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D’où viennent les dettes publiques et que peut-on en faire ?

Patrick_Artus
Patrick Artus
conseiller économique à Natixis
En bref
  • La succession de nombreuses crises a entraîné une hausse très rapide de l’endettement public (116 % du PIB en France).
  • Malgré les efforts des Banques centrales, il n’a pas été possible de redresser l’inflation après les années 2008.
  • Les États ont ainsi exploité la possibilité qui leur était donnée de s’endetter à coût très faible.
  • Le prix élevé de l’énergie est amené à durer, en partie à cause de la guerre entre l’Ukraine et la Russie.
  • La hausse de la pression fiscale pourrait être l’une des seules solutions viables pour pallier les déficits publics.

En 1973, au moment du pre­mier choc pétroli­er, le taux d’endettement pub­lic des pays de l’OCDE (Organ­i­sa­tion de coopéra­tion et développe­ment économiques) représen­tait 30 % du PIB (36 % aux États-Unis, 20 % en France). Aujourd’hui, il con­stitue 98 % du PIB aux États-Unis, et 116 % en France. C’est la suc­ces­sion de dif­férentes crises qui a entraîné une util­i­sa­tion con­tin­uelle des déficits publics et des poli­tiques budgé­taires expan­sion­nistes.  Par­mi ces crises, on peut nom­mer les crises pétrolières des années 1970 et du début des années 1980, la crise immo­bil­ière du début des années 1990, la crise bour­sière du début des années 2000, la crise des sub­primes de 2008–2009, la crise du Covid en 2020 et la guerre en Ukraine.

La péri­ode récente a donc été une péri­ode de hausse très rapi­de de l’endettement pub­lic : étu­dions ce qu’il s’est passé.

L’échec du redressement de l’inflation

Après la crise des sub­primes, les pays de l’OCDE ont con­nu une péri­ode d’inflation très faible (1 % en moyenne de 2008 à 2020, dans la zone euro), inférieure aux objec­tifs que fix­aient les Ban­ques cen­trales (2 %). Pour des raisons insti­tu­tion­nelles, ces dernières ont donc essayé de redress­er l’inflation en util­isant des poli­tiques moné­taires très expan­sion­nistes : mise en place de taux d’intérêt à court terme nuls et même négat­ifs ou encore du « Quan­ti­ta­tive Eas­ing », c’est-à-dire achats d’obligations des États par les Ban­ques cen­trales, financés par la créa­tion monétaire.

Pour­tant, ces poli­tiques moné­taires n’ont pas abouti : le redresse­ment de l’inflation n’a pas eu lieu, car la mon­naie créée a été util­isée non pas pour acheter des biens et ser­vices, mais pour acheter des act­ifs financiers et immo­biliers. Il s’en est alors ensuivi une forte hausse des prix de ces act­ifs (actions d’entreprise et biens immo­biliers), en par­ti­c­uli­er des prix des oblig­a­tions : c’est une baisse forte des taux d’intérêt à long terme (les taux d’intérêt à 10 ans des pays du cœur de la zone euro sont devenus négatifs).

Tout ceci a fait dis­paraître les con­di­tions de souten­abil­ité de la dette publique. Avec des taux d’intérêt large­ment inférieurs aux taux de crois­sance, tout déficit pub­lic est accept­able, tout niveau d’endettement pub­lic est cohérent avec la con­trainte de solv­abil­ité des États.

On com­prend donc mieux pourquoi on assiste à la forte hausse des taux d’endettement publics depuis 2008 : les États ont sim­ple­ment exploité la pos­si­bil­ité qui leur était offerte de s’endetter à un coût très faible – et même à coût négatif dans cer­tains cas.

Une énergie qui va rester chère

Cepen­dant, aujourd’hui, la sit­u­a­tion a changé : la sor­tie de la crise du Covid a fait appa­raître une très forte crois­sance de la demande de biens (élec­tron­ique, équipement de la mai­son), ce qui a entraîné des goulots d’étranglement pour la four­ni­ture d’énergie, de matières pre­mières, de semi-con­duc­teurs et du trans­port mar­itime. En con­séquence, une infla­tion forte s’est dévelop­pée et a été ampli­fiée par les con­séquences de la guerre en Ukraine : inter­rup­tion des livraisons de gaz naturel de la Russie à l’Europe et forte hausse du prix de l’énergie (élec­tric­ité, gaz naturel, char­bon), surtout en Europe.

Le prix élevé de l’énergie est amené à dur­er : rem­plac­er le gaz naturel russe pren­dra du temps, et, au-delà la tran­si­tion énergé­tique, cela con­duira à un prix élevé de l’énergie – surtout en Europe –, puisqu’il fau­dra subir le coût de l’intermittence de la pro­duc­tion d’énergies renouvelables.

Il faut donc s’attendre à une énergie durable­ment chère et à d’autres hauss­es de l’inflation causées par le pou­voir de négo­ci­a­tion des salariés sur les marchés du tra­vail et les relo­cal­i­sa­tions de pro­duc­tions stratégiques. Tout ceci génère un envi­ron­nement infla­tion­niste, essen­tielle­ment en Europe, qui trans­forme com­plète­ment la prob­lé­ma­tique des poli­tiques monétaires.

Hausse de taux d’intérêt, baisse du PIB

Le cas le plus dif­fi­cile est celui de la zone euro : la poli­tique budgé­taire sera durable­ment expan­sion­niste, car les gou­verne­ments ont la volon­té de soutenir le pou­voir d’achat des ménages ; de financer la tran­si­tion énergé­tique, les dépens­es d’éducation, de san­té en hausse et d’améliorer la com­péti­tiv­ité des entre­pris­es face à la hausse des prix de l’énergie.

On peut donc prévoir que la péri­ode d’inflation faible – et en con­séquence, de taux d’intérêt faibles – est bel et bien ter­minée. On va désor­mais assis­ter au retour des con­traintes de souten­abil­ité des dettes : la hausse forte des taux d’intérêt réels imposera aux gou­verne­ments une réduc­tion des déficits publics, main­tenant leur souten­abil­ité budgétaire.

La péri­ode d’inflation faible, et en con­séquence, de taux d’intérêt faibles, est bel et bien terminée. 

Prenons l’exemple de la France : dans l’environnement de taux d’intérêt bas, la souten­abil­ité de la dette publique était assurée avec un déficit pub­lic pri­maire (hors intérêt sur la dette publique) de l’ordre de 3 % du PIB. Si le taux d’intérêt réel repasse en ter­ri­toire posi­tif – avec en plus le niveau très faible des gains de pro­duc­tiv­ité –, il fau­dra faire dis­paraître le déficit pub­lic pri­maire, ce qui veut dire une réduc­tion de 3 points de PIB du déficit.

Réduire le déficit public : les solutions

Quels moyens pos­sède-t-on pour réduire le déficit pub­lic de 3 points de PIB ? C’est une tâche qui sem­ble ardue étant don­né le besoin accru de dépens­es publiques dans presque tous les domaines : tran­si­tion énergé­tique, réin­dus­tri­al­i­sa­tion, san­té, édu­ca­tion, jus­tice, dépens­es mil­i­taires… La seule piste pos­si­ble con­siste à allonger l’âge de la retraite dans les pays où il est encore pré­coce, comme en France. Mais même si le taux d’emploi des 60–64 ans en France (35 %) arrivait à se hiss­er au niveau des pays où il est le plus élevé (74 % en Alle­magne, 77 % en Suède), on ne gag­n­erait que 1 point de PIB en ter­mes de déficit public.

Si la piste de la baisse des dépens­es publiques ne sem­ble pas per­ti­nente, quelles autres pistes reste-t-il ? Il serait en théorie pos­si­ble pour les Ban­ques cen­trales de financer des dépens­es publiques, restant élevées à cause de la taxe infla­tion­niste, en main­tenant des taux d’intérêt inférieurs à l’inflation. Toute­fois, nous sommes aujourd’hui témoins d’une hausse notable des taux d’intérêt et de la dis­pari­tion de cette taxe inflationniste.

Il ne reste alors que la hausse de la pres­sion fis­cale pour faire dis­paraître les déficits publics. C’est une évo­lu­tion qu’on pour­rait déplor­er, mais qui est cohérente avec l’observation selon laque­lle le besoin de nou­velles dépens­es publiques est très élevé.

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