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Quelles pistes pour améliorer la relation entre éducation et emploi ?

Maths : une matière essentielle dont le niveau baisse dans beaucoup de pays

Le 12 janvier 2022 |
6 min. de lecture
Eric Charbonnier
Eric Charbonnier
analyste au sein de la direction de l'éducation et des compétences de l'OCDE
En bref
  • En France, 87 % des 25-34 ans diplômés du supérieur sont en emploi, contre seulement 51 % pour ceux qui n’ont aucune qualification. C’est l’un des écarts les plus importants des pays de l’OCDE.
  • Le niveau en mathématiques est mis en cause. En 2003, 15 % des élèves français obtenaient de très bonnes notes en maths alors qu’en 2018, ils n’étaient plus que 11 % (PISA). À l’inverse, les élèves en difficulté représentaient 17 % du total en 2003 et 21 % en 2018.
  • Ces résultats sont confirmés par la dernière étude internationale TIMSS où la France était en dernière position du classement de mathématiques avec un score moyen de 488 points – pour une moyenne européenne de 527 points.
  • Selon cette étude, 39% des enseignants de CM1 en France (et 21% dans l’OCDE) déclarent se sentir mal à l’aise lorsqu’il s’agit d’améliorer la compréhension des mathématiques des élèves en difficulté.

Quels sont les systèmes éducatifs qui fonctionnent bien concernant l’accès à l’emploi, et ceux qui laissent à désirer ?

L’analyse dif­fère en fonc­tion du diplôme obtenu à la sor­tie des études. Sans sur­prise, de meilleurs débouchés sur le marché du tra­vail s’offrent aux tit­u­laires d’un diplôme de l’enseignement supérieur dans qua­si tous les pays de l’OCDE. C’est par­ti­c­ulière­ment vrai en France, où 87 % des 25–34 ans diplômés du supérieur sont en emploi, con­tre seule­ment 51 % par­mi ceux qui n’ont aucune qual­i­fi­ca­tion (les moyennes OCDE sont respec­tive­ment de 85 % et 61 %). C’est l’un des écarts les plus impor­tants des pays de l’OCDE. Le diplôme est la meilleure pro­tec­tion con­tre le chô­mage ou l’inactivité en France, et ceux qui « décrochent » à l’école se retrou­vent en très grande pré­car­ité sur le marché du travail.

Pour ce qui est de l’enseignement supérieur, les pays d’Europe du Sud (Espagne, Ital­ie et Grèce) font fig­ure de mau­vais élèves avec des taux d’emploi inférieurs à 80 %. Deux raisons majeures : cer­tains diplômes uni­ver­si­taires sont encore peu val­orisés par les entre­pris­es, mais surtout les taux de chô­mage des jeunes restent élevés dans ces pays. Plus sur­prenant, la Corée du Sud avec un taux d’emploi de 77 % est aus­si en queue de pelo­ton, d’une part parce que l’expansion ultra rapi­de de l’enseignement supérieur a abouti à des décalages impor­tants entre les besoins des entre­pris­es et la durée ain­si que l’exigence des for­ma­tions. Et d’autre part, car les femmes coréennes se met­tent sou­vent en inac­tiv­ité après leurs études supérieures pour fonder une famille.

Par­mi les pays de l’OCDE où le taux d’emploi des 25–34 ans diplômés du supérieur approche ou dépasse 90 %, on retrou­ve des pays où les fil­ières pro­fes­sion­nelles du supérieur sont très dévelop­pées et soutenues par les entre­pris­es (Alle­magne, Lux­em­bourg, Pays-Bas) et cer­tains pays nordiques (Norvège, Islande et Suède) où les taux d’emplois sont élevés, quel que soit le diplôme obtenu.

On associe souvent le poids des mathématiques au succès des élèves. Qu’en est-il vraiment ?

L’intérêt du marché du tra­vail pour les diplômés en sci­ences — la tech­nolo­gie, l’ingénierie et les math­é­ma­tiques (STIM) — ne se dément pas. Ces fil­ières offrent encore aujourd’hui de meilleurs taux d’emploi et sou­vent les meilleurs salaires, ce qui reflète la demande d’une société de plus en plus axée sur l’innovation. En chiffres, les diplômés en tech­nolo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion (TIC) peu­vent s’attendre à un taux d’emploi supérieur de 7 points de pour­cent­age à celui des diplômés en let­tres et arts, ou en sci­ences sociales, jour­nal­isme et infor­ma­tion. Par­mi les domaines sci­en­tifiques, les taux d’emploi sont cepen­dant iné­gaux : les diplômés en sci­ences naturelles, math­é­ma­tiques et sta­tis­tiques sont plus sus­cep­ti­bles d’avoir des taux d’emploi sim­i­laires à ceux des diplômés en let­tres et arts — tous deux inférieurs à ceux dont béné­fi­cient les ingénieurs ou les spé­cial­istes des TIC.

C’est sur­prenant, car les math­é­ma­tiques jouent encore aujourd’hui un rôle majeur dans les sys­tèmes édu­cat­ifs tant pour la for­ma­tion aux métiers que pour la sélec­tion vers l’enseignement supérieur. Le niveau en math­é­ma­tiques est d’ailleurs un sujet d’inquiétude dans de nom­breux pays. Les résul­tats des élèves de 15 ans à l’étude PISA mon­trent une baisse du niveau dans une majorité de pays et notam­ment en France où en 2003, 15 % des élèves obte­naient de très bonnes per­for­mances (5 et 6 au PISA, 6 étant le max­i­mum) alors qu’en 2018, ils n’étaient plus que 11 %. Les élèves en dif­fi­culté (en dessous du niveau 2) représen­taient quant à eux 17 % du total en 2003 pour 21 % en 2018. En 15 ans, la France est ain­si passée du groupe des pays où les élèves de 15 ans sont per­for­mants en math­é­ma­tiques à celui se situ­ant tout juste au niveau de la moyenne OCDE. La sit­u­a­tion au pri­maire est encore plus inquié­tante. Dans la dernière étude inter­na­tionale (TIMSS), qui éval­u­ait le niveau en Math­é­ma­tiques des élèves de CM1, on trou­vait la France en dernière posi­tion du classe­ment avec un score moyen de 488 points, pour une moyenne européenne de 527 points.

D’où proviennent ces difficultés en mathématiques ?

Les pays dont l’investissement sur la for­ma­tion des enseignants est ou a été insuff­isant ont en général un niveau en baisse. Le méti­er d’enseignant en math­é­ma­tiques manque aujourd’hui cru­elle­ment d’attractivité, notam­ment pour des raisons de rémunéra­tion, de pres­tige, d’absence de for­ma­tion con­tin­ue et d’évolution de car­rière. Dans l’enseignement élé­men­taire en France, un prob­lème de com­pé­tences existe égale­ment. Il est stupé­fi­ant de con­stater que les élèves qui choi­sis­sent les fil­ières lit­téraires en rai­son de leurs mau­vais­es per­for­mances en maths au lycée sont les mêmes qui après une licence en Let­tres, Arts ou Sci­ences Humaines s’orientent vers des car­rières d’enseignement en cours élé­men­taires. Selon l’étude TIMSS, les enseignants de CM1 en France sont les plus nom­breux à déclar­er se sen­tir mal à l’aise lorsqu’il s’agit d’améliorer la com­préhen­sion des math­é­ma­tiques des élèves en dif­fi­culté (39 % con­tre 21 % en moyenne). Pour­tant, l’étude PISA de 2018 a démon­tré que l’enthousiasme des enseignants, leur capac­ité à trans­met­tre leur savoir avec plaisir et assur­ance sont les pre­miers fac­teurs de suc­cès des élèves.

L’amélioration des per­for­mances éduca­tives en France passera donc par une meilleure for­ma­tion des acteurs, mais aus­si par la pour­suite de la poli­tique engagée depuis 2012 de lutte con­tre les iné­gal­ités sco­laires et sociales. Un nom­bre gran­dis­sant de pays, et dans des zones géo­graphiques très dif­férentes — Roy­aume-Uni, Fin­lande, Aus­tralie, Cana­da, Estonie, Japon pour n’en citer que quelques-uns — con­cilient une per­for­mance au-dessus de la moyenne et une plus grande équité sociale dans la per­for­mance. Les iné­gal­ités observées en France ne sont donc pas une fatal­ité. Le fac­teur numéro un est tou­jours l’investissement humain. En Corée du Sud, par exem­ple, les meilleurs enseignants sont sys­té­ma­tique­ment attribués aux élèves en dif­fi­culté. En France, c’est l’inverse. Les jeunes enseignants en manque d’expérience sont sou­vent affec­tés dans les étab­lisse­ments défa­vorisés et con­fron­tés ain­si aux élèves les moins préparés.

Y a‑t-il des systèmes éducatifs innovants ?

Dans des pays comme la Fin­lande, l’Estonie ou encore le Cana­da, l’école ne sert pas à not­er ou à tri­er les élèves selon leurs résul­tats aux dis­ci­plines. Le but prin­ci­pal est plus vaste, il vise à pré­par­er les jeunes à devenir des citoyens éclairés dans le monde du 21ème siè­cle et à créer des voca­tions. Les métiers et le monde de l’entreprise sont très présents dans les cur­sus sco­laires de ces pays, et dès le col­lège. Cette approche moins dis­ci­plinaire, plus ancrée dans le monde réel, se développe un peu partout dans le monde. On le voit dans notre pro­jet de l’OCDE « Édu­ca­tion 2030 ». En Fin­lande par exem­ple, le pro­gramme édu­catif est désor­mais cen­tré sur des com­pé­tences non cog­ni­tives que sont la créa­tiv­ité, la curiosité, la capac­ité à col­la­bor­er, la con­fi­ance en soi ou encore la com­mu­ni­ca­tion. La numératie demeure impor­tante, mais le rap­port aux math­é­ma­tiques est décom­plexé et traité de façon inter­dis­ci­plinaire. A con­trario, il est intéres­sant de con­stater que la France et le Japon sont les deux pays, dans PISA 2012, où les math­é­ma­tiques généraient le plus d’anxiété chez les élèves de 15 ans.

Quelles sont les recommandations de l’OCDE pour permettre aux systèmes éducatifs d’être plus en phase avec le marché de l’emploi ?

Nous recom­man­dons de ren­forcer la for­ma­tion ini­tiale des enseignants sur le volet péd­a­gogique du méti­er. Les enjeux ne sont plus les mêmes qu’il y a 30 ans, l’éducation s’est démoc­ra­tisée et les enseignants doivent faire face à des class­es de plus en plus hétérogènes, ce qui demande une évo­lu­tion dans la péd­a­gogie util­isée. Il faut égale­ment ren­forcer l’attractivité du méti­er d’enseignant, notam­ment dans le domaine sci­en­tifique, pour faire face à la com­péti­tion avec le secteur privé : aug­menter la rémunéra­tion, per­me­t­tre des évo­lu­tions de car­rière, dévelop­per la for­ma­tion con­tin­ue afin d’avoir accès au meilleur de la recherche en neu­ro­sciences et en sci­ences de l’éducation. Enfin, les meilleurs enseignants doivent être mobil­isés auprès des publics les plus dif­fi­ciles, la poli­tique en faveur des pre­miers niveaux d’éducation et des écoles défa­vorisées doit, en ce sens, absol­u­ment être prolongée.

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