La finance verte va-t-elle résister à la tempête Trump ?
- La finance verte, autrement dit l’allocation de capitaux pour la transition environnementale, est remise en cause pour des motifs politiques.
- Pourtant, l’urgence climatique s’intensifie et les besoins de financement pour limiter le réchauffement climatique sont importants.
- Les financements alloués à la transition sont en outre très en-deçà de ceux nécessaires pour la maîtrise d’une température globale tolérable.
- Pourtant, la finance verte se dote d’outils innovants, et dans le domaine industriel, plus d’une voiture sur cinq vendues en 2024 était électrique.
- Parmi les leviers d’action possibles : l’intervention de l’État mais aussi la recherche et la formation à des enjeux environnementaux dans les institutions (universités, entreprises).
La finance verte, entendue comme l’allocation des capitaux au service de la transition environnementale, traverse une période turbulente. Elle est remise en cause pour des motifs politiques, notamment depuis le retour au pouvoir de Donald Trump au début de l’année 2025, et parce qu’elle est devenue moins rentable depuis le choc énergétique et la remontée des taux consécutifs à la guerre en Ukraine. Pourtant, la finance a un besoin impérieux de se verdir : entre autres, l’urgence climatique s’intensifie et le besoin de financement pour limiter le réchauffement à un niveau raisonnable reste important. Il y a toutefois des raisons d’espérer : les récents travaux de recherche en finance verte nous permettent de mieux comprendre les mécanismes de pression que les investisseurs peuvent exercer sur les entreprises pour qu’elles se verdissent, et d’identifier des outils qui pourraient permettre d’infléchir significativement la courbe des émissions. Cela demandera cependant un engagement fort et conjoint de la société civile, du monde de la recherche et des investisseurs verts, qui devront jouer un rôle plus important afin de pallier l’insuffisance de l’ambition affichée par les pouvoirs publics.
Un backlash « made in USA », sur fond d’environnement macro-politique global défavorable
Depuis le premier mandat présidentiel de Donald Trump, l’investissement intégrant les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) s’est retrouvé au cœur des débats politiques aux États-Unis. Certains responsables politiques américains, comme le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis, qualifient ces pratiques de « woke investing », c’est-à-dire d’initiatives politiquement marquées, jugées excessivement progressistes. Ces dernières années, des États comme le Texas et la Floride ont restreint l’utilisation de critères ESG dans la gestion des fonds publics. De plus, à la suite des retraits massifs de capitaux publics de leurs fonds ESG, plusieurs grands gestionnaires d’actifs américains ont relégué les considérations ESG au second plan, afin de limiter les risques politiques et de réputation. En conséquence, face à la pression politique aux États-Unis, et aux menaces de défection des organismes financiers américains, les alliances Net Zero des institutions financières (NZIA, GFANZ, NZAM) ont été dissoutes ou ont annoncé une révision à la baisse, voire la suppression, de leurs objectifs climatiques.
Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche en 2025 a ancré ce backlash dans la réglementation. Par exemple, la Securities and Exchange Commission (SEC) a cessé de défendre sa règle de « Climate Disclosure », et le ministère du Travail américain envisage d’abroger la règle « Investment Duties », qui autorisait les fonds de pension à utiliser des critères ESG. Sur le plan de la gouvernance d’entreprise, la SEC a rétabli des standards très permissifs pour rejeter les résolutions d’actionnaires sur le climat. Concernant le développement d’infrastructures « vertes », les subventions à des projets contribuant à la réduction des gaz à effet de serre ont été annulées et les nouveaux permis d’éoliennes ont été suspendus.

À ce backlash politique made in USA s’ajoute un environnement macro-financier mondial défavorable. Le ralentissement économique conjugué à une inflation persistante, alimentée par la hausse des droits de douane, a donné un coup d’arrêt à de nombreux projets d’investissement liés à la transition énergétique. De plus, la multiplication des guerres et les dynamiques expansionnistes de certains États freinent le développement de la finance verte, qui pâtit d’une augmentation des dépenses militaires, et d’une moindre coopération entre États. De fait, face à la baisse des rendements des actifs ESG, certains investisseurs ont abandonné l’investissement vert au profit de la recherche de performance financière.
Des obstacles inhérents au développement de la finance verte
Par ailleurs, la pratique de la finance environnementale n’a pas encore atteint sa maturité. Du côté des investisseurs, bien que les mécanismes d’investissement à impact commencent à être bien cernés par la recherche académique, l’offre de fonds proposant ce type d’investissement reste insuffisamment développée par rapport aux « fonds verts » traditionnels. Et les indicateurs de mesure d’impact ne sont pas standardisés, notamment en ce qui concerne les impacts sur la nature autres que climatiques.
De plus, les cadres réglementaires sont fragmentés et toujours en développement dans la plupart des pays. Ils sont même parfois en cours de révision pour devenir moins contraignants (cf. en particulier la loi « omnibus » en Union Européenne, visant à réduire les ambitions de la Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises [CSRD]). Cela compte tenu des craintes d’incompatibilité entre les objectifs socio-environnementaux de la finance durable et les risques, perçus ou réels, de perte de compétitivité. Ce manque d’ambition se reflète également dans les politiques publiques où, par exemple, le soutien à la transition écologique coexiste toujours avec des subventions aux énergies fossiles dans de nombreux pays.
Quant aux sociétés civiles, elles sont encore trop peu engagées dans le soutien à l’investissement durable. Cela compte tenu à la fois de l’insuffisante information sur les pressions exercées par l’activité humaine sur les équilibres climatiques et biologiques, et sur les leviers d’action que pourrait offrir la finance durable. De plus, le greenwashing, à différents degrés, de nombreuses entreprises, contribue à miner la confiance et l’engagement des investisseurs.
En conséquence, les financements alloués à la transition sont encore très en-deçà du niveau nécessaire pour maintenir la température globale à un niveau raisonnable, en particulier dans les pays émergents. Selon la Climate Policy Initiative, il faudrait quintupler les flux annuels de financement climatique d’ici 2030 – de 1 460 à 7 400 milliards de dollars – pour rester sur une trajectoire d’augmentation de la température globale de 1,5 °C.
Des signaux positifs et des raisons d’espérer
Pourtant, il y a de bonnes raisons de garder espoir car la dynamique de la finance durable à l’échelle mondiale et les développements de la recherche sur ce sujet sont favorables.
En effet, l’investissement vert s’accélère et se dote d’outils innovants. En 2024, il représentait 2 000 milliards de dollars, soit deux fois plus que les investissements en énergies fossiles1, contribuant à approfondir toujours plus les marchés verts (ex : le stock d’obligations vertes et durables représentait 5.4 trillions de dollars au T3 20242). En termes de pricing, les entreprises avec la plus forte empreinte environnementale financent leur dette à un coût plus élevé que les autres via une « prime brune3 ». De plus, des initiatives collectives continuent de se développer : par exemple, les Just Energy Transition Partnerships s’étendent (ex : au Sénégal avec 2,5 milliards d’euros) et créent un modèle de financement mixte pour sortir du charbon dans les marchés émergents4. Tout ceci est renforcé par le développement des plans de transition pour évaluer l’alignement des entreprises avec les objectifs de l’accord de Paris. En 2023, une entreprise sur quatre évaluée par le Carbon Disclosure Project avait un plan de transition compatible avec un scénario de 1,5 °C, en augmentation de 44 % par rapport à l’année précédente5.
La dynamique favorable du financement vert s’observe également dans le domaine industriel. Plusieurs secteurs opèrent leur verdissement très rapidement : par exemple, dans le secteur des transports, plus d’une voiture sur cinq vendue en 2024 était électrique6, un chiffre en hausse de 25 %7 par rapport à l’année précédente. De plus, l’innovation technologique verte s’accélère : par exemple, le coût d’un pack batterie a chuté de 20 % entre 2023 et 2024, ouvrant des perspectives prometteuses pour le développement massif du stockage énergétique8.
Les financements alloués à la transition sont encore très en-deçà du niveau nécessaire pour maintenir la température globale à un niveau raisonnable
Enfin, dans le domaine de la recherche, la compréhension des mécanismes via lesquels les investisseurs peuvent pousser les entreprises à se verdir progresse significativement. En termes de filtres ESG d’investissement, plusieurs récents travaux9 montrent combien il est nécessaire de construire un portefeuille en prenant en compte les externalités et les besoins de financement de l’ensemble des entreprises de l’économie – pas uniquement celles du portefeuille d’investissement. Ceci afin de maximiser l’additionnalité de l’investissement par rapport à un état contrefactuel. De plus, les bénéfices significatifs de l’engagement actionnarial ont été documentés par plusieurs premiers travaux empiriques10.
Les leviers d’action pour les États, la société et les chercheurs
Quels sont alors les leviers d’action pour mettre la finance au service d’une transition écologique ambitieuse dans cet environnement chaotique ?
Idéalement, il faudrait que les États renforcent la dynamique favorable de l’investissement vert en accroissant les financements des agences publiques et des banques multilatérales de développement. Ceci permettrait d’augmenter le nombre de projets financés et d’accroître l’offre d’actifs financiers verts, en soutenant les projets de blended finance, pour réduire le coût du capital des entreprises contribuant à la transition écologique et catalyser une multiplication des investissements privés. Dans cette optique, il s’agit de conférer un caractère juridiquement contraignant aux engagements pris dans le cadre des alliances Net Zero ou d’harmoniser les normes et taxonomies à l’échelle internationale. Il serait aussi possible de lutter contre le greenwashing (à travers le développement de labels, une surveillance renforcée, voire l’instauration d’une responsabilité juridique), de soutenir la R&D verte, ou encore d’abroger les politiques de subventions aux énergies fossiles.
Pourtant, le contexte politique et géopolitique nous pousse à reconnaître que ces mesures contraignantes ambitieuses ont peu de chances d’être mises en œuvre dans un futur proche. Dans ce contexte, de quelles marges de manœuvre disposent la société civile, les entreprises, et les investisseurs pour compenser l’inaction étatique ?
Un premier levier d’action consiste à permettre au plus grand nombre d’acteurs (universités, entreprises, communes, administrations, associations, etc.) de développer largement des dispositifs de formation et de sensibilisation aux enjeux environnementaux et aux instruments disponibles de la finance durable. Il convient également de soutenir le développement d’initiatives favorisant les coalitions d’investisseurs. Ceci pourrait renforcer l’activisme actionnarial sur les sujets environnementaux et les initiatives permettant de diffuser largement les informations auprès des porteurs. En outre, le développement de plateformes de données open-source et gratuites sur les empreintes environnementales des entreprises permettraient aux investisseurs particuliers et aux petits investisseurs institutionnels d’accéder aisément à des métriques clés. Parmi les autres impacts possibles, le soutien à la transition écologique, qui passe notamment par un renforcement de l’offre de fonds à impact de la part des gestionnaires d’actifs, bénéficierait également de l’essor de plateformes de financement participatif à visée environnementale.
Enfin, la recherche a un rôle important à jouer. Il est essentiel de soutenir les chercheurs et les projets de recherche sur les sujets environnementaux dont l’activité est compromise dans leur pays d’origine. Insister sur les risques environnementaux, qui deviennent de plus en plus menaçants, et dont la matérialité financière n’est pas remise en question, permettrait potentiellement à la finance verte de regagner la confiance des investisseurs et des pouvoirs publics les plus rétifs. Cependant, au-delà de ces risques incontestables, la recherche se doit d’approfondir l’analyse des conditions dans lesquelles l’investissement peut soutenir le plus efficacement la transition écologique. En particulier, la focale doit être déplacée vers l’investissement d’impact au détriment de l’investissement ESG, concept englobant des dimensions hétérogènes, voire parfois contradictoires, l’exposant ainsi aux critiques et facilitant les pratiques de greenwashing. Ce d’autant plus que les stratégies ESG les plus courantes ne sont pas les plus efficaces pour pousser les entreprises à verdir leur modèle d’affaires.
Conclusion
À l’aube du deuxième mandat de Donald Trump, la finance verte marque le pas sur le plan politique et doit faire face à des défis systémiques. Pourtant, les avancées récentes, tant sur le plan technologique qu’académique, offrent des motifs d’optimisme. En mobilisant les chercheurs, les investisseurs et la société civile, il est encore possible de mettre la finance au service d’une trajectoire compatible avec des objectifs climatiques ambitieux. Si l’urgence est manifeste, les instruments sont disponibles. Encore faut-il la volonté politique et collective de les mobiliser !
Références :
- Bolton, P., Kacperczyk, M. T., 2021. Do investors care about carbon risk? Journal of Financial Economics 142, 517–549.
- Green, D., Roth, B., 2024. The allocation of socially responsible capital. Journal of Finance, Forthcoming Paper.
- Heeb, F., K¨olbel, J., 2024. The impact of climate engagement: A field experiment. Working Paper.
- Hsu, P., Li, K., Tsou, C., 2023. The Pollution Premium. Journal of Finance 78, 1343–1392.
- Oehmke, M., Opp, M. M., 2025. A Theory of Socially Responsible Investment. The Review of Economic Studies 92, 1193–1225.
- van der Kroft, B., Palacios, J., Rigobon, R., Zheng, S., 2025. Timing sustainable shareholder proposals in real asset investments. Working Paper.
- Zerbib, O. D., 2022. A Sustainable Capital Asset Pricing Model (S‑CAPM): Evidence from Environmental Integration and Sin Stock Exclusion. Review of Finance 26, 1345–1388.