Chine : les climatiseurs sont-ils en froid avec la lutte contre le réchauffement ?
- L’achat de climatiseur dans le monde ne cesse d’augmenter malgré leur empreinte énergétique et carbone particulièrement élevés.
- Selon un rapport du GIEC de 2023, les économies d’énergie et l’amélioration de l’efficacité énergétique sont un levier pour réduire les émissions de GES.
- Une étude sur l’usage des climatiseurs en Chine montre que les consommateurs chinois accordent trop d’importance aux prix des climatiseurs lors de leurs achats, au détriment de leurs coûts énergétiques sur le long terme.
- Les ménages pourraient donc ne pas apprécier les climatiseurs à haut rendement énergétique, qui permettent pourtant de réduire leur consommation d’énergie.
- Les comportements d’achat par les ménages chinois varient en fonction de critères géographiques et sociologiques.
Le réchauffement climatique transforme jusqu’à nos plus simples habitudes de vie. La hausse générale de l’usage des climatiseurs dans des régions éloignées dans le monde en témoigne. Assurer le bien-être des populations, en particulier dans les régions chaudes, est un objectif qui explique amplement la hausse des achats et usages de ces appareils électriques de prime abord rafraîchissants.
Pourtant, ces appareils salutaires en période estivale cachent une face plus sombre : une empreinte énergétique et carbone particulièrement élevé. Parmi tous les appareils électroménagers blancs12 [N.D.L.R. les appareils électroménagers de cuisine et salle de bains], les climatiseurs seraient ceux qui consommeraient le plus d’énergie, engendrant donc un cercle vicieux : une aide pour supporter la chaleur, mais aussi une contribution forte au réchauffement climatique. Or, selon le rapport du GIEC de 20233, l’un des plus grands potentiels de réduction des émissions GES réside dans les économies d’énergie et l’amélioration de l’efficacité énergétique [N.D.L.R. les méthodes permettant de réduire la consommation d’énergie d’un système, en gardant le même service final ou en améliorant sa qualité]. Les climatiseurs seraient-ils donc en froid avec nos ambitions climatiques ?
Le parc chinois de climatiseurs représente près de 37 % du parc mondial.
Pour atténuer les conséquences du dérèglement climatique, des pays développés et en développement mettent en place des stratégies visant à améliorer l’efficacité énergétique de leurs appareils. L’Union européenne s’est par exemple fixé un objectif ambitieux : atteindre au moins 32,5 % d’amélioration de son efficacité énergétique d’ici à 20304. Mais tous les pays suivent-ils cette voie ?
En Chine, la demande en climatiseurs a explosé ces dix dernières années, au point de doubler leur nombre moyen par ménage. En effet, entre 2010 et 2020, les ventes de climatiseurs sont passées de 51,5 millions d’unités par an à près de 100 millions5. L’ampleur du phénomène est telle qu’en 2025, le parc chinois de climatiseurs représente près de 37 % du parc mondial6. Or, les achats de nombreux climatiseurs, par les ménages chinois, et la consommation énergétique élevée de ces appareils pourraient avoir une importante incidence négative sur les économies d’énergie et la réduction des émissions carbonées. Face à ces constats, la Chine met-elle en place des mesures pour améliorer l’efficacité énergétique de ses climatiseurs ? Aussi, quelles sont les habitudes des ménages chinois en matière d’utilisation de la climatisation ?
Comprendre les choix des ménages chinois
Pour répondre, l’étude nommée Implicit Discount Rates and Energy Efficiency Gap in Airconditioning: Evidence from the Chinese Market est parue en mai 2025 dans la revue Resource and Energy Economics. En effet, l’on sait par exemple que l’adoption de climatiseurs à haut rendement énergétique réduirait la consommation d’énergie des ménages, engendrant une baisse de leurs factures d’électricité et de leur impact climatique. Cependant, ceux-ci s’accompagnent la plupart du temps de coûts d’achat plus élevés dans l’immédiat. Les comportements économiques des Chinois tiennent-ils compte de ces critères ?
Pour mener ces recherches, des scientifiques se sont appuyés sur les données détaillées de ventes et de prix de climatiseurs dans 274 villes chinoises entre 2013 et 2018. Effectivement, les résultats de l’étude pointent que les consommateurs chinois accordent une importance particulière à l’accessibilité des prix des climatiseurs lors de leurs achats, au détriment de leurs coûts énergétiques à long terme.
Les consommateurs chinois pourraient ne pas pleinement apprécier les économies d’énergie permises par les climatiseurs à haut rendement énergétique.
Précisément, les consommateurs chinois ne prennent en compte que 41 % des frais d’exploitation [N.D.L.R. c’est-à-dire des coûts d’utilisation et d’entretien réalisés à la suite de l’achat d’un produit] dans leurs décisions d’achat. Cela signifie qu’ils atteignent un taux d’actualisation implicite d’environ 24 % lorsqu’ils choisissent des climatiseurs. Or, un taux d’actualisation implicite élevé rend compte de la manière dont un individu privilégie des achats à court terme au détriment d’économies futures. Dans ce cas-ci, ce taux d’actualisation élevé suggère que les ménages chinois qui achètent des climatiseurs accordent habituellement beaucoup moins d’importance aux économies d’énergie futures qu’ils ne le devraient rationnellement.
Ces résultats impliquent donc que les consommateurs chinois pourraient ne pas pleinement apprécier les économies d’énergie permises par les climatiseurs à haut rendement énergétique. En d’autres termes, on observe un fossé entre ce qui est financièrement optimal pour les ménages, l’adoption accrue de climatiseurs à haut rendement énergétique, et leurs choix concrets, des climatiseurs moins coûteux, mais plus énergivores.
Des choix coûteux pour les ménages et le climat
Quelles sont les conséquences concrètes de cette sous-estimation des économies d’énergie futures par les ménages chinois lors de l’achat de climatiseurs ? Les habitudes de climatisation des consommateurs chinois pourraient en premier lieu affecter leur bien-être et leur consommation globale d’énergie. Selon l’étude, des taux d’actualisation élevés sur le marché chinois de la climatisation entraineraient une augmentation de la consommation annuelle d’énergie d’environ 7,5 % et une perte financière de 30,3 yuans par consommateur. Selon des estimations contrefactuelles, si les consommateurs ne sous-évaluaient pas les coûts énergétiques futurs sur le marché chinois, la part de marché des climatiseurs à faible consommation d’énergie passerait de 35,1 % à 39,3 %, raison de plus d’attirer l’attention des consommateurs sur les coûts énergétiques à long terme de ces appareils.
Cette étude sur les habitudes des Chinois en matière de climatisation met également en lumière les différences de comportements d’achat selon les villes et les groupes sociaux (figure 1). Les comportements d’achat des consommateurs chinois ne sont pas homogènes, mais ils varient en fonction de critères géographiques et sociologiques.

Dans les villes de Chine où le PIB par habitant est plus élevé, les consommateurs minimisent moins fortement les coûts de la climatisation sur le temps long, en comparaison à ceux où le PIB par habitant est plus faible. Le constat est le même pour les ménages de plus grande taille, pour ceux où l’investissement dans l’éducation des enfants est plus important, et pour les habitants du sud de la Chine, où l’usage des climatiseurs est plus répandu que dans le nord à cause des plus fortes chaleurs.
Les limites de l’étude et les pistes futures
Cette étude comporte toutefois des limites qui méritent d’être approfondies par d’autres recherches. Premièrement, les données d’utilisation des climatiseurs dans les différentes régions du pays sont obtenues à partir d’enquêtes auprès des ménages, et peuvent donc être moins précises que celles transmises par les données de charge électrique. L’une des orientations de la recherche future consisterait par conséquent à utiliser les données de charge du réseau électrique pour estimer plus précisément les coûts énergétiques futurs pour chaque modèle de climatiseur sur le marché.
En outre, l’étude n’explore pas les raisons pour lesquelles certains consommateurs prennent moins en compte les coûts énergétiques des climatiseurs sur le court terme par rapport au long terme. Une étude sur la question offrirait pourtant de nouvelles orientations à cette recherche. Elle permettrait l’exploration de diverses hypothèses, comme celles des contraintes de crédit7, de la myopie891011, de comportements d’inattention121314 et de manque de saillance1516. Enfin, l’adoption de nouveaux climatiseurs à haut rendement énergétique pourrait engendrer un effet rebond [N.D.L.R. l’utilisation des climatiseurs accrue par les consommateurs en raison de l’amélioration de leur efficacité énergétique], susceptible de pousser les ménages à une plus grande consommation d’énergie que celle prévue initialement17181920.
Cette étude apporte donc de nouvelles données sur les comportements des ménages chinois lors de l’achat de climatiseurs. Elle montre que ces derniers ont tendance à ne pas assez prendre en compte les coûts de l’énergie sur le temps long. Ce biais comportemental entraîne une hausse de la consommation d’électricité des Chinois, et pourrait avoir des conséquences sur le réchauffement climatique.
Pourtant, des mesures de sont applicables. Parmi elles, la fixation de normes minimales d’efficacité énergétique21222324, des mesures d’information, ou encore des incitations à l’efficacité énergétique. S’attaquer au problème de la consommation énergétique des climatiseurs en Chine pourrait améliorer le bien-être des individus et atténuer le changement climatique, tous deux sur le long terme.