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Trading à haute fréquence : quelles performances et quels risques pour les marchés financiers ?

FOUCAULT_Thierry
Thierry Foucault
Professeur de finance à HEC Paris
En bref
  • Le trading à haute fréquence désigne les passages d’ordres d’achat et de vente sur les marchés financiers sur une fenêtre de temps extrêmement courte.
  • Le trading est automatisé grâce à des algorithmes et des ordinateurs, ce qui lui permet de réagir très rapidement aux évènements du marché.
  • Sur les marchés des actions, à peu près 2/3 des transactions sont réalisées par des traders à haute fréquence.
  • Si l’investissement est important, la prise de risques est minimale car le temps de réaction est optimisé pour profiter au mieux des opportunités.
  • Ce système peut être enrayé par les algorithmes, à cause de bugs, ou au détriment des algorithmes, à cause des piratages.

Hi! PARIS est le nou­veau cen­tre de recherche sur l’analyse des don­nées et l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle dans le domaine de la sci­ence, le busi­ness et la société, créé par l’In­sti­tut Poly­tech­nique de Paris (IP Paris) et HEC Paris et récem­ment rejoint par Inria (Cen­tre Inria de Saclay).

Qu’est-ce qui caractérise le trading à haute fréquence ? 

L’expression désigne les pas­sages d’or­dres d’achat et de vente sur les marchés financiers sur une fenêtre de temps extrême­ment courte, de l’or­dre de la nanosec­onde, générale­ment en réac­tion à des évène­ments. Par exem­ple, lorsque la Fed [Réserve fédérale des États-Unis, ndlr] décide de baiss­er ses taux d’in­térêt, les opéra­teurs de trad­ing à haute fréquence vont plac­er des ordres une nanosec­onde après que l’an­nonce macroé­conomique soit faite. 

Qui réalise ces transactions ? 

Évidem­ment, les humains ne peu­vent réa­gir à cette échelle de temps. Le trad­ing à haute fréquence se car­ac­térise par deux phénomènes. Il s’ag­it d’abord d’un trad­ing automa­tisé : il néces­site l’u­til­i­sa­tion d’al­go­rithmes et d’or­di­na­teurs pour pass­er des ordres. Ensuite, il doit réa­gir extrême­ment rapi­de­ment aux événe­ments du marché, qu’il s’agisse d’annonces macroé­conomiques ou de change­ments au sein du marché comme des mou­ve­ments de prix.

Cette automatisation n’est pas nouvelle.

Si je prends le cas de la Bourse de Paris, nous avons eu longtemps cette image d’opéra­teurs cri­ant leurs ordres autour de la cor­beille. Ce n’est plus le cas depuis 1986, lorsque cette cor­beille a été rem­placée par une mémoire vive d’or­di­na­teur. Depuis, les traders réalisent leurs trans­ac­tions un peu partout dans le monde via des ter­minaux en ligne. Ce mou­ve­ment d’automatisation a com­mencé à la fin des années 1960 et a pris fin pour les marchés actions au début des années 90. Cette automa­ti­sa­tion a con­duit à ce qu’on appelle le trad­ing algo­rith­mique, puis, depuis une ving­taine d’an­nées, au trad­ing à haute fréquence. 

Quelle est la part de ce trading à haute fréquence ? 

Sur les marchés des actions, on estime qu’il y a à peu près deux tiers des trans­ac­tions qui sont réal­isées par ces traders à haute fréquence. Cela peut paraître élevé, mais ce n’est pas si éton­nant. C’est un peu comme les super­marchés : si ces derniers représen­tent une grande par­tie des trans­ac­tions liées à la con­som­ma­tion en France, ils ne sont que des inter­mé­di­aires. Les traders à haute fréquence ne sont pas les déten­teurs fin­aux de titres, mais des don­neurs d’ordre. Ils ne déti­en­nent les titres que très peu de temps en général.

Que reste-t-il de l’expertise humaine ?

Il est vrai qu’elle a beau­coup évolué. Les traders que l’on voit sou­vent dans les films, der­rière leur ordi­na­teur ou au télé­phone pour don­ner leurs ordres, ont générale­ment été rem­placés par des ordi­na­teurs et des algo­rithmes. Aujourd’hui, ce sont en majorité des infor­mati­ciens qui réalisent le développe­ment des algo­rithmes de trad­ing. Ils sont recrutés par des sociétés spé­cial­isées, notam­ment dans le trad­ing haute fréquence. Ces pro­fils peu­vent don­ner un avan­tage con­cur­ren­tiel cer­tain, car ils ont une exper­tise dans l’écri­t­ure de codes spé­ci­fiques au trad­ing et ont dévelop­pé une exper­tise pour opti­miser la vitesse d’ac­cès au marché.

Le marché est-il prévisible au point de se passer de l’expertise humaine ?

Si le trad­ing à haute fréquence néces­site un algo­rithme embar­quant les bonnes straté­gies, elles sont, c’est vrai, bien con­nues des marchés. Il n’y a que l’échelle de temps pour les met­tre en pra­tique qui est beau­coup plus courte. Opti­miser cette vitesse d’ac­cès au marché est donc cru­cial parce que ce temps de réac­tion est pri­mor­dial : l’opérateur qui a un temps de réac­tion plus court détient un avan­tage con­cur­ren­tiel indé­ni­able. Ces com­pé­tences tech­niques sont très par­ti­c­ulières et con­cer­nent générale­ment des per­son­nes qui ont une for­ma­tion en com­put­er sci­ence par exem­ple.

S’il y a bien un domaine de l’é­conomie où l’on peut par­ler de big data, ce sont les marchés financiers. Ils génèrent chaque jour énor­mé­ment de don­nées sous forme dig­i­tale. Chaque trans­ac­tion, chaque soumis­sion d’or­dre est une nou­velle don­née. Il est donc néces­saire pour le trad­ing à haute fréquence de souscrire à des flux de don­nées qui sont ven­dus par les bours­es. Cela demande une exper­tise tech­nique très poussée et ce sont des investisse­ments tech­nologiques qui sont à la fois coû­teux en cap­i­tal humain, mais égale­ment en ordinateurs.

Le coût d’entrée au trading à haute fréquence est-il élevé ?

Il est évi­dent que des investis­seurs comme vous et moi n’ont pas le cap­i­tal suff­isant pour prof­iter des oppor­tu­nités offertes par ce trad­ing ultra-rapi­de. Le principe des investisse­ments à haute fréquence, c’est d’obtenir des prof­its mod­estes à chaque trans­ac­tion. Ce sont de tout petits prof­its, mais comme ces trans­ac­tions sont répétées un très grand nom­bre de fois, on arrive très vite à des prof­its con­séquents. Si l’in­vestisse­ment est impor­tant, la prise de risques est min­i­male, car les straté­gies sont con­nues et le temps de réac­tion est opti­misé pour prof­iter au mieux des oppor­tu­nités. La par­tie imprévis­i­ble est rel­a­tive­ment faible. Les firmes de trad­ing haute fréquence se sont donc large­ment dévelop­pées ces dix dernières années. Désor­mais, les prof­its réal­is­ables sont beau­coup plus faibles.

Un grain de sable peut-il enrayer cette machine algorithmique ? 

Il y a plusieurs cas célèbres d’in­sta­bil­ité provo­quée à la fois par les algo­rithmes et au détri­ment des algo­rithmes, notam­ment le flash crash de 2010 aux États-Unis. L’effondrement bour­si­er a duré un peu plus de 30 min­utes et n’est pas dû directe­ment au trad­ing à haute fréquence, mais il a amené ces opéra­teurs à arrêter leurs algo­rithmes, ce qui a prob­a­ble­ment ampli­fié le krach. Et puis, comme tou­jours avec les algo­rithmes, il peut y avoir des défauts de con­cep­tion, des bugs qui n’ont pas été anticipés. Cela a été le cas en 2012 pour Knight Cap­i­tal, une grande firme de trad­ing améri­caine, un des qua­tre grands opéra­teurs de trad­ing à haute fréquence. Un jour, un de leurs algo­rithmes a eu un bug : Knight Cap­i­tal a enreg­istré rapi­de­ment une perte de 440 mil­lions de dol­lars et a frôlé la faillite.

Y a‑t-il d’autres facteurs de risque ? 

Un sujet demeure encore trop dis­cret, c’est le risque d’une intru­sion d’une plate­forme ou d’un opéra­teur algo­rith­mique. Un piratage mal inten­tion­né, par exem­ple ter­ror­iste, pour­rait très forte­ment désta­bilis­er le marché. 

Et l’intelligence artificielle va-t-elle jouer un rôle à l’avenir ?

On peut s’at­ten­dre à ce que l’in­dus­trie du trad­ing utilise ces out­ils un jour ou l’autre. Un début de réflex­ion a d’ailleurs été mené dans un autre domaine que l’in­dus­trie finan­cière, celui de la vente en ligne. Les régu­la­teurs, notam­ment en Angleterre et aux États-Unis, ont démon­tré qu’il y avait une col­lu­sion entre algo­rithmes. Prenons les algo­rithmes de pric­ing d’A­ma­zon par exem­ple : ils sont fondés sur une intel­li­gence arti­fi­cielle basée sur le learn­ing first, un proces­sus d’au­to-appren­tis­sage pour retar­ifer les pro­duits. Mais ils ne se con­tentent pas de mon­ter ou de baiss­er les prix selon le con­texte, ils trou­vent des moyens de pra­ti­quer des tar­ifs non con­cur­ren­tiels. S’ils ne sont pas codés pour cela, ils décou­vrent des moyens de faire des prof­its en créant des col­lu­sions implicites. 

Opti­miser la vitesse d’ac­cès au marché est cru­cial car le temps de réac­tion est primordial.

Cette ques­tion ne s’est pas encore posée pour les marchés financiers, mais elle le sera bien­tôt, parce qu’elle relève de la même prob­lé­ma­tique. Dès 2017, Black­Rock, l’un des plus impor­tants ges­tion­naires d’ac­t­ifs financiers améri­cains, a com­mencé à utilis­er des tech­niques d’in­tel­li­gence arti­fi­cielle pour prévoir les rentabil­ités et effectuer ses allo­ca­tions de porte­feuille. La firme s’appuie égale­ment sur le big data dans le cadre des straté­gies d’in­vestisse­ment quan­ti­ta­tives et tra­di­tion­nelles. Quant à la banque d’in­vestisse­ment JP Mor­gan, elle a déjà annon­cé le développe­ment d’un out­il prévi­sion­nel basé sur l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle afin d’an­ticiper les déci­sions des ban­ques centrales.

Props recuellis par Jean Zeid

Cet arti­cle fait par­tie de la série « IA & Busi­ness », en parte­nar­i­at avec HEC Sto­ries. Décou­vrez le deux­ième épisode « Cap­i­tal risque : une course à l’IA se pro­file ? » en cli­quant ici.

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