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Quel avenir pour l’industrie photovoltaïque en Europe ?

Gerard Creuzet
Gérard Creuzet
président de l’Institut Photovoltaïque d’Île-de-France
En bref
  • L’industrie photovoltaïque mondiale est aujourd’hui concentrée en Chine. Mais l’essor sans précédent du marché ouvre des opportunités pour les acteurs européens, qui bénéficient de trois tendances.
  • Après une longue période de progrès incrémentaux, où la différence ne se faisait que par les prix, des accélérations technologiques sont réalisées en Europe.
  • Dans des domaines comme l’automobile, l’agriculture et le bâtiment, différentes niches pourraient ouvrir la voie à de nouveaux segments de marché pour des produits très différenciés, loin de la logique de commodité qui domine actuellement.
  • Enfin, les régulations européennes évoluent : plus attentives au cycle de vie (production moins carbonée, recyclabilité), elles sont de nature à changer la donne.

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Dans le photovoltaïque, est-il possible de faire la différence autrement que sur les prix ?

Il est vrai qu’au plan tech­nologique, l’industrie des pan­neaux solaires est car­ac­térisée aujourd’hui par une cer­taine homogénéité. La plu­part des acteurs exploitent une tech­nolo­gie à base de sili­ci­um poly­cristallin ou qua­si-monocristallin, mis en œuvre selon dif­férentes architectures.

Cela ne sig­ni­fie pas qu’il n’y a pas d’innovation, mais plutôt que celle-ci a suivi jusqu’ici une logique incré­men­tale. Les amélio­ra­tions n’en sont pas moins, dans la durée, sig­ni­fica­tives, sur les per­for­mances et sur les coûts. Con­cer­nant la per­for­mance des dis­posi­tifs : le pre­mier pan­neau à pro­pre­ment par­ler, dévelop­pé en 1954 par les Bell Labs (quar­ante ans après les pre­miers essais de cel­lules pho­to­voltaïques au sili­ci­um), avait un ren­de­ment de 6 %. Il y a quelques années, on en était à 13 ou 14 %, et aujourd’hui une bonne par­tie des pan­neaux solaires sur le marché ont un ren­de­ment aux alen­tours de 20 %.

Le coût des pan­neaux a chuté de 80 % en dix ans pour de bonnes et de mau­vais­es raisons. 

Quant au coût des pan­neaux, il a chuté de 80 % en dix ans, pour de bonnes et de mau­vais­es raisons : les bonnes, ce sont les pro­grès tech­nologiques et le pas­sage à l’échelle porté par l’accélération de la tran­si­tion énergé­tique. Les mau­vais­es, ce sont des sub­ven­tions mas­sives, notam­ment en Alle­magne, qui, au lieu de faire décoller l’industrie européenne, ont con­duit à des sur­ca­pac­ités indus­trielles et à une guerre des prix à laque­lle seuls quelques indus­triels chi­nois ont pu sur­vivre ; ils exer­cent aujourd’hui une dom­i­na­tion écras­ante sur le marché. Aujourd’hui, le prix est le prin­ci­pal critère, bien devant la per­for­mance, tant chez les instal­la­teurs de parcs pho­to­voltaïques que chez les particuliers.

Est-ce à dire que les jeux sont joués pour l’industrie européenne ?

Non, et ceci pour au moins trois raisons. La pre­mière est que le marché est en plein boom, et qu’il y a de la place pour de nou­veaux acteurs. On n’a pas encore les chiffres défini­tifs pour 2022, mais en 2021, d’après l’Agence inter­na­tionale de l’énergie1, la pro­duc­tion d’énergie pho­to­voltaïque mon­di­ale a aug­men­té de 179 TWh (soit + 22 %), un record, pour dépass­er les 1 000 TWh. Cette crois­sance est tirée par le marché chi­nois, suivi par les États-Unis et l’Union européenne. Si l’on suit le scé­nario Net Zéro des Nations Unies, il fau­dra attein­dre un niveau de pro­duc­tion solaire pho­to­voltaïque annuelle d’environ 7 400 TWh en 2030. En par­tant des 1 000 TWh actuels, cela implique une crois­sance moyenne de la pro­duc­tion d’environ 25 % par an pen­dant la péri­ode 2022–2030.

Dans ce gigan­tesque marché, la pro­duc­tion réal­isée en Chine restera dom­i­nante, et il faut regarder de près ce qui se passe aux États-Unis. Mais la crois­sance du marché européen sera égale­ment très impor­tante, ce qui ouvre des per­spec­tives pour les acteurs européens de revenir dans la course, car — c’est la deux­ième rai­son — nous entrons dans une phase d’arrivée à matu­rité de plusieurs inno­va­tions tech­nologiques qui, sans être des rup­tures à pro­pre­ment par­ler, con­stituent des accéléra­tions décisives. 

La plus promet­teuse : les cel­lules « tan­dem » qui asso­cient sili­ci­um et pérovskite. Cela per­met de mieux exploiter le spec­tre solaire, en ajoutant les ultra­vi­o­lets à la lumière vis­i­ble et aux infrarouges (bien cap­tés par le sili­ci­um). Une telle tech­nolo­gie déplace la bar­rière théorique qui plaçait jusqu’ici le max­i­mum de ren­de­ment à un peu plus de 29 %. Elle se situe désor­mais aux alen­tours de 40 %. En lab­o­ra­toire, on va déjà très loin : en sep­tem­bre dernier, des chercheurs néer­landais ont réus­si pour la pre­mière fois à pass­er le seuil des 30 % de ren­de­ment2. L’industrialisation est en vue : l’IPVF, qui regroupe les forces de nom­breux acteurs (dont EDF, Total­En­er­gies, le CNRS et l’Ecole Poly­tech­nique) va installer, en Alsace, une pre­mière ligne de pro­duc­tion util­isant cette tech­nolo­gie tan­dem sili­ci­um-per­ovskite avec son parte­naire indus­triel, Voltec Solar. Sur cette tech­nolo­gie de rup­ture, l’Europe est donc en pointe tant en recherche qu’en développement.

Une troisième rai­son est que si la « com­modi­ti­sa­tion » des pan­neaux solaires va con­tin­uer, avec des pro­duits stan­dard­is­és, on assiste égale­ment aujourd’hui à l’essor d’un marché d’applications beau­coup plus var­iées, ani­mé par une logique de dif­féren­ci­a­tion. Je vous en cit­erai trois exemples. 

Le pre­mier, c’est l’agrivoltaïque, avec des pan­neaux semi-trans­par­ents per­me­t­tant d’optimiser l’association entre cul­tures et pan­neaux sur ombrières. On est ici dans des réglages fins, au plus près du marché, des besoins, des con­di­tions météorologiques : au plan com­mer­cial et indus­triel, il y a de la place pour des pro­duits dif­féren­ciés, portés par des acteurs capa­bles de fournir du service.

Incités par une régle­men­ta­tion bien pen­sée, des acteurs indus­triels allongeront la chaîne de valeur jusqu’à la dernière par­tie du cycle de vie: le recyclage. 

Deux­ième exem­ple, le solaire sur les véhicules. Aujourd’hui c’est une niche, avec quelques exem­ples dans l’industrie des navires de plai­sance3 (l’enjeu : couper le moteur sans couper la clim et le fri­go…). Mais l’essor des voitures élec­triques amène un besoin mas­sif de solu­tions pour rafraîchir le véhicule à l’arrêt ou, inverse­ment, tenir la bat­terie au chaud afin de ne pas per­dre de per­for­mance en hiv­er. Le solaire est un bon can­di­dat : con­struc­teurs et équipemen­tiers ont des pro­jets dans leurs cartons.

Troisième exem­ple : les pan­neaux solaires, c’est bien dans le bâti­ment, mais ce n’est pas très élé­gant. Un marché de tuiles solaires est en train d’émerger, qui là encore va se dévelop­per selon des besoins plus locaux (toutes les tuiles ne se ressem­blent pas, il y a des dif­férences régionales) et sur de la qual­ité esthé­tique, à par­tir de nich­es appelées à grossir. Là encore, il y a de la place pour des acteurs agiles et locaux. Récem­ment, on a observé le développe­ment de tuiles pho­to­voltaïques de design très proche des tuiles tra­di­tion­nelles4

Hormis ces marchés de niches appelés à s’élargir, peut-on imaginer des game changers qui changeraient la donne pour l’industrie européenne ? 

Oui, notam­ment dans la logique du Green Deal européen, qui asso­cie poli­tique indus­trielle et exi­gence écologique. En matière de pan­neaux pho­to­voltaïques, les normes et régu­la­tions européennes ont jusqu’ici prêté peu d’attention à la ques­tion du cycle de vie. Or, celle-ci est appelée à gag­n­er en impor­tance. Deux points en par­ti­c­uli­er pour­raient faire la dif­férence : le pre­mier est la quan­tité d’énergie con­som­mée (et le CO2 émis) pour fab­ri­quer un pan­neau. À l’heure actuelle, le « retour énergé­tique » des pan­neaux n’est pas très bon : un mod­ule pho­to­voltaïque doit fonc­tion­ner env­i­ron deux à trois ans pour com­penser l’énergie néces­saire à sa fab­ri­ca­tion. De sur­croît, ceux fab­riqués en Chine ont un bilan car­bone peu traçable, et prob­a­ble­ment pas très bon. Une régu­la­tion met­tant l’accent sur cette dimen­sion chang­erait la donne.

Dans le même esprit, un autre aspect du cycle de vie est appelé à pren­dre de l’importance : la recy­cla­bil­ité. Cela pour­rait favoris­er une forme d’économie cir­cu­laire, dès lors que, incités par une régle­men­ta­tion bien pen­sée, des acteurs indus­triels allongeront la chaîne de valeur jusqu’à cette dernière par­tie du cycle de vie. Là encore, c’est à l’échelle régionale — celle de l’UE — que cette inté­gra­tion entre indus­trie et ser­vices aura le plus de pertinence.

Richard Robert
1https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​s​o​l​ar-pv
2https://​inter​estin​gengi​neer​ing​.com/​s​c​i​e​n​c​e​/​3​0​-​p​e​r​c​e​n​t​-​b​a​r​r​i​e​r​-​s​o​l​a​r​-​c​e​l​l​s​-​b​r​e​ached
3https://​www​.green​line​hy​brid​.com/​e​n​/​solar
4https://www.usinenouvelle.com/article/l‑industrie-c-est-fou-ces-tuiles-en-terre-cuite-renferment-des-panneaux-solaires.N2101011

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