ENSTA Paris (IP Paris)
En bref
  • La fabrication additive est une technique qui repose sur un logiciel de création et une imprimante 3D.
  • Ce procédé, utile dans les industries ou même sur le front, est utilisé par l’ensemble des armées (navales, terrestres, aériennes).
  • Dans l’armée, la fabrication additive est utilisée pour deux usages principaux : la fabrication des pièces et la réparation.
  • Des pièces en polymère sont fabriquées pour des réparations, et la fabrication additive métallique pourrait même être utilisée à l’avenir.
  • Parmi les enjeux actuels de la recherche : le développement de matériaux parfaitement adaptés à la tâche, ou d’alliages permettant de réparer de nombreux types de pièces.

À la suite de la guerre en Ukraine, la Direc­tion générale de l’Armement annonçait la créa­tion d’un groupe de tra­vail dédié à la « fab­ri­ca­tion addi­tive », comme le révélait la presse. La fab­ri­ca­tion addi­tive est une tech­nique de fab­ri­ca­tion qui repose sur un logi­ciel de créa­tion et une imp­ri­mante 3D. Que ce soit dans les indus­tries ou sur le front, le procédé séduit la défense.

Comment la défense utilise-t-elle la fabrication additive ?

Éric Charkaluk. Ce procédé est util­isé par l’ensemble des armées (navales, ter­restres, aéri­ennes). La fab­ri­ca­tion addi­tive a émergé dans le domaine de la défense depuis une quin­zaine d’années, ini­tiale­ment de manière exploratoire. Aujourd’hui, elle est pri­or­i­taire pour l’Agence de l’innovation de défense, et la plu­part des groupes indus­triels l’utilisent pour la fab­ri­ca­tion de pièces pour les engins ter­restres, des élé­ments de moteurs d’avion ou encore de mis­siles. Beau­coup de pays européens sont con­cernés, tout comme les États-Unis.

Deux usages prin­ci­paux sont con­cernés : la fab­ri­ca­tion de pièces ou la répa­ra­tion. La fab­ri­ca­tion addi­tive est util­isée depuis les lignes de pro­duc­tion indus­trielles jusqu’au front. Dans les zones de con­flit, elle peut être très utile pour répar­er rapi­de­ment sur le champ de bataille ou réalis­er la main­te­nance dans les bases arrière.

Concrètement, comment répare-t-on une pièce sur le champ de bataille ?

Fabi­en Szmyt­ka. Il existe plusieurs procédés et matéri­aux dans la fab­ri­ca­tion addi­tive, ce qui offre une large gamme d’usages et de pos­si­bil­ités. Mais en pra­tique, de nom­breuses répa­ra­tions sont effec­tuées avec des imp­ri­mantes 3D du marché telles que celles que nous con­nais­sons tous ! De nom­breuses pièces en polymère sont fab­riquées ain­si. Il suf­fit de dis­pos­er d’un endroit où pos­er la machine et d’une source élec­trique. La matière pre­mière – de la résine liq­uide ou du fil – est assez facile à déplacer.

La fab­ri­ca­tion addi­tive métallique pour­rait égale­ment être util­isée, le procédé se rap­proche alors de la soudure. Un pre­mier démon­stra­teur au sein d’un con­teneur a été testé par l’Agence européenne de défense. Mais ce procédé n’est pas encore suff­isam­ment fiable dans sa ver­sion mobile et n’est pour le moment pas util­isé sur les champs de bataille.

Quels sont les avantages de la fabrication additive ?

FS. Pour la répa­ra­tion sur le front, la fab­ri­ca­tion addi­tive per­met de dépos­er de la matière sur des zones endom­magées ou des pièces exis­tantes, ce qui est par­fois impos­si­ble avec d’autres procédés ou alors avec des vari­a­tions assez fortes dans la finition.

À cela s’ajoute la rel­a­tive sim­plic­ité du procédé. Prenons l’exemple d’un engin ter­restre, un cas d’usage récur­rent est l’endommagement d’éléments fonc­tion­nels comme les poignées de portes, qui sont notam­ment sen­si­bles aux impacts. Or il n’est pas pos­si­ble d’embarquer un nom­bre infi­ni de pièces de rechange sur le champ de bataille. L’impression 3D per­met de réim­primer en quelques heures la poignée ou n’importe quel élé­ment en embar­quant unique­ment de la matière et une machine. Il est même pos­si­ble d’adapter la géométrie de la pièce de rechange pour la ren­dre plus résis­tante dans le cadre d’opérations en cours ou pour la fonc­tion­nalis­er. Le gain de temps et de logis­tique est très important.

EC. Les engins mil­i­taires évolu­ent par­fois dans des envi­ron­nements extrêmes : chaleur, sable, humid­ité, etc. Les pièces de moteur par exem­ple s’usent très vite, et amélior­er la main­te­nance est un véri­ta­ble enjeu sur les théâtres d’opérations.

Au-delà de la réparation, la fabrication additive sur le front offre-t-elle de nouveaux moyens à la défense ?

EC. Oui, cela per­met égale­ment de fonc­tion­nalis­er les équipements, un usage très employé par les forces spé­ciales. Face à des con­di­tions spé­ci­fiques sur un théâtre d’opération, des développe­ments très rapi­des peu­vent être réal­isés : par exem­ple, des pièces sont imprimées pour per­me­t­tre de fix­er de nou­veaux sys­tèmes d’arme, d’observation ou de mesure sur un engin terrestre.

La fabrication additive ne présente-t-elle pas un risque pour les soldats ?

EC. Les pièces imprimées peu­vent avoir des pro­priétés un peu dif­férentes de celles des pièces ini­tiales, mais ce n’est pas for­cé­ment un prob­lème, en par­ti­c­uli­er dans deux sit­u­a­tions : celle de pièces faible­ment sol­lic­itées, et celle qui per­met un main­tien en con­di­tion opéra­tionnelle jusqu’à une prochaine opéra­tion de main­te­nance. Même si le cahi­er des charges ini­tial n’est pas for­cé­ment respec­té, cela ne fait courir aucun risque aux util­isa­teurs. Il faut not­er par ailleurs que grâce aux pro­grammes de recherche menés depuis des années dans les lab­o­ra­toires, les pièces imprimées ont désor­mais des pro­priétés très proches des pièces fab­riquées par des procédés plus clas­siques. Ain­si, la répa­ra­tion est encore un domaine de recherche actif.

Utiliser la fabrication additive sur un champ de bataille représente-t-il un défi ?

EC. Il y a un vrai enjeu de for­ma­tion du per­son­nel. Actuelle­ment, de nom­breuses actions sont engagées par les armées pour for­mer le per­son­nel des ser­vices de main­te­nance à l’usage de ces machines. La fab­ri­ca­tion addi­tive repose sur une logique dif­férente de con­cep­tion des pièces, à laque­lle les nou­velles généra­tions d’ingénieur(e)s sont formées.

FS. L’autre défi est celui de l’accessibilité et la géométrie de la pièce, mais c’est un prob­lème qui con­cerne de nom­breux exploitants comme EDF, SNCF, etc. Les plans des com­posants ne sont générale­ment pas partagés en rai­son de la pro­priété indus­trielle. Sans con­nais­sance de la géométrie de la pièce, il faut la scan­ner pour la recon­stituer, cela alour­dit le procédé. Pren­dre en compte la répara­bil­ité dès la con­cep­tion des pièces et com­posants per­me­t­trait de dépass­er cette problématique.

Il existe différents procédés et matériaux de fabrication additive, quels sont ceux utilisés par la défense ?

EC. Les polymères reposent sur des procédés matures, et sont les seuls large­ment util­isés aujourd’hui par la défense. Les procédés util­isant des alliages métalliques inspirés du soudage sont à l’étude en rai­son de leur poten­tiel de répa­ra­tion, et des démon­stra­teurs sont dévelop­pés. Enfin, de nou­veaux procédés émer­gent, comme la fab­ri­ca­tion addi­tive par fric­tion-malax­age pour des alliages plus légers (alu­mini­um par exemple).

Les procédés à base de céramique ne trou­vent pas d’application en répa­ra­tion aujourd’hui. Ce matéri­au est par exem­ple util­isé dans les gilets pare-balles. Mais cette appli­ca­tion exig­erait d’importantes études en amont pour pou­voir garan­tir un niveau de risque nul en cas de répa­ra­tion par fab­ri­ca­tion additive.

Quels sont les enjeux de recherche aujourd’hui ?

EC. La com­po­si­tion chim­ique des matéri­aux d’apport fait l’objet de nom­breux travaux, car les matéri­aux util­isés dans les procédés clas­siques ne sont pas tou­jours les plus adap­tés à la fab­ri­ca­tion addi­tive. Des équipes tra­vail­lent égale­ment à met­tre au point des alliages qui per­me­t­trait de répar­er un grand nom­bre de pièces réal­isées dans des matéri­aux dif­férents, ce qui per­me­t­trait de dimin­uer le nom­bre de poudres ou de fils à emporter sur le front.

FS. Il y a un réel enjeu autour de la disponi­bil­ité des matéri­aux. Beau­coup de matéri­aux nobles ne sont pas faciles à récupér­er dans un con­texte mil­i­taire. Des recherch­es sont donc menées pour utilis­er des matéri­aux faciles d’accès et présen­tant de bonnes pro­priétés. Mais cela pose la ques­tion de la dura­bil­ité et de la résis­tance mécanique. En réparant une pièce avec un matéri­au dif­férent, on peut avoir des prob­lèmes d’adhérence et on crée des hétérogénéités qui peu­vent être sources d’endommagement.

Propos recueillis par Anaïs Marechal

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