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Quelles pistes pour améliorer la relation entre éducation et emploi ?

Peut-on mesurer le lien entre éducation et chômage des jeunes ?

James Bowers, Rédacteur en chef de Polytechnique Insights
Le 12 janvier 2022 |
6 min. de lecture
Jörg Markowitsch
Jörg Markowitsch
associé principal et conseiller politique chez 3s Research & Consultancy
En bref
  • Le taux de chômage mondial des jeunes atteint 75 millions de personnes, avec des proportions variables selon les pays. Les Neet sont estimés au nombre de 621 millions.
  • Le marché du travail des jeunes est l'un des indicateurs clefs d'un système économique performant. Lorsque celui-ci est en difficulté, les premiers à être licenciés sont les plus jeunes. Il y a également moins de places d'apprentissage disponibles durant ces périodes.
  • Les modèles de l’indice EEL (Education-Employment-Linkage) se sont inspirés d'un équilibre optimal entre la contribution partagée des systèmes d'éducation publics et des entités privées pour évaluer les pays.
  • La corrélation entre l'indice EEL et le taux de chômage des jeunes montre que les pays ayant les meilleurs résultats sont ceux où le chômage des jeunes est le plus faible (KOF YLMI).

Le taux de chô­mage des jeunes est défi­ni par le pour­cent­age de jeunes (15 à 24 ans) sans emploi, capa­bles de tra­vailler et ayant reçu une for­ma­tion (c’est-à-dire la pop­u­la­tion active jeune). À l’échelle mon­di­ale, cela con­cerne 75 mil­lions de jeunes for­més qui restent sans emploi1 (con­tre 621 mil­lions de Neet), avec des pro­por­tions vari­ables selon les pays. Ain­si, en par­ti­c­uli­er dans les économies dévelop­pées, le marché du tra­vail des jeunes est l’un des indi­ca­teurs clefs d’une économie per­for­mante, sans par­ler des impor­tantes réper­cus­sions sociales.

Dans les économies de marché libérales comme le Roy­aume-Uni ou les États-Unis, lorsqu’il y a une pres­sion sur les marchés financiers, comme lors des crises finan­cières du COVID ou de 2008, les pre­miers licen­ciés sont les plus jeunes. Dans ces pays, il y a égale­ment moins de places d’apprentissage durant ces péri­odes, de sorte que, en début de car­rière, la jeune généra­tion a des dif­fi­cultés à trou­ver un emploi. Le sys­tème édu­catif a donc une fonc­tion sociale évi­dente dans l’intégration des jeunes sur le marché inter­mé­di­aire. C’est pourquoi les efforts pour main­tenir les places d’apprentissage pen­dant les crises, déployés par d’autres pays comme l’Autriche et l’Allemagne, se sont avérés béné­fiques pour lim­iter le taux de chô­mage des jeunes.

Une relation éducation-emploi

Afin de mieux en com­pren­dre les fac­teurs, de nom­breuses recherch­es ont été menées sur la rela­tion entre l’éducation et l’emploi. Un mod­èle per­ti­nent, créé par Buse­mey­er et Tram­pusch2 il y a plus de dix ans, utilise une typolo­gie à qua­tre niveaux pour décrire le lien entre l’éducation et le marché du tra­vail. Leur mod­èle fait essen­tielle­ment la dis­tinc­tion entre l’engagement de l’État en faveur de l’éducation et de la for­ma­tion, tout en con­sid­érant les con­tri­bu­tions des entre­pris­es privées. Ces dernières peu­vent être soit faibles soit élevées, ce qui con­duit essen­tielle­ment à qua­tre types de régimes de com­pé­tences ; par exem­ple, si la con­tri­bu­tion des deux est faible, on peut par­ler de sys­tèmes « libéraux » comme au Roy­aume-Uni et aux États-Unis. Si la con­tri­bu­tion de l’État est élevée et les con­tri­bu­tions privées faibles, on peut par­ler de sys­tème éta­tique comme la France et la Suède, ou inverse­ment, au Japon, les engage­ments de l’État sont faibles et les con­tri­bu­tions des entre­pris­es élevées. Alors qu’en Autriche, en Alle­magne, au Dane­mark et en Suisse, qui peu­vent être con­sid­érés comme des « régimes de com­pé­tences col­lec­tives », les engage­ments sont élevés des deux côtés.

Bien que cette analyse n’ait pas néces­saire­ment per­mis de déter­min­er si l’un ou l’autre sys­tème était meilleur, elle a fourni une clas­si­fi­ca­tion de la manière dont l’enseignement, la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle et la rela­tion avec les indus­tries dif­fèrent selon les pays.

Une autre façon d’envisager le lien entre l’éducation et l’emploi con­siste à sup­pos­er un équili­bre opti­mal entre les deux et donc un apport partagé entre les sys­tèmes d’éducation publics et les entités privées (fig. 1).

Fig. 1. Source : Econ­stor3

Cette approche a été testée par des chercheurs de l’Institut économique suisse du KOF de l’ETH Zurich, qui ont mis au point l’indice EEL (Edu­ca­tion-Employ­ment-Link­age). Ils ont exam­iné les pro­grammes d’enseignement pro­fes­sion­nel les plus impor­tants des pays de l’OCDE et ont inter­rogé des experts ain­si que des par­ties prenantes sur ce lien, au moyen d’enquêtes. Par exem­ple, ils ont demandé dans quelle mesure les employeurs con­tribuaient à la con­cep­tion des pro­grammes d’études ou à l’évaluation des com­pé­tences. Sur cette base, ils ont élaboré un indice fondé sur des critères qual­i­tat­ifs pondérés de façon à génér­er un indice quantitatif.

En util­isant l’indice EEL, il est donc pos­si­ble de class­er les pays en fonc­tion du degré de coopéra­tion entre l’éducation et l’emploi. D’une cer­taine manière, cela prou­ve égale­ment l’approche des régimes de com­pé­tences, car les régimes de com­pé­tences col­lec­tives (tels que l’Autriche ou l’Allemagne) se sont avérés bien classés dans l’indice EEL. Toute­fois, les chercheurs suiss­es ont pu tir­er des con­clu­sions plus appro­fondies. Ain­si, ils ont noté une cor­réla­tion entre l’indice EEL (KOF EELI) et le taux de chô­mage des jeunes — les pays qui ont obtenu les meilleurs résul­tats sont ceux où le chô­mage des jeunes est moin­dre (KOF YLMI).

Fig. 2. Source : Econ­stor4

Mais restons pru­dents. Même si nous avons de bons argu­ments pour croire à l’existence d’un lien de causal­ité, nous n’avons pas encore de preuve au-delà des cor­réla­tions. En out­re, ce type de recherche est générale­ment effec­tué dans le cadre d’études ponctuelles, comme des instan­ta­nés de cer­taines indus­tries dans cer­tains pays à cer­tains moments. Nous pou­vons com­par­er les pays, mais par exem­ple, nous ne dis­posons de l’indice EEL que pour l’année 2016 et il n’existe pas d’indice com­pa­ra­ble pour les autres années — il serait donc intéres­sant de dis­pos­er d’une série chronologique plus longue.

Éducation, emploi et qualité de vie

Au-delà de l’analyse actuelle, la ques­tion suiv­ante se pose : s’il existe un lien étroit entre l’éducation et l’emploi, pou­vons-nous amélior­er la société dans son ensem­ble ? Même si le taux de chô­mage des jeunes peut être un indi­ca­teur de la san­té économique, les mod­èles actuels ne tien­nent pas compte d’autres indi­ca­teurs socié­taux plus larges, comme l’équilibre entre vie pro­fes­sion­nelle et vie privée, la qual­ité de vie ou le bon­heur général. Nous sommes encore loin de dis­pos­er d’un mod­èle com­plet de ces relations.

En out­re, un sys­tème d’éducation à engage­ment plus élevé sem­ble être meilleur, mais seule­ment dans cer­tains aspects que nous exam­inons. Oui, davan­tage de jeunes trou­vent un emploi, mais dès que l’on com­mence à exam­in­er d’autres indi­ca­teurs économiques tels que la pro­duc­tiv­ité et l’innovation, l’impact d’un lien étroit entre édu­ca­tion et emploi est moins évi­dent. De plus, en ce qui con­cerne les ten­dances du marché du tra­vail, les prévi­sions sont de moins en moins effi­caces pour savoir quelles sont les com­pé­tences néces­saires, au point que ce que nous enten­dons n’est que rhé­torique poli­tique ; nous n’avons aucune preuve sci­en­tifique de la voie à suiv­re. Il est donc com­préhen­si­ble que l’accent soit mis sur des com­pé­tences clefs telles que la numératie et la lit­tératie pou­vant être con­sid­érées comme uni­verselles. Bien sûr, des ques­tions comme la réso­lu­tion de prob­lèmes, la créa­tiv­ité et le tra­vail en équipe — con­sid­érées comme des com­pé­tences du « XXIe siè­cle » — sont égale­ment cru­ciales, mais elles sont moins trans­férables d’un domaine pro­fes­sion­nel à l’autre.

Réorganiser le travail

En somme, il ne faut pas oubli­er que l’organisation du tra­vail est entre les mains des entre­pris­es qui emploient des per­son­nes. Je dirais que c’est le prin­ci­pal levi­er. Vous pou­vez essay­er de chang­er et d’améliorer le sys­tème édu­catif autant que vous le voulez, mais s’il n’y a pas le bon type d’emplois pro­posés par les employeurs, cela n’aura pas d’effet posi­tif sur le taux d’emploi. La con­cep­tion et la qual­ité des emplois sont donc essentielles ! 

Prenons deux cas extrêmes. D’un côté, nous con­sta­tons que les entre­pris­es ont ten­dance à organ­is­er le tra­vail de manière à ce qu’il puisse être effec­tué par n’importe qui. Cela inclut le micro­tra­vail tel que celui négo­cié par Ama­zon Mechan­i­cal Turk. Ici, les tâch­es sont divisées en si petits morceaux, comme cli­quer sur une image sur un écran ou scan­ner un pro­duit sur un ray­on, qu’aucune ou peu de for­ma­tion n’est néces­saire. Il existe toute­fois un dan­ger que ces méth­odes soient util­isées comme des moyens élaborés d’exploitation humaine.

D’autre part, après la sor­tie de la crise du COVID, dans cer­tains pays d’Europe, le marché du tra­vail a déjà retrou­vé les taux d’avant la crise. Cer­tains affichent même des taux de chô­mage inférieurs à ceux d’avant. La pandémie a amené de nom­breuses per­son­nes à réfléchir à ce qu’elles con­sid­èrent comme un emploi de qual­ité, et la nou­velle généra­tion de diplômés est beau­coup plus exigeante envers les employeurs qu’il y a 20 ou 30 ans. Cela met la pres­sion sur les entre­pris­es, les pous­sant à réfléchir à la manière de mod­i­fi­er le tra­vail. À mon avis, la « grande démis­sion » n’est pas un phénomène sin­guli­er de la crise du COVID, mais l’annonce d’un marché du tra­vail en muta­tion. Ain­si, dans les années à venir, nous devri­ons con­stater une dif­férence dans l’organisation du tra­vail pour ren­dre les emplois plus attrayants.

Une ques­tion demeure cepen­dant : quel rôle l’État jouera-t-il dans la direc­tion que nous prenons ?

Pour aller plus loin :

1https://​gdc​.unicef​.org/​r​e​s​o​u​r​c​e​/​y​o​u​t​h​-​u​n​e​m​p​l​o​y​m​e​n​t​-​facts
2https://​kops​.uni​-kon​stanz​.de/​b​i​t​s​t​r​e​a​m​/​h​a​n​d​l​e​/​1​2​3​4​5​6​7​8​9​/​4​6​7​4​7​/​B​u​s​e​m​e​y​e​r​_​2​-​1​i​o​1​3​f​4​5​g​l​2​x​n​4​.​p​d​f​?​s​e​q​u​e​n​c​e​=​1​&​i​s​A​l​l​o​wed=y
3https://​www​.econ​stor​.eu/​b​i​t​s​t​r​e​a​m​/​1​0​4​1​9​/​1​8​4​9​1​8​/​1​/​8​9​8​4​8​9​7​5​X.pdf
4https://​www​.econ​stor​.eu/​b​i​t​s​t​r​e​a​m​/​1​0​4​1​9​/​1​8​4​9​1​8​/​1​/​8​9​8​4​8​9​7​5​X.pdf

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