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Les dernières avancées technologiques de l’énergie nucléaire

Le thorium peut-il rivaliser avec l’uranium comme combustible nucléaire ?

Isabelle Dumé, journaliste scientifique
Le 30 mars 2022 |
4 min. de lecture
En bref
  •  Le thorium pourrait être utilisé dans les réacteurs à sels fondus, l’un des modèles d’énergie nucléaire de nouvelle génération dans lequel le liquide de refroidissement du réacteur et le combustible lui-même sont un mélange de sels fondus chauds.
  • Le Th-232 présente un intérêt pour la production d’énergie nucléaire car il peut facilement absorber des neutrons et se transformer en Th-233. Le Th-233 peut devenir du protactinium-233, qui devient à son tour un isotope fissile et producteur d’énergie : le U-233.
  • Le thorium possède de nombreuses qualités mais également de nombreux inconvénients : difficile à manipuler, métal fertile et non fissile, risques plus élevés.
  • Mais il produit moins de déchets que le plutonium ou l’uranium et reste une option attrayante pour l’avenir de l’énergie nucléaire.

L’idée d’u­tilis­er le tho­ri­um comme com­bustible nucléaire a été aban­don­née dans le passé car, tra­di­tion­nelle­ment, l’én­ergie nucléaire était liée à la recherche et au développe­ment du nucléaire mil­i­taire – et l’u­ra­ni­um comme le plu­to­ni­um per­me­t­taient la fab­ri­ca­tion de bombes atom­iques. Pour la pro­duc­tion d’én­ergie, le tho­ri­um pour­rait toute­fois présen­ter de réels avan­tages et plusieurs pays investis­sent dans cet élé­ment chim­ique (voir encadré). Ce métal pour­rait être util­isé dans les réac­teurs à sels fon­dus, l’un des mod­èles de nou­velle généra­tion dans lequel le liq­uide de refroidisse­ment du réac­teur et le com­bustible lui-même sont un mélange de sels fon­dus chauds. Ces types de réac­teurs peu­vent attein­dre des tem­péra­tures très élevées, ce qui aug­mente con­sid­érable­ment l’ef­fi­cac­ité de la pro­duc­tion d’électricité.

Le prob­lème, toute­fois, est que plus de 400 cen­trales nucléaires en ser­vice dans le monde utilisent prin­ci­pale­ment l’u­ra­ni­um (U) comme com­bustible. Bien que cet élé­ment soit abon­dant, moins de 1 % de l’uranium sur Terre est de l’U‑235, l’isotope d’uranium qui est fis­sile. Le reste est de l’U-238. L’U-235 con­tenu dans l’u­ra­ni­um doit donc être con­cen­tré puis enrichi selon des procédés com­plex­es et coûteux.

Et ce n’est pas tout, la fis­sion de l’U-235 pro­duit des déchets haute­ment radioac­t­ifs qui doivent être manip­ulés avec soin, puis stock­és dans un endroit sûr pen­dant des péri­odes extrême­ment longues. Ces déchets con­ti­en­nent égale­ment un type de plu­to­ni­um qui peut être exploité pour fab­ri­quer des armes nucléaires.

Les réacteurs au thorium dans le monde

La Chine a achevé la con­struc­tion d’un réac­teur expéri­men­tal au tho­ri­um à Wuwei, à la périphérie du désert de Gobi1. Le tho­ri­um a été testé comme com­bustible dans d’autres types de réac­teurs nucléaires dans des pays comme les États-Unis, l’Alle­magne, les Pays-Bas et le Roy­aume-Uni. Il fait égale­ment par­tie d’un pro­gramme nucléaire en Inde, en rai­son de l’abon­dance naturelle de l’élé­ment dans ce pays. En France, des études sont menées par le CNRS qui développe un pro­jet appelé MSFR (pour Molten Salt Fast Reac­tor), util­isant le tho­ri­um2.

Quatre fois plus abondant que l’uranium

Le tho­ri­um (Th) a été décou­vert en 1828 par le chimiste sué­dois Jons Jakob Berzelius, qui lui a don­né le nom de Thor, le dieu nordique du ton­nerre. C’est un métal légère­ment radioac­t­if que l’on trou­ve dans les roches et les sols et qui est assez abon­dant dans la croûte ter­restre. En effet, son prin­ci­pal iso­tope, le Th-232, est env­i­ron qua­tre fois plus abon­dant que l’U-2383 et aus­si abon­dant que le plomb. La quan­tité que l’on trou­ve aux États-Unis, par exem­ple, pour­rait répon­dre aux besoins énergé­tiques de ce pays pen­dant un mil­li­er d’an­nées, et ce sans l’en­richisse­ment req­uis pour les com­bustibles à base d’uranium.

C’est le minéral phos­phate de terre rare, la mon­azite, qui con­tient le plus de tho­ri­um – jusqu’à env­i­ron 12% de phos­phate de tho­ri­um4. La mon­azite se trou­ve dans des roches ignées et autres roches et les ressources mon­di­ales de mon­azite sont estimées à env­i­ron 16 mil­lions de tonnes, dont 12 Mt dans des gise­ments de sables minéraux lourds sur les côtes sud et est de l’Inde.

Le Th-232 présente un intérêt pour la pro­duc­tion d’én­ergie nucléaire car il peut facile­ment absorber des neu­trons et se trans­former en Th-233. Ce nou­v­el iso­tope émet un élec­tron et un anti­neu­tri­no en quelques min­utes pour devenir du pro­tac­tini­um-233 (Pa-233). Cet iso­tope, quant à lui, se trans­forme en U‑233, qui est une excel­lente matière fis­sile. En effet, la fis­sion d’un noy­au d’U-233 libère env­i­ron la même quan­tité d’én­ergie (200 MeV) que celle de l’U-235.

Le problème du refroidissement

Dans les réac­teurs con­ven­tion­nels, l’u­ra­ni­um est stocké dans des bar­res de com­bustible solides, qui sont refroi­dies par d’énormes quan­tités d’eau. Sans ce refroidisse­ment, les bar­res fondraient, libérant des radi­a­tions dan­gereuses. Le tho­ri­um subi­rait ses réac­tions dans un type de réac­teur tout autre, appelé réac­teur à sels fon­dus (ou MSR pour molten salt reac­tor) qui con­tient un mélange de sels flu­o­rés dans lequel le com­bustible nucléaire est fon­du. Ce type de réac­teur n’a pas besoin d’être con­stru­it à prox­im­ité d’un cours d’eau, puisque les sels fon­dus eux-mêmes ser­vent de liq­uide de refroidissement.

Les réac­teurs peu­vent de ce fait être instal­lés dans des régions éloignées des côtes et même arides. Ces réac­teurs ne peu­vent donc pas non plus « fon­dre » au sens clas­sique du terme et, en cas d’ur­gence, le com­bustible peut être rapi­de­ment évac­ué du réac­teur. Les MSRs déploy­ant du tho­ri­um sont égale­ment plus sûrs car ils fonc­tion­nent à des pres­sions proches de la pres­sion atmosphérique.

Comme l’u­ra­ni­um, le tho­ri­um absorbe aus­si les neu­trons, comme nous l’avons men­tion­né, mais con­traire­ment à l’u­ra­ni­um, il ne libère pas davan­tage de neu­trons pour per­pétuer la réac­tion nucléaire en chaîne. Cette réac­tion com­mence lorsqu’un atome d’u­ra­ni­um est frap­pé par un neu­tron, libérant de l’én­ergie qui entraîne l’é­jec­tion d’autres neu­trons des atom­es d’u­ra­ni­um, relançant le cycle. En réduisant la quan­tité de neu­trons injec­tés dans le com­bustible, c’est le tho­ri­um lui-même qui lim­ite la vitesse de la réac­tion nucléaire.

Des investissements en R&D nécessaires

L’u­til­i­sa­tion du tho­ri­um comme nou­velle source d’én­ergie pri­maire est une per­spec­tive séduisante depuis de nom­breuses années, mais l’ex­trac­tion de sa valeur énergé­tique latente d’une manière rentable est un défi. Le développe­ment de nou­velles cen­trales nucléaires ali­men­tées au tho­ri­um néces­sit­era donc d’im­por­tants travaux de recherche et développe­ment, ain­si que des essais – des démarch­es qui pour­raient être dif­fi­ciles à jus­ti­fi­er étant don­né que l’u­ra­ni­um est rel­a­tive­ment bon marché et abondant.

Autre incon­vénient : le tho­ri­um est « fer­tile » et non fis­sile, de sorte qu’il ne peut être util­isé comme com­bustible qu’en asso­ci­a­tion avec une matière fis­sile, telle que le plu­to­ni­um recy­clé, en tant que con­duc­teur afin de main­tenir une réac­tion en chaîne (et donc une réserve de neu­trons excédentaires).

L’U-233 pro­duit à la fin du cycle est égale­ment dif­fi­cile à manip­uler, car il con­tient des traces d’U-232, qui émet active­ment des rayons gam­ma. Si cer­tains chercheurs sou­ti­en­nent l’u­til­i­sa­tion du tho­ri­um comme com­bustible parce que ses déchets sont plus dif­fi­cile­ment à trans­former en armes atom­iques que ceux de l’u­ra­ni­um, d’autres affir­ment que des risques sub­sis­tent5.

Le bon côté des choses, c’est qu’il y a glob­ale­ment moins de plu­to­ni­um pro­duit pen­dant le fonc­tion­nement du réac­teur. À tel point que cer­tains sci­en­tifiques affir­ment que les réac­teurs au tho­ri­um pour­raient même con­tribuer à épuis­er les tonnes de plu­to­ni­um qui nous avons créées et stock­ées depuis les années 1950.

1https://doi.org/10.1038/d41586-021–02459‑w
2https://​www​.ecolo​gie​.gouv​.fr/​r​e​a​c​t​e​u​r​s​-​d​u​-​futur
3https://​www​.sci​encedi​rect​.com/​b​o​o​k​/​9​7​8​0​0​8​1​0​1​1​2​6​3​/​m​o​l​t​e​n​-​s​a​l​t​-​r​e​a​c​t​o​r​s​-​a​n​d​-​t​h​o​r​i​u​m​-​e​nergy
4https://​world​-nuclear​.org/​i​n​f​o​r​m​a​t​i​o​n​-​l​i​b​r​a​r​y​/​c​u​r​r​e​n​t​-​a​n​d​-​f​u​t​u​r​e​-​g​e​n​e​r​a​t​i​o​n​/​t​h​o​r​i​u​m​.aspx
5https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​3​8​/​4​9​2031a

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