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Quels seront les nouveaux métiers du futur ?

Le web3 révolutionnera-t-il les métiers du management ?

Richard Robert, journaliste et auteur
Le 13 juillet 2022 |
5 min. de lecture
Adrien Book
Adrien Book
consultant en stratégie, blogueur et conférencier
En bref
  • Le web3 décentralise le pouvoir d’organisation : chacun peut créer un écosystème autour d’un sujet, et coordonner les personnes autour de ce sujet.
  • Les communautés numériques prennent la forme de DAO (decentralized autonomous organizations), qui mobilisent des contributeurs à l’aide de contrats intelligents.
  • Dans cette nouvelle version du management en mode projet, le recrutement disparaît, la rétribution est affaire collective, toutes les décisions sont auditées.
  • Les grandes fonctions du management (organisation, gouvernance, gestion) ne disparaissent pas, mais se détachent de la figure du « manager » pour se reconfigurer et se rejouer en termes différents.

L’émergence du web3 voit le développement de nouvelles organisations. Les métiers du management vont-ils se réinventer ?

Il se passe dans ce domaine des choses fasci­nantes et dignes d’intérêt. Pré­cisons d’emblée cepen­dant que ce qui se joue n’est pas la dis­pari­tion du monde que nous con­nais­sons, mais le développe­ment d’un plus large éven­tail de sociétés, avec un plus large éven­tail de méth­odes de tra­vail. Et ces méth­odes boule­versent un cer­tain nom­bre d’habitudes et de fig­ures imposées.

Le web1 nous a apporté de nou­velles façons de con­som­mer des con­tenus, sur des sites Inter­net. Avec le web2, nous avons pu par­ticiper, inter­a­gir, partager ces con­tenus sur des plate­formes numériques : nous étions « chez elles ». La nou­veauté du web3, c’est que ce que nous lisons et écrivons nous appar­tient. Le web3 nous donne un pou­voir d’organisation : nous pou­vons créer un écosys­tème autour d’un sujet, et coor­don­ner les per­son­nes autour de ce sujet.

Le con­cept cen­tral, ici, ce sont les DAO : les organ­i­sa­tions autonomes décen­tral­isées (decen­tral­ized autonomous orga­ni­za­tions), ren­dues pos­si­bles tech­nique­ment grâce à la blockchain.

Les DAO, ce sont des humains qui se réu­nis­sent pour pren­dre des déci­sions dans le monde numérique. Ils le font à l’aide de deux out­ils-clés. Tout d’abord, les règles qui régis­sent l’organisation sont exprimées sous la forme d’une série d’instructions numériques de type « si/alors » qui sont codées directe­ment dans une blockchain, ce qui les rend à la fois véri­fi­ables et per­ma­nentes. Ensuite, des actions avec droit de vote sont émis­es et allouées aux par­ties prenantes sous la forme de « jetons numériques de gou­ver­nance », égale­ment enreg­istrés sur une blockchain.

Les DAO sont fon­da­men­tale­ment des com­mu­nautés numériques qui s’organisent. Les gens se réu­nis­sent volon­taire­ment autour d’un ensem­ble de valeurs com­munes et tra­vail­lent ensem­ble pour faire avancer leur pro­gramme, avec l’aide de con­trats intel­li­gents. C’est une logique d’émergence : vous com­mencez par une mis­sion, et l’organisation émerg­era lente­ment autour d’elle.

Vous ne choisissez donc pas vos collaborateurs ?

Ces nou­velles organ­i­sa­tions numériques n’ont pas de proces­sus de recrute­ment. Et, plus que des col­lab­o­ra­teurs, vous y trou­vez des contributeurs.

En pra­tique, les DAO sont aujourd’hui com­posées de deux types de per­son­nes : les con­tribu­teurs prin­ci­paux et les con­tribu­teurs sec­ondaires. Comme la plu­part des DAO fonc­tion­nent sans per­mis­sion, n’importe qui peut y tra­vailler, car leur code, leurs smart con­tracts et leurs listes de con­tribu­teurs sont acces­si­bles à tous de manière trans­par­ente. Vous pou­vez rejoin­dre le serveur Dis­cord de n’importe quelle DAO et com­mencer à écrire du code.

Vous arrivez et com­mencez à tra­vailler sur ce que vous pou­vez faire et qui doit être fait. L’un des aspects les plus intéres­sants de ce sys­tème est qu’une fois que quelqu’un apporte régulière­ment de la valeur ajoutée, il est prob­a­ble qu’on lui demande de rejoin­dre l’équipe des con­tribu­teurs prin­ci­paux. Plus de CV, plus de let­tres de moti­va­tion : le mod­èle ascen­dant et l’adhésion fac­ul­ta­tive aux DAO inversent le mod­èle de recherche de talents.

Il s’agit d’un grand pas en avant, et ce pour trois raisons. Pre­mière­ment, nous savons que les proces­sus de sélec­tion clas­siques ont un impact négatif sur les minorités en rai­son de préjugés pro­fondé­ment ancrés. En les élim­i­nant, nous pou­vons nous con­cen­tr­er sur les apti­tudes. Deux­ième­ment, cette mesure s’inscrit dans la ten­dance à la flex­i­bil­ité du tra­vail amor­cée (pour le meilleur et pour le pire) par la gig econ­o­my, qu’on appelle en français ubéri­sa­tion. Enfin, elle peut con­tribuer à réduire par­tielle­ment le chô­mage fric­tion­nel, puisqu’il n’y a pas de temps de latence entre le souhait de tra­vailler et le début dudit travail.

Pour se représen­ter ces nou­velles organ­i­sa­tions, imag­inez que vous tra­vaillez sur un film. Les réal­isa­teurs, pro­duc­teurs, acteurs, assis­tants de pro­duc­tion, directeurs artis­tiques, acces­soiristes, caméra­mans et ingénieurs du son se réu­nis­sent pour un pro­jet. Une fois le pro­jet ter­miné, ils se sépar­ent et vont tra­vailler sur des films dif­férents. Dans les DAO, on peut dire la même chose des développeurs, des ges­tion­naires de com­mu­nauté, des compt­a­bles, des con­sul­tants… En out­re, les con­tribu­teurs peu­vent tra­vailler pour une ou plusieurs DAO.

Comment est-on payé ?

La DAO vend des ser­vices ou des pro­duits, et met de côté une par­tie des revenus générés pour les salaires et les récom­pens­es. Comme les con­tribu­teurs n’ont pas de con­trat, il n’y a pas de moyen clas­sique de décider ce que cha­cun devrait recevoir équitable­ment. Au lieu de cela, de nom­breuses DAO se tour­nent vers des out­ils tels que Coor­di­nape pour relever ce défi. Ces solu­tions per­me­t­tent aux organ­i­sa­tions de créer des « cer­cles » de con­tribu­teurs (l’équivalent d’équipes). Chaque mem­bre du cer­cle reçoit des points et les attribue aux autres mem­bres pen­dant une cer­taine péri­ode. Plus la valeur perçue du tra­vail effec­tué pen­dant cette péri­ode est élevée, plus le nom­bre de points reçus est impor­tant, et plus la récom­pense finan­cière est élevée.

Dans ce sys­tème, un jeton est égal à un vote. Con­traire­ment aux entre­pris­es clas­siques, cha­cun dis­pose d’une voix pro­por­tion­nelle à sa par­tic­i­pa­tion au pro­jet. Notons au pas­sage que les clients, qui doivent acheter des jetons pour accéder aux offres d’une DAO, sont eux aus­si en mesure de vot­er pour décider de son ori­en­ta­tion. Vos clients devi­en­nent vos col­lègues… ou même vos patrons s’ils achè­tent suff­isam­ment de jetons ! On voit bien ici qu’un appren­tis­sage de cette nou­velle gou­ver­nance sera néces­saire, mais il y a un vrai change­ment de paradigme.

Les DAO résol­vent cer­tains des prob­lèmes liés aux pro­jets open-source, qui butent sou­vent sur la ques­tion de la rétri­bu­tion. Les per­son­nes qui utilisent une DAO doivent obtenir un jeton pour y accéder, ce qui rémunère les con­tribu­teurs, mais per­met aus­si aux util­isa­teurs d’avoir une voix dans le proces­sus de déci­sion. En sub­stance, cela sig­ni­fie que les gens seront en mesure de gag­n­er leur vie (ou presque), tout en tra­vail­lant sur des choses qui les passionnent.

C’est un mode de tra­vail glob­al et asyn­chrone. Par déf­i­ni­tion, il suf­fit d’une con­nex­ion Inter­net pour y accéder et y travailler.

Vous disiez qu’avec les DAO, le web3 nous donne un pouvoir d’organisation. Mais l’idée de management ne vacille-t-elle pas ?

Au sens où nous la con­nais­sons, c’est-à-dire incar­née dans une chaîne hiérar­chique ou une pyra­mide, avec tout en haut la « gou­ver­nance », oui. Mais l’organisation, la gou­ver­nance, la ges­tion sont des réal­ités qui se détachent de la fig­ure du « man­ag­er » pour se recon­fig­ur­er et se rejouer en ter­mes dif­férents. Par exem­ple, les DAO sont à la fois trans­par­ents et anonymes, grâce à l’utilisation des blockchains et des smart con­tracts. Toutes les déci­sions et actions peu­vent être auditées.

Ce n’est pas seule­ment la fig­ure du « patron » qui s’évanouit dans ce mod­èle, ce sont aus­si les « col­lègues ». C’est à la fois un défi et une oppor­tu­nité. Le lieu de tra­vail est un lieu de social­i­sa­tion, le manque de com­mu­nauté physique et d’identité com­mune peut être inquié­tant. Mais les organ­i­sa­tions peu­vent y répon­dre en se faisant plus actives et délibéra­tives lorsqu’il s’agit de créer des équipes. De la même façon, l’autogestion peut être incon­fort­able pour beau­coup d’entre nous, mais c’est peut-être que nous n’y sommes pas habitués.

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