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Biomolécules : trois techniques à la pointe de la recherche

Cryo-microscopie électronique : la révolution de la résolution

Pierre-Damien Coureux , Professeur assistant en microscopie électronique au BIOC* à l’École polytechnique (IP Paris)
Le 20 avril 2022 |
6 min. de lecture
Pierre-Damien COUREUX
Pierre-Damien Coureux
Professeur assistant en microscopie électronique au BIOC* à l’École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • La biologie structurale moderne est née dans les années 1950 avec la première structure de la double hélice d’ADN et les premières structures de protéines récompensées en 1962 par deux prix Nobel.
  • Même si les premiers microscopes électroniques existaient bien avant les années 1950 et permettaient d'observer les matériaux à haute résolution, les molécules du vivant sont restées longtemps des objets difficilement observables avec cette technique. En biologie, cette approche structurale a été considérée pendant très longtemps comme une grosse loupe.
  • Depuis une dizaine d’années la technique a connu des avancées révolutionnaires permettant de voir des molécules à l’échelle atomique et aussi petites que l’hémoglobine.
  • Si la pandémie de Covid était apparue il y a 15 ans, les chercheurs n’auraient jamais été en mesure d’obtenir sa structure aussi rapidement.
  • Le prochain défi consiste à visualiser l’intérieur des cellules avec un niveau de détail suffisant pour replacer tous les modèles atomiques connus du vivant et de comprendre leur interaction

« Voir pour mieux com­pren­dre », telle est la devise de la biolo­gie struc­turale mod­erne. Un domaine qui vise à obtenir la struc­ture des objets biologiques pour mieux com­pren­dre le rôle d’une molécule don­née dans la cel­lule. La biolo­gie struc­turale mod­erne est vraisem­blable­ment née dès 1953 avec la pub­li­ca­tion de la struc­ture de la dou­ble hélice de l’ADN par Wat­son et Crick 1 et quelques années plus tard avec les pre­mières struc­tures de pro­téines par Kendrew et Perutz. Depuis, la biolo­gie struc­turale a fourni aux chercheurs de pré­cieuses infor­ma­tions pour com­pren­dre le vivant et le soigner. 

Une histoire technique

Les tech­niques disponibles ont émergé et évolué cha­cune à leur tour : la cristal­lo­gra­phie aux rayons X, déjà maitrisée dans les années 1910 a con­nu une révo­lu­tion dans les années 1990 grâce, entre autres, à l’utilisation de la cry­ocon­géla­tion de cristaux et à la qual­ité des syn­chro­trons qui génèrent des rayons X. La réso­nance mag­né­tique nucléaire, décou­verte par hasard dans les années 1940 a émergé en biolo­gie struc­turale dans les années 2000 et est encore util­isée aujourd’hui, surtout pour étudi­er la dynamique des pro­téines. La micro­scopie élec­tron­ique, née dans les années 1930 a longtemps été con­sid­érée, en biolo­gie, comme une paire de jumelles pour voir l’infiniment petit mais sans don­ner d’informations struc­turales à haute résolution.

Le prob­lème : les molécules du vivant sont minus­cules. Par exem­ple, la pro­téine Spike du SARS-CoV­‑2 pèse ~180–200 kDa2 — l’équiv­a­lent de trois molécules d’hémoglobine3. Les images obtenues par micro­scopie élec­tron­ique sont très bruitées, en rai­son de l’interaction du fais­ceau d’électrons du micro­scope avec l’échantillon. Résul­tat : on ne dis­tingue plus rien sur les images si l’objet que l’on observe est trop petit ! Ce n’est que depuis une dizaine d’années qu’une révo­lu­tion a pu voir le jour : la con­cep­tion des micro­scopes a été améliorée, la qual­ité et la rapid­ité des détecteurs util­isés per­me­t­tent d’enregistrer des images de meilleure qual­ité, les logi­ciels d’aide au traite­ment des don­nées sont plus intu­itifs, plus per­for­mants et la vitesse de cer­tains cal­culs a pu être améliorée d’un fac­teur 50 grâce aux cartes graphiques des ordi­na­teurs. Si la pandémie du SARS-CoV­‑2 était apparue il y a une quin­zaine d’années, nous n’aurions jamais été en mesure d’obtenir sa struc­ture aus­si rapi­de­ment et aus­si pré­cisé­ment pour lut­ter con­tre elle !

Mieux et plus vite

Née en Alle­magne, la micro­scopie élec­tron­ique a d’abord servi la physique. La biolo­gie a béné­fi­cié des développe­ments faits en physique et les pre­mières images d’échantillons biologiques datent des années 1950. Ce n’est qu’en 1968 que les améri­cains de Rosier et Klug démon­trent qu’à par­tir d’images 2D pris­es avec un micro­scope élec­tron­ique per­me­t­tent de remon­ter à la struc­ture 3D de l’objet étudié. La pre­mière struc­ture d’une pro­téine mem­branaire provient d’une bac­térie. Elle date de 1975 et a été réal­isée par les pio­nniers bri­tan­niques Unwin et Hen­der­son. (Voir pho­to ci-con­tre). Hen­der­son a reçu un prix Nobel en 2017 pour ses travaux pio­nniers pen­dant plus de 40 ans avec les chercheurs Frank et Dubochet. 

Pre­mière struc­ture de pro­téine mem­branaire obtenue en 1975 à 7Å de réso­lu­tion. Un record pour l’époque4.

Il va fal­loir atten­dre 40 ans de plus pour obtenir la réso­lu­tion qua­si-atom­ique (3Å de réso­lu­tion moyenne) du ribo­some humain (fait de plusieurs brins d’ARN et d’une cinquan­taine de pro­téines). Aujourd’hui, c’est plus de 10 struc­tures par jour qui sont déposées dans les bases de don­nées des chercheurs et plus de 20% d’entre elles sont des don­nées à haute résolution.

Mod­èle de ribo­some humain à haute réso­lu­tion obtenu pour la pre­mière fois en 20155.

Dès jan­vi­er 2022, la struc­ture pré­cise de la pro­téine Spike du vari­ant omi­cron SARS-CoV­‑2 (apparu seule­ment en novem­bre 2021) et de sa cible humaine (le récep­teur pul­monaire ACE2) a été révélée. Ceci a per­mis de met­tre en place de nou­velles straté­gies pour lut­ter plus effi­cace­ment con­tre l’infection de ce virus dans nos poumons6. Aus­si, la con­nais­sance de la dis­po­si­tion exacte des fibres amy­loïdes impliquées dans la mal­adie d’Alzheimer a per­mis de con­cevoir des médica­ments ralen­tis­sant l’accumulation de ces fibres dans notre cerveau7. Ain­si, de plus en plus de mod­èles biologiques sont revis­ités et améliorés rapi­de­ment grâce aux struc­tures 3D à haute réso­lu­tion obtenues avec les dernières avancées des micro­scopes élec­tron­iques. Des ver­rous tech­nologiques sont en train de s’ouvrir pour main­tenant observ­er des pro­téines seules ou en com­plexe avec d’autres parte­naires afin de mieux com­pren­dre leur rôle dans la cel­lule. Pas éton­nant que l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique investisse mas­sive­ment dans cette tech­nique pour cribler plus facile­ment et rapi­de­ment leurs nou­velles molécules thérapeutiques !

Les limites de la technique

Un micro­scope élec­tron­ique fonc­tionne sous ultra­vide (10-8 mbar) afin que les élec­trons qui y cir­cu­lent génèrent le moins de bruit par­a­site pos­si­ble. Le seul moyen d’ob­serv­er un échan­til­lon biologique est de le trans­former en glaçon solide (par vit­ri­fi­ca­tion) pour que l’échantillon, une fois dans le micro­scope, reste sous forme solide tout en gar­dant sa forme native : c’est ce qu’on appelle la cryo-micro­scopie élec­tron­ique (ou cryo-EM en anglais) !

Image d’une grille de micro­scopie élec­tron­ique prise à faible grossisse­ment. On dis­tingue la char­p­ente en cuiv­re sur laque­lle repose la fine mem­brane de car­bone per­forée : c’est le sup­port de tout échan­til­lon biologique étudié en cryo-micro­scopie élec­tron­ique8.

Le sup­port sur lequel l’échantillon est déposé est, en général, une mem­brane de car­bone per­forée de 10 nm d’épaisseur qui repose sur une char­p­ente de cuiv­re for­mant des car­reaux de 100x100 µm. L’échantillon va être piégé dans les trous de la mem­brane per­forée et l’étape la plus cri­tique va être de for­mer une fine pel­licule dans chaque trou. La char­p­ente représente un disque de 3 mm de diamètre (appelé grille). Cette grille est ensuite déposée dans le micro­scope électronique.

Le fais­ceau d’électrons util­isé (généré par le micro­scope élec­tron­ique) va tra­vers­er l’échantillon déposé sur la grille. Les images enreg­istrées par trans­mis­sion vont ren­seign­er sur l’organisation 3D des atom­es que le fais­ceau ren­con­tre, mais il génère aus­si beau­coup de bruits par­a­sites. C’est pourquoi il est néces­saire d’enregistrer des mil­liers de clichés pour moyen­ner les infor­ma­tions et obtenir un bon rap­port sig­nal sur bruit, afin de déter­min­er sans ambiguïté la forme des objets biologiques étudiés.

Sur chaque cliché, on pour­ra alors observ­er quelques dizaines d’objets biologiques (appelés par­tic­ules). Les vues observées sur les clichés cor­re­spon­dent à des pro­jec­tions dif­férentes d’un même objet 3D. Les images doivent ensuite être analysées pour faire cor­re­spon­dre des angles de rota­tion appliqués à l’objet 3D de départ, afin d’obtenir dans le micro­scope la pro­jec­tion observée. Une pro­jec­tion con­tient toute l’information struc­turale pour remon­ter aux coor­don­nées atom­iques de l’objet 3D. En util­isant un grand nom­bre de don­nées, on peut ain­si obtenir la struc­ture tridi­men­sion­nelle d’un objet biologique à haute réso­lu­tion. Les recherch­es qui pre­naient plusieurs mois pour obtenir la struc­ture d’un objet biologique ne pren­nent plus que quelques semaines, voire quelques jours.

Tout échan­til­lon biologique ne peut pas encore être observé avec un micro­scope élec­tron­ique : à l’heure actuelle, les objets inférieurs à 20–25 kDa (env­i­ron 3 nm) sont très dif­fi­ciles, voire impos­si­ble à observ­er. Mais c’est là que les autres approches struc­turales décrites au début peu­vent combler ce manque !

Un des lab­o­ra­toires de l’Ecole poly­tech­nique (BIOC) est pio­nnier dans son domaine en util­isant l’approche par micro­scopie élec­tron­ique pour étudi­er, par­mi ses dif­férents thèmes de recherche, les ribo­somes d’Archées. Les don­nées prélim­i­naires aux travaux pub­liés910 ont été réal­isés au CIMEX (voir encadré).

Encore une autre révolution à venir ? 

Depuis une dizaine d’années, des révo­lu­tions majeures ont pu être observées dans la con­cep­tion des micro­scopes, dans la tech­nolo­gie des caméras util­isées pour pren­dre les images et dans les logi­ciels util­isés pour traiter ces images. Cette dis­ci­pline, mise au goût du jour, a changé rad­i­cale­ment l’approche qu’avaient les chercheurs pour répon­dre à un prob­lème biologique.

La prochaine étape est d’aller voir les molécules dans leur con­texte cel­lu­laire : la tomo­gra­phie élec­tron­ique est encore une méth­ode arti­sanale qui demande encore beau­coup de savoir-faire et qui n’est pas très démoc­ra­tisée. La pré­pa­ra­tion des échan­til­lons est encore plus cri­tique : il faut pou­voir découper dans un glaçon de cel­lule une fine lamelle d’environ 200 nm d’épaisseur qui con­tient la région d’intérêt. Cette lamelle est ensuite observée sous dif­férents angles dans le micro­scope pour cal­culer une carte 3D de la région d’intérêt à moyenne réso­lu­tion. Les ordi­na­teurs sont capa­bles d’aller recon­naître ensuite dans cette carte 3D des pro­fils de molécules pour recon­stru­ire un mod­èle de la carte 3D. Les développe­ments dans cette dis­ci­pline sont nom­breux et devraient per­me­t­tre dans quelques décen­nies de pou­voir regarder n’importe où dans la cel­lule une pro­téine par­ti­c­ulière dans son con­texte cel­lu­laire. Le nano-univers des cel­lules n’aura bien­tôt plus de secret pour nous…

CIMEX

Le Cen­tre Inter­dis­ci­plinaire de Micro­scopie Elec­tron­ique de l’École poly­tech­nique (CIMEX) est une plate­forme hébergeant plusieurs micro­scopes où physi­ciens, chimistes et biol­o­gistes peu­vent se ren­con­tr­er et utilis­er des micro­scopes élec­tron­iques per­for­mants. L’un des micro­scopes, appelé NanoMAX, est un pro­to­type mon­di­al. Il est util­isé par les physi­ciens et les chimistes et per­met d’étudier, entre autres, à haute réso­lu­tion et en temps réel la crois­sance des nan­otubes de car­bone. L’autre micro­scope plus util­isé par les biol­o­gistes, appelé Nan’eau, est un micro­scope poly­va­lent et bien équipé. Il per­met d’obtenir des don­nées prélim­i­naires impor­tantes avant de pass­er à des micro­scopes de pointe (disponibles sur 3 cen­tres de référence au niveau nation­al). Les images alors enreg­istrées seront de qual­ité suff­isante pour obtenir la struc­ture 3D à haute réso­lu­tion de l’objet étudié. 

1https://​www​.nature​.com/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​1​7​1​964b0
2https://​www​.sci​ence​.org/​d​o​i​/​1​0​.​1​1​2​6​/​s​c​i​e​n​c​e​.​a​b​m7285
3https://​onlineli​brary​.wiley​.com/​d​o​i​/​p​d​f​/​1​0​.​1​0​0​2​/​p​r​o​.​5​5​6​0​0​61209
4Hen­der­son, R., Unwin, P. Three-dimen­sion­al mod­el of pur­ple mem­brane obtained by elec­tron microscopy. Nature 257, 28–32 (1975)
5https://​www​.emdatare​source​.org/​E​M​D​-3883
6https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​c​e​l​l​.​2​0​2​2​.​0​1.001
7https://www.nature.com/articles/s41401-020‑0485‑4
8https://www.eden-instruments.com/en/in-operando-equipments/protochips-in-situ-in-operando-em-microscopy/c‑flat-grids/
9https://​www​.nature​.com/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​n​c​o​m​m​s​13366
10https://www.nature.com/articles/s42003-020‑0780‑0

Auteurs

Pierre-Damien COUREUX

Pierre-Damien Coureux

Professeur assistant en microscopie électronique au BIOC* à l’École polytechnique (IP Paris)

Après un doctorat en biologie structurale sur les moteurs moléculaires myosines à l’Institut Curie en 2004, il part ensuite aux États-Unis étudier les photorécepteurs bactériens et végétaux en utilisant plusieurs approches dont la microscopie électronique. Il est recruté en 2008 à l’École polytechnique et travaille principalement sur les machines cellulaires qui synthétisent nos protéines : les ribosomes, avec comme modèle d’étude ceux des Archées. Il a été nommé responsable du CIMEX en 2020 et participe également à l’enseignement de la biologie à l’X.

*BIOC : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris

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