L’énergie osmotique, un atout pour la planète ?
- La pression osmotique produite lorsque l'eau douce passe dans l'eau salée peut être exploitée pour produire de l'électricité.
- Une expérience pilote menée dans le delta du Rhône, qui exploite l’énergie osmotique, permettrait de produire de l’électricité de manière renouvelable et non intermittente.
- L'électricité issue de l'énergie osmotique peut être produite 24 heures sur 24, quelles que soient les conditions météorologiques, contrairement au solaire ou à l’éolien.
- En 2023, la start-up française Sweetch Energy a mis en service une nouvelle centrale osmotique près de 20 fois plus efficace que les centrales osmotiques précédentes.
- À long terme, OsmoRhône espère produire 500 mégawatts d’électricité, suffisamment d'énergie pour alimenter l’équivalent de la population de Marseille.
Une expérience pilote menée dans le delta du Rhône qui exploite « l’énergie osmotique » est la première démonstration d’une forme de production d’électricité renouvelable et non intermittente. Elle pourrait être décisive pour la transition énergétique, selon ses développeurs Bruno Mottet et Lydéric Bocquet, qui travaillent sur ce projet depuis plus de dix ans.
Produire de l’électricité
L’énergie osmotique repose sur le phénomène de l’osmose, découvert au XVIIIe siècle par le physicien français Jean Antoine Nollet. Le principe est le suivant : lorsqu’un corps d’eau douce est mis en contact avec de l’eau salée et séparé par une fine membrane perméable uniquement aux molécules d’eau, la pression osmotique produite lorsque l’eau douce passe dans l’eau salée peut être exploitée pour produire de l’électricité. La membrane est généralement constituée de polymères.
La différence entre les concentrations en ions de sodium (Na+) et de chlore (Cl-) dans l’eau salée et dans l’eau douce crée une énergie chimique appelée « énergie libre de Gibbs » lorsque les deux types d’eau se mélangent. Ce potentiel est lié à la deuxième loi de la thermodynamique et exprime l’entropie générée lors de ce processus. Par exemple, pour 2 m3 d’eau douce mélangée à 2 m3 d’eau de mer avec une concentration en sel de 30 g/L à 30 °C, cette énergie représente 1 kWh1.

Ces gradients de salinité se produisent naturellement dans les estuaires et les deltas où les fleuves se jettent dans la mer. L’électricité issue de l’énergie osmotique peut être produite 24 heures sur 24, quelles que soient les conditions météorologiques, contrairement à d’autres formes d’énergie renouvelable, telles que l’énergie solaire ou éolienne. En effet, elle repose sur le flux naturel constant d’eau douce provenant des fleuves et se dirigeant vers les mers salées. Et ce n’est pas tout : la construction de centrales osmotiques est moins complexe que celle d’autres infrastructures hydrauliques telles que les barrages hydroélectriques ou les centrales marémotrices.
Dans l’ensemble, il s’agit d’une source d’énergie renouvelable qui n’a qu’un faible impact sur l’équilibre naturel de l’environnement et qui ne représente pas de danger pour les populations locales. En effet, toute l’eau douce et l’eau salée utilisée par une centrale osmotique sont restituées à l’estuaire sous forme d’eau de salinité intermédiaire, équivalente à la proportion d’eau de rivière et d’eau de mer qu’on trouve dans la nature.
Centrales expérimentales
Le Japon a été le premier pays à expérimenter ce type de technologie en 2009 avec son prototype de centrale électrique à Fukuoka. Il a été suivi quelques années plus tard par la centrale expérimentale de Hurum en Norvège, puis par les Pays-Bas avec leur centrale sur la digue Afsluitdijk. Ces expériences pilotes ont permis de produire entre 4 et 50 kW d’électricité, ce qui suffit à couvrir les besoins énergétiques d’un bâtiment type.
Cette technologie a fait un grand pas en avant à la fin de l’année 2023 lorsque la start-up française Sweetch Energy2, cofondée en 2015 par Bruno Mottet et Lydéric Bocquet, et la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) ont mis en service une nouvelle centrale osmotique capable de produire 4 TWh par an. Elle est près de 20 fois plus efficace que les centrales osmotiques précédentes.
La production d’électricité pourrait être comprise entre 2 000 et 3 000 TWh, soit environ 15 % des besoins mondiaux en électricité.
Sweetch Energy a développé la technologie INOD (Ionic Nano Osmotic Diffusion), désormais brevetée. Le composant principal de l’INOD est un matériau biosourcé et économique fabriqué à partir de nanotubes. L’entreprise a collaboré avec le CNR pour construire l’usine OsmoRhône, qui a été mise en service à la fin de l’année dernière. Cette installation est située au confluent du Rhône et de la mer Méditerranée, qui est une mer particulièrement salée. Les chercheurs ont choisi le Rhône car il offre le plus fort potentiel d’électricité osmotique en France, estimé à environ un tiers de la production totale d’énergie hydraulique sur le Rhône (13 TWh)3.
La phase initiale des opérations se concentre sur la production de quelques dizaines de kilowatts d’électricité, avec pour objectif d’augmenter cette production progressivement au cours des prochaines années. À long terme, OsmoRhône espère produire 500 mégawatts4 d’électricité, soit suffisamment d’énergie pour alimenter plus de 1,5 million de foyers, ce qui équivaut à la population de Marseille, la deuxième ville de France en termes d’habitants.
Selon les experts, l’énergie osmotique pourrait à terme produire entre 2 000 et 3 000 TWh5 par an, couvrant ainsi environ 15 % des besoins mondiaux en électricité. Cela permettrait notamment d’éviter l’émission d’environ 4 Gt de CO2 par an.
Dans un contexte où il est urgent de lutter contre le réchauffement climatique et alors que la France réfléchit aux meilleures stratégies pour assurer sa souveraineté énergétique, le développement d’une industrie de l’énergie osmotique à l’échelle française, voire européenne, pourrait être l’opportunité que nous attendons, selon Lydéric Bocquet. En effet, elle pourrait commencer à avoir un impact significatif sur le paysage énergétique mondial dès 2030.

