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Mais où sont donc les imprimantes 3D ?

Pourquoi la révolution de l’impression 3D n’a toujours pas eu lieu

Le 31 mars 2021 |
6 min. de lecture
Thierry Rayna
Thierry Rayna
chercheur au laboratoire CNRS i³-CRG* et professeur de l’École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Utiliser les machines et les logiciels de conception 3D reste encore trop complexe pour les non-initiés, qui préfèrent continuer à employer les méthodes de production traditionnelles.
  • L’impression 3D présente des qualités très recherchées par l’industrie (complexité des motifs, solidité des matériaux)… mais beaucoup moins par les particuliers. Il semblerait ainsi que l’impression 3D n’ait pas de réel intérêt hors de certains domaines très précis.
  • Pour Thierry Rayna, chercheur à l’École polytechnique, cela devrait changer avec la diffusion de l’IA et du machine learning, qui permettront une production sur mesure et instantanée des produits directement par les consommateurs.

Tech­nolo­gie de « rup­ture » s’il en est, l’impression 3D, aujourd’hui trente­naire, revient sur le devant de la scène au gré des phénomènes de mode. Mal­gré des pro­priétés tech­niques et des avan­tages révo­lu­tion­naires, ain­si que des pro­jec­tions de crois­sance très opti­mistes, les usages indus­triel et domes­tique de cette tech­nolo­gie sem­blent, eux, pro­gress­er bien plus lente­ment qu’attendu. La révo­lu­tion de la vie quo­ti­di­enne par l’impression 3D, prévue par les experts depuis des années, se fait tou­jours atten­dre. Et pour Thier­ry Ray­na, qui étudie depuis des années l’adoption et les impacts de la fab­ri­ca­tion addi­tive, cette révo­lu­tion ne pour­ra pas se faire sans com­bin­er l’impression 3D avec d’autres tech­nolo­gies « émer­gentes », telles que l’intelligence arti­fi­cielle, les objets con­nec­tés, la réal­ité augmentée. 

À quoi l’impression 3D sert-elle concrètement ?

Thier­ry Ray­na. Glob­ale­ment, il y a qua­tre usages pos­si­bles de l’impression 3D 1. Le pro­to­ty­page rapi­de, d’abord, est apparu dès les années 1980 et a longtemps été la seule util­i­sa­tion pos­si­ble de cette tech­nolo­gie. Par la suite, les imp­ri­mantes 3D ont pu servir à con­cevoir des out­ils (moules, guides de découpe) util­isés dans le cadre de méth­odes de fab­ri­ca­tion tra­di­tion­nelles (on par­le « d’outillage rapi­de »). Cela per­met par exem­ple de pro­duire à plus faible coût et beau­coup plus rapi­de­ment des moules (pour le moulage-injec­tion) qui peu­vent avoir une struc­ture bien plus com­plexe. Cela per­met notam­ment un refroidisse­ment et un démoulage plus rapi­des, ou des pro­duits plus per­for­mants, grâce à une sur­face plus com­plexe (les pneus Miche­lin, par exem­ple). L’étape d’après con­siste à utilis­er l’impression 3D pour fab­ri­quer directe­ment des objets (ou cer­taines par­ties), ce qui offre un vrai avan­tage en matière de coûts : comme aucun out­il­lage n’est req­uis pour la fab­ri­ca­tion (pas de moule, etc.) le coût de fab­ri­ca­tion est con­stant, et l’on peut même fab­ri­quer de toutes petites séries.

L’ultime étape reste cepen­dant la pro­duc­tion décen­tral­isée et à la demande, réal­isée locale­ment, voire directe­ment « à la mai­son » par les con­som­ma­teurs. Cela nous fait pass­er d’une sit­u­a­tion dans laque­lle on pro­duit en se bas­ant sur une demande estimée (d’où un poten­tiel gâchis), à une sit­u­a­tion où l’on ne pro­duit que ce qui est néces­saire, en ne trans­portant et stock­ant que les matières pre­mières néces­saires à l’impression 3D. En effet, le coût par unité étant con­stant avec cette tech­nolo­gie, il y a beau­coup moins de raisons de con­cen­tr­er la pro­duc­tion géo­graphique­ment ou tem­porelle­ment comme c’est le cas actuellement. 

Cet usage est celui que l’on imag­ine quand on pense à l’impression 3D, mais il faut bien not­er le pro­to­ty­page et l’outillage con­cen­trent tou­jours 90% des usages de la tech­nolo­gie. La fab­ri­ca­tion directe et la pro­duc­tion « à la mai­son » ne sont pas répandus.

Car­rosse de vélo imprimé en 3D ©Thier­ry Rayna

Pourquoi pensez-vous que l’impression 3D ne s’est pas démocratisée ?

Elle est en fait déjà démoc­ra­tisée pour cer­tains usages : le pro­to­ty­page et l’outillage, mais ces usages restent peu vis­i­bles et sont rel­a­tive­ment peu « dis­rup­tifs ». Pour le reste, et mal­gré les avan­tages impor­tants de l’impression 3D, on reste à la recherche d’usages, à la fois indus­triels et domes­tiques, qui fassent vrai­ment sens. 

L’impression 3D fait en effet face à d’autres tech­nolo­gies de fab­ri­ca­tion, sans doute moins « mod­ernes », mais très opti­misées. De fait, si la « fab­ri­ca­tion directe » d’objet (a for­tiori locale) est l’utilisation de la tech­nolo­gie la plus por­teuse de trans­for­ma­tions, elle ne se jus­ti­fie vrai­ment que dans trois cas bien par­ti­c­uliers : urgence ou besoin d’un lead time très court, fab­ri­ca­tion de très petites séries ou de pro­duits ultras per­son­nal­isés, ou fab­ri­ca­tion d’objets au design très com­plexe. Or ces besoins ne sont finale­ment cri­tiques que dans des indus­tries bien par­ti­c­ulières : prin­ci­pale­ment l’aéronautique, la médecine, le spa­tial et la défense, qui sont tous his­torique­ment des secteurs-clés de l’impression 3D. 

Les par­ti­c­uliers pour­raient en revanche eux ressen­tir de tels besoins (éviter de se ren­dre au mag­a­sin ou d’attendre une livrai­son, créer des objets per­son­nal­isés ou répar­er leurs appareils domes­tiques), mais il y a alors un enjeu pure­ment pra­tique : utilis­er une imp­ri­mante 3D est à l’heure actuelle tout sauf plug-and-play ! Il faut d’abord mod­élis­er numérique­ment l’objet, à l’aide de logi­ciels encore trop com­plex­es, cal­i­br­er physique­ment la machine avant chaque impres­sion, et espér­er que l’impression – qui peut dur­er plusieurs heures, même pour le plus sim­ple des objets – se déroulera sans ani­croche (auquel cas il fau­dra tout recom­mencer), et ce alors même que les machines sont très sen­si­bles (la tem­péra­ture, l’humidité, les vibra­tions, les matéri­aux, etc. sont autant de caus­es d’échec pos­si­bles)2. En ce qui con­cerne la per­son­nal­i­sa­tion de masse, sou­vent perçue comme l’argument phare de l’impression 3D, elle n’est aujourd’hui qu’assez peu per­ti­nente, en dehors de cas d’usage très spé­ci­fiques (les pro­thès­es, par exem­ple). Cela fait main­tenant longtemps que de grandes mar­ques offrent la pos­si­bil­ité de per­son­nalis­er des objets (une paire de Nike, par exem­ple), mais que peu de con­som­ma­teurs le font. Et la per­son­nal­i­sa­tion ne con­cerne de nos jours que peu d’objets : que se passera-t-il lorsque l’on pour­ra tout per­son­nalis­er ? Qui pren­dra le temps de le faire ?

Vous ne pensez donc pas que l’impression 3D va exploser ?

Pas tant que l’on n’aura pas trou­vé d’usage qui a vrai­ment du sens par rap­port aux car­ac­téris­tiques tech­niques (et pas fan­tas­mées) de l’impression 3D. En fab­ri­ca­tion directe ou locale, la tech­nolo­gie n’est aujourd’hui adap­tée que pour des secteurs très pré­cis, et dans des con­di­tions par­ti­c­ulières. Rares sont les cas où le lead time, la petite taille des séries, ou le besoin de com­plex­ité sont présents. Dans la majorité des cas, cet argu­ment ne joue pas : pour les par­ti­c­uliers, la livrai­son dans les zones urbaines prend par­fois moins de temps qu’il n’en faut pour imprimer l’objet ! D’ailleurs, même dans l’industrie, la général­i­sa­tion de la fab­ri­ca­tion au moyen de l’impression 3D n’est pas une évi­dence. Le fait que le coût de fab­ri­ca­tion par unité reste con­stant est à la fois une bonne et une mau­vaise nou­velle : dès que le nom­bre d’unités pro­duites est (rel­a­tive­ment) élevé, l’absence d’économies d’échelle devient en effet par­ti­c­ulière­ment pénal­isant. Dans ce cas, il est donc tou­jours plus rentable de recourir à des méth­odes de pro­duc­tion tra­di­tion­nelles : on fab­rique des moules et des out­ils certes coû­teux, mais qui per­me­t­tent de pro­duire rapi­de­ment des dizaines, voire des cen­taines de mil­liers d’unités à coût uni­taire très faible.3 

La fab­ri­ca­tion addi­tive n’est pas une jeune tech­nolo­gie, ses brevets fon­da­teurs ont été déposés au milieu des années 1980 ; dix ans seule­ment après la créa­tion des pre­miers ordi­na­teurs per­son­nels. Or il y a dix ans, les ordi­na­teurs per­son­nels étaient déjà omniprésents. Dix ans après, une impres­sion 3D répan­due et démoc­ra­tisée reste, elle, un rêve loin­tain, et ce mal­gré tous ses avan­tages « révo­lu­tion­naires ». Cela mon­tre bien que ça n’est pas la tech­nolo­gie qui fait la « dis­rup­tion », mais l’usage que l’on en fait. La vente de PC, par exem­ple, a chuté dans les années 1980 parce que les gens ne savaient pas quoi en faire… puis les imp­ri­mantes (papi­er), les appareils pho­to numériques et surtout Inter­net sont arrivés dans les années 1990, et tout le monde a saisi leur intérêt.

Je pense que l’impression 3D con­naî­tra le même des­tin : une fois cou­plée à la col­lecte des don­nées via les objets con­nec­tés, et à leur traite­ment par l’intelligence arti­fi­cielle, son util­ité se révélera, et elle cessera d’être une tech­nolo­gie de niche. On pour­ra alors imprimer sur mesure un grand nom­bre d’objets (ou plus par­ti­c­ulière­ment des par­ties per­ti­nentes d’objets), pour lesquels la per­son­nal­i­sa­tion se fera fine­ment et automa­tique­ment, et aura une réelle valeur ajoutée. Mais même dans ce cas, il pour­ra suf­fire d’avoir une imp­ri­mante dans un mag­a­sin à prox­im­ité. Que tout le monde ait un jour son imp­ri­mante 3D à la mai­son relève sans doute plus de la sci­ence-fic­tion ! Après tout, des décen­nies après leur inven­tion, tout le monde ne dis­pose pas d’une machine à pain ou d’une yaour­tière à la maison…

Pro­pos recueil­lis par Juli­ette Parmentier

1https://​www​.sci​encedi​rect​.com/​s​c​i​e​n​c​e​/​a​r​t​i​c​l​e​/​p​i​i​/​S​0​0​4​0​1​6​2​5​1​5​0​02425
2NDR : Selon un rap­port de l’entreprise Jabil, le manque de com­pé­tences était dans 71% des cas ce qui dis­suadait les per­son­nes inter­rogées de se tourn­er vers la fab­ri­ca­tion addi­tive plutôt que la pro­duc­tion tra­di­tion­nelle : https://​www​.jabil​.com/​b​l​o​g​/​3​d​-​p​r​i​n​t​i​n​g​-​t​r​e​n​d​s​-​s​h​o​w​-​p​o​s​i​t​i​v​e​-​o​u​t​l​o​o​k​.html
3NDR : Cela explique peut-être pourquoi, en 2018, seules 4% des entre­pris­es français­es util­i­saient des imp­ri­mantes 3D :https://​www​.insee​.fr/​f​r​/​s​t​a​t​i​s​t​i​q​u​e​s​/​3​8​9​6​4​6​1​?​s​o​m​m​a​i​r​e​=​3​8​56444

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