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Photovoltaïque : de nouveaux matériaux pour un meilleur rendement

Pere ROCA
Pere Roca i Cabarrocas
directeur de recherche CNRS au LPICM* à l’École polytechnique (IP Paris) et directeur scientifique de l’Institut Photovoltaïque d’Île-de-France (IPVF)
En bref
  • Le marché mondial de l’énergie solaire repose aujourd’hui à 95 % sur le silicium, même si ce n’est pas le matériau idéal pour les panneaux photovoltaïques – il n'absorbe pas très bien la lumière.
  • Les chercheurs s’intéressent désormais à des alternatives, comme la technologie des cellules solaires à couches minces et les pérovskites.
  • Les pérovskites se haussent au même niveau de performance que le silicium (conversion d’énergie de plus de 25 %) mais il reste encore à résoudre leurs problèmes d’instabilité.
  • Il s’agit alors d’envisager les photovoltaïques en tandem en mélangeant silicium et pérovskites car, ensemble, le rendement peut dépasser les 30 %.

La tech­nolo­gie solaire pho­to­voltaïque (PV) a con­nu une crois­sance qua­si-expo­nen­tielle au cours des 15 dernières années, et son coût entre désor­mais en com­péti­tion face aux com­bustibles fos­siles. Fait remar­quable, la tech­nolo­gie sous-jacente est restée pra­tique­ment inchangée depuis sa mise au point aux Lab­o­ra­toires Bell en 1954. En effet, les cel­lules solaires mod­ernes sont tou­jours basées sur une sim­ple jonc­tion entre du sili­ci­um de type « n » (riche en élec­trons) et du sili­ci­um de type « p » (riche en trous). Les pre­mières cel­lules solaires con­ver­tis­saient la lumière du soleil en élec­tric­ité avec un ren­de­ment d’environ 5 %, un chiffre qui est passé à plus de 25 % ces dernières années grâce à une con­cep­tion plus aboutie des cel­lules, notam­ment par l’a­jout de sili­ci­um haute­ment dopé et de couch­es antireflets. 

Bien que le sili­ci­um représente encore env­i­ron 95 % du marché mon­di­al de l’én­ergie solaire, il présente un incon­vénient majeur : il n’ab­sorbe pas très bien la lumière. Il néces­site ain­si de grandes épais­seurs de matéri­au – de l’or­dre de cen­taines de microns. Étant don­né qu’il s’ag­it d’une grande dis­tance à par­courir pour les élec­trons, le sili­ci­um de qual­ité PV doit être haute­ment cristallin et très pur pour que les charges puis­sent pass­er effi­cace­ment. Or, la fab­ri­ca­tion d’un tel matéri­au est com­plexe et donc coûteuse. 

Modifier notre approche au silicium

Afin de réduire les coûts de pro­duc­tion et la quan­tité de matéri­au néces­saire, les chercheurs s’in­téressent depuis longtemps aux matéri­aux alter­nat­ifs. Mon équipe se con­cen­tre sur la tech­nolo­gie des cel­lules solaires à couch­es minces – appelées ain­si parce qu’elles ne doivent avoir que quelques microns d’é­pais­seur pour une absorp­tion optique suff­isante. Des matéri­aux de moin­dre qual­ité et de moin­dre pureté sont égale­ment accept­a­bles et peu­vent être fab­riqués grâce à des méth­odes de dépôt rapi­de : l’é­va­po­ra­tion, la pul­véri­sa­tion directe sur verre ou le dépôt en phase vapeur assisté par plas­ma (PECVD). Ces matéri­aux, qui com­pren­nent le sili­ci­um amor­phe hydrogéné, le tel­lu­rure de cad­mi­um (CdTe) et le séléni­ure de cuiv­re, d’indi­um et de gal­li­um (CuIn1-xGaxSe2, ou CIGS pour faire court), sont des cel­lules très effi­caces et peu­vent être créées sur tout type de substrat.

Le ren­de­ment des cel­lules solaires qui con­ver­tis­saient la lumière du soleil en élec­tric­ité a aug­men­té de 5 % à 25 % ces dernières années.

Aujour­d’hui, la méth­ode clas­sique de fab­ri­ca­tion de pla­que­ttes de sili­ci­um cristallin con­siste à étir­er des lin­gots puis à les découper en tranch­es d’environ 180 µm d’épaisseur. Nous nous efforçons d’introduire une rup­ture dans le mode d’obtention du sili­ci­um cristallin en util­isant de nou­velles tech­niques de crois­sance qui reposent sur des proces­sus PECVD à basse tem­péra­ture – c’est-à-dire entre 150 et 300 degrés Cel­sius. Nous util­isons égale­ment cette tech­nique pour fab­ri­quer des matéri­aux « III‑V » qui, bien que large­ment util­isés en optoélec­tron­ique, sont env­i­ron 100 fois plus chers que le sili­ci­um cristallin. Or dans le monde du pho­to­voltaïque, il faut réduire les coûts pour pou­voir con­cur­rencer le sili­ci­um cristallin.

Les méth­odes stan­dard pour créer de matéri­aux III‑V sont l’épitaxie par jets molécu­laires (« MBE » en anglais) et la décom­po­si­tion chim­ique en phase vapeur de précurseurs organomé­talliques (MOCVD). Ces méth­odes de crois­sance épi­tax­i­ales requièrent des envi­ron­nements sous ultra­vide pour la MBE et des tem­péra­tures élevées (700–1 000 °C) pour la MOCVD, ce qui les rend coû­teuses. Les procédés de dépôt par plas­ma que nous dévelop­pons au LPICMt en col­lab­o­ra­tion avec l’In­sti­tut pho­to­voltaïque d’Ile de France (IPVF) visent à réduire ce coût. C’est l’une des dernières vari­ables que nous maîtrisons, car les com­posés III‑V sont déjà au max­i­mum de leur effi­cac­ité lorsqu’il s’agit de con­ver­tir le ray­on­nement solaire en électricité. 

Les pérovskites

Les pérovskites con­stituent une autre classe de matéri­aux sur laque­lle nous tra­vail­lons. Ce sont de matéri­aux cristallins de struc­ture ABX3, où A est le cési­um, le méthy­lam­mo­ni­um (MA) ou le for­mami­dini­um (FA), B le plomb ou l’é­tain et X le chlore, le brome ou l’iode. Ce sont des can­di­dates promet­teuses pour les cel­lules solaires à couch­es minces car elles peu­vent absorber la lumière sur une large gamme de longueurs d’onde du spec­tre solaire grâce à leurs ban­des inter­dites élec­tron­iques réglables1. Les por­teurs de charge (élec­trons et trous) peu­vent égale­ment s’y dif­fuser rapi­de­ment et sur de longues dis­tances. Ces pro­priétés con­fèrent aux cel­lules solaires en pérovskite un ren­de­ment de con­ver­sion d’énergie de plus de 25 %, ce qui place leurs per­for­mances au même niveau que les matéri­aux de cel­lules solaires étab­lis tels que le sili­ci­um, l’arséni­ure de gal­li­um et le tel­lu­rure de cadmium.

Si nous savons com­ment les fab­ri­quer à faible coût et à haut ren­de­ment, le prob­lème tient au fait que les pérovskites présen­tent des défauts de sur­face naturels et sont sujettes à des mod­i­fi­ca­tions struc­turelles, con­nues sous le nom de migra­tion ion­ique. Ces deux fac­teurs ont ten­dance à ren­dre les films de pérovskite insta­bles, et ces insta­bil­ités devi­en­nent encore plus pronon­cées en présence d’humidité, avec des tem­péra­tures plus élevées. Pour amélior­er leur sta­bil­ité, nous devons com­pren­dre ces matéri­aux et les inter­faces entre les dif­férents con­sti­tu­ants qui com­posent la cel­lule solaire.

Ce sera un défi, mais il en vaut la peine, car les pérovskites sont très poly­va­lentes : leurs pro­priétés optoélec­tron­iques peu­vent être manip­ulées assez facile­ment par une sim­ple mod­i­fi­ca­tion chim­ique. Grâce à leurs incroy­able capac­ité d’absorption de la lumière, elles peu­vent être util­isées non seule­ment dans les cel­lules solaires, mais aus­si dans les diodes élec­tro­lu­mi­nes­centes et encore d’autres appli­ca­tions élec­tron­iques. La recherche sur les pérovskites explose et des mil­liers d’é­tudes sont pub­liées chaque année.

Les photovoltaïques en tandem

La ques­tion suiv­ante est : com­ment aller au-delà de nos ren­de­ments actuels ? Si l’op­ti­mi­sa­tion des matéri­aux et des inter­faces est cru­ciale, nous avons égale­ment la pos­si­bil­ité d’a­jouter des pérovskites aux tech­nolo­gies de cel­lules solaires établies (telles que le sili­ci­um) pour con­stru­ire ce que l’on appelle des cel­lules solaires en tan­dem. Il s’agit du domaine de recherche priv­ilégié à l’IPVF et d’un moyen extrême­ment intéres­sant d’aug­menter l’ef­fi­cac­ité glob­ale du dis­posi­tif final. Les cel­lules unique­ment en sili­ci­um et les cel­lules unique­ment en pérovskite peu­vent toutes les deux attein­dre des ren­de­ments de 26 %, mais si vous les met­tez ensem­ble, vous pou­vez pouss­er le ren­de­ment à une valeur plus élevée (au-delà de 30 %). Et des ren­de­ments plus élevés peu­vent sig­ni­fi­er, par exem­ple, que vous devez cou­vrir une plus petite sur­face avec votre pan­neau pho­to­voltaïque pour obtenir la même pro­duc­tion d’énergie – en d’autres ter­mes, cela coûte moins cher. 

Les cel­lules unique­ment en sili­ci­um ou en pérovskite peu­vent attein­dre des ren­de­ments de 26 %, mais, ensem­ble, le ren­de­ment peut dépass­er les 30 %.

Quels sont donc les meilleurs matéri­aux ? La réponse à cette ques­tion n’est pas évi­dente, mais si nous résolvons le prob­lème de la sta­bil­ité des pérovskites, elles sem­blent les matéri­aux les plus promet­teurs. Deux­ième­ment, les III‑V sont intéres­sants, mais nous devons réduire leur coût. Pour faire face au change­ment cli­ma­tique, notre défi est de dévelop­per des térawatts de pan­neaux pho­to­voltaïques, ce qui implique de fab­ri­quer de grandes quan­tités de pan­neaux pho­to­voltaïques dont l’installation requiert de grandes sur­faces. Aug­menter leur ren­de­ment tout en dimin­u­ant l’épaisseur des cel­lules est la meilleure façon de réduire la pres­sion sur les ressources.

Il y a égale­ment d’autres prob­lèmes à résoudre, comme le recy­clage des matéri­aux pho­to­voltaïques et leur main­tien en état de pro­preté pour qu’ils con­tin­u­ent à absorber effi­cace­ment le ray­on­nement solaire. Nous tra­vail­lons sur l’écoconception des cel­lules solaires, que nous pour­rions recy­cler tout en récupérant les matéri­aux con­sti­tu­tifs, car les cen­trales pho­to­voltaïques sont effec­tive­ment des « mines » de métaux pré­cieux. Nous avons égale­ment le prob­lème du plomb con­tenu dans les pérovskites, qui est tox­ique et qui pour­rait s’échap­per en cas d’i­non­da­tion ou d’in­cendie. Cet aspect de la tech­nolo­gie PV est un sujet de recherche en soi et fera peut-être le sujet d’un prochain article.

Propos recueillis par Isabelle Dumé

Pour aller plus loin :

1Des plages d’énergie entre la bande de valence et la bande de con­duc­tion où les états élec­tron­iques sont inter­dits.

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