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Renouvelables : les rendements varient en fonction du climat

sylvain Cros
Sylvain Cros
ingénieur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique de l’École polytechnique (IP Paris)
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Riwal Plougonven
professeur à l'École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Selon l'OMM et l'IRENA, le réchauffement climatique influence la production des énergies renouvelables, notamment l'éolien, le solaire et l'hydroélectricité.
  • Certaines régions, comme le sud de l'Afrique et l'Asie du Sud-Est, pourraient connaître des difficultés saisonnières pour alimenter leurs réseaux électriques.
  • La production hydroélectrique est directement liée aux régimes de précipitations et pourrait diminuer dans les régions soumises à la sécheresse, tout en augmentant aux hautes latitudes.
  • Les fluctuations de production éolienne pourraient toucher particulièrement les régions densément peuplées, allant jusqu’à 10 ou 30 % de déclin.
  • La clé : l’utilisation d’un bouquet d’énergies renouvelables pour compenser les variations et continuer de décarboner notre production.

Fin 2023, l’Organisation météorologique mon­di­ale (OMM) et l’Agence inter­na­tionale pour les éner­gies renou­ve­lables (IRENA) aler­tent1: « Il est vital de mieux com­pren­dre les fac­teurs cli­ma­tiques et leurs inter­ac­tions avec les ressources renou­ve­lables pour assur­er la résilience et l’efficacité des sys­tèmes énergé­tiques et des tran­si­tions asso­ciées. » La tran­si­tion mas­sive vers les éner­gies renou­ve­lables est indis­pens­able pour con­tenir le réchauf­fe­ment cli­ma­tique lié aux activ­ités humaines : leur capac­ité totale instal­lée doit pass­er de 3 870 GW en 2023 à 11 000 GW en 2030 pour lim­iter le réchauf­fe­ment à 1,5 °C2.

Mais les deux agences soulig­nent les retombées du réchauf­fe­ment cli­ma­tique lui-même sur la pro­duc­tion d’énergie. Par­mi les qua­tre indi­ca­teurs con­sid­érés, tous sont impactés. Cela con­cerne les éner­gies éoli­enne, solaire, l’hydroélectricité et la demande en énergie. « Il est essen­tiel que les décideurs poli­tiques anticipent l’avenir des infra­struc­tures énergé­tiques et des act­ifs en matière d’énergie, en ten­ant compte des effets du change­ment cli­ma­tique et de la demande crois­sante qui en résulte », explique dans un com­mu­niqué de presse Francesco La Cam­era, directeur général de l’IRENA. Dans son dernier rap­port de syn­thèse3, le Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur le cli­mat (GIEC) pré­cise que les retombées du change­ment cli­ma­tique sur la pro­duc­tion d’électricité ne devraient pas com­pro­met­tre les straté­gies d’atténuation à l’échelle glob­ale. En revanche, il souligne que les retombées régionales peu­vent être sig­ni­fica­tives, notam­ment pour l’éolien et l’hydroélectricité. Des régions comme le sud de l’Afrique et l’Asie du Sud-Est pour­raient avoir des dif­fi­cultés à ali­menter leurs réseaux à cer­taines saisons. À l’inverse, l’Amérique du Sud pour­rait con­sid­ér­er la revente de sur­plus d’énergie.

L’impact mondial de la nébulosité

Pen­chons-nous tout d’abord sur l’énergie solaire, au poten­tiel de pro­duc­tion et d’expansion le plus impor­tant. La pro­duc­tion d’électricité est directe­ment liée à l’ensoleillement – vari­able selon la lat­i­tude – et à la présence de nuages. « La nébu­losité dépend de la tem­péra­ture, de l’humidité et des champs de pres­sion de l’atmosphère, eux-mêmes influ­encés par le change­ment cli­ma­tique », explique Syl­vain Cros. En 2022, le fac­teur de charge4 – c’est-à-dire le ren­de­ment – n’a que très peu var­ié par rap­port à la péri­ode 1991–2020. L’IRENA observe les change­ments les plus impor­tants (+3 à +6 %) en Bolivie, au Paraguay et en Argen­tine, des pays déjà classés par­mi ceux rece­vant le plus d’irradiation solaire. D’ici 2050, une étude pub­liée dans Nature Sus­tain­abil­i­ty5 iden­ti­fie un dou­ble­ment des jours à faible ren­de­ment en été dans la pénin­sule ara­bique ; et à l’inverse une réduc­tion de moitié de ces jours en Europe du Sud. Pour un scé­nario inter­mé­di­aire d’émissions de gaz à effet de serre (RCP4.5, pour lequel le réchauf­fe­ment atteint 2,7 °C d’ici la fin du siè­cle), les change­ments de pro­duc­tion solaire en été en 2050 sont mod­érés : ‑4 % pour la pénin­sule ara­bique, +5 % pour l’Europe cen­trale, +3 % pour le désert d’Atacama, ‑2 % au sud-est de l’Australie ou au nord-ouest de l’Afrique et +2 % en Chine et en Asie du Sud-Est.

À l’échelle glob­ale, les vari­a­tions de pro­duc­tion liées au change­ment cli­ma­tique sont donc très faibles. Il appa­raît peu prob­a­ble que ces vari­a­tions com­pro­met­tent la capac­ité de l’énergie solaire à accom­pa­g­n­er la tran­si­tion énergé­tique d’après le GIEC. « Les pro­jec­tions mon­trent que la hausse de tem­péra­ture aug­mente la nébu­losité, prin­ci­pale­ment dans les régions arides », détaille Syl­vain Cros. En cause : l’accroissement de l’évaporation de l’eau des sols et des océans, con­jugué à une aug­men­ta­tion de la con­vec­tion qui favorise une mon­tée en alti­tude et la con­den­sa­tion en nuages. « Mais d’autres fac­teurs con­tribuent à la nébu­losité, et les mod­èles sont cette fois beau­coup plus incer­tains », pour­suit le sci­en­tifique. Quant aux fac­teurs socio-économiques, dif­fi­cile de les anticiper. Les pro­grès tech­nologiques aug­mentent le ren­de­ment des pan­neaux pho­to­voltaïques. Syl­vain Cros ajoute : « Le taux de déploiement est un autre fac­teur impor­tant : les pan­neaux solaires sont devenus telle­ment bon marché que la vitesse de leur déploiement pour­rait con­tre­bal­ancer les effets de la baisse d’irradiation. »

Variations régionales et production éolienne

Autre mode de pro­duc­tion d’énergie renou­ve­lable impor­tant : l’éolien. En com­para­nt le fac­teur de charge de l’année 2022 à la péri­ode 1991–2020, l’OMM-IRENA notent des change­ments impor­tants. De nom­breux pays européens enreg­istrent une diminu­tion de 10 % ou plus, et la baisse dépasse 16 % en Amérique cen­trale et Papouasie-Nou­velle-Guinée. À l’inverse, des hauss­es de 8 % sont observées en Afrique sub­sa­hari­enne, Mada­gas­car, Bolivie, Paraguay, Corée ou encore aux États-Unis. Mais les études sem­blent mon­tr­er que la vari­abil­ité naturelle du cli­mat (l’alternance des phénomènes El Niño-La Niña par exem­ple) explique en grande par­tie ces vari­a­tions, plutôt que le réchauf­fe­ment lié aux activ­ités humaines.

« Les change­ments de tem­péra­ture de sur­face sont bien appréhendés dans les pro­jec­tions cli­ma­tiques. En revanche, les mod­i­fi­ca­tions de la cir­cu­la­tion atmo­sphérique sont beau­coup plus dif­fi­ciles à mod­élis­er, car de mul­ti­ples mécan­ismes peu­vent influ­encer la pro­duc­tion éoli­enne6 », atteste Riw­al Plougonven. Résul­tat : dif­fi­cile d’identifier un sig­nal clair à grande échelle pour l’avenir. Le GIEC estime que les ressources à long terme en énergie éoli­enne n’évoluent pas sig­ni­fica­tive­ment dans les scé­nar­ios cli­ma­tiques futurs. Mais cer­taines régions pour­raient être con­cernées par des vari­a­tions impor­tantes, soit d’une année à l’autre, soit au fil des mois. Dans une syn­thèse regroupant 75 études7, des auteurs relèvent une diminu­tion du poten­tiel de pro­duc­tion à l’ouest des États-Unis pour la deux­ième moitié du XXIème siè­cle, et une ten­dance à la diminu­tion pour une majeure par­tie de l’hémisphère Nord (Europe, Russie, Chine). À l’inverse, la pro­duc­tion éoli­enne en Amérique cen­trale, du Sud, au sud de l’Afrique et en Asie du Sud-Est mon­tre une ten­dance à la hausse. Dans une étude pub­liée en févri­er 20248, d’autres auteurs notent des diminu­tions impor­tantes d’ici 2100 pour le pire scé­nario d’émissions de GES – d’environ ‑10 % par exem­ple pour une majeure par­tie de l’Union européenne et des États-Unis. Ils soulig­nent que ce déclin touche par­ti­c­ulière­ment des régions den­sé­ment peu­plées, aug­men­tant les retombées. « L’amplitude de ces change­ments peut être sig­ni­fica­tive, de l’ordre de 10 à 30 % selon les régions con­sid­érées », note Riw­al Plougonven. Mais il tem­père : « La majorité des études se focalise sur le pire scé­nario d’émissions de GES (SSP5‑8.5) et des pro­jec­tions pour la fin du siè­cle. Or ce scé­nario est peu prob­a­ble, et l’horizon – même s’il est intéres­sant – est trop loin­tain par rap­port aux échelles de temps du secteur éolien. »

Con­cer­nant l’hydroélectricité, l’indicateur éval­ué dans le rap­port OMM-IRENA mon­tre une réduc­tion en 2022 en Amérique du Sud, Asie de l’Est, Afrique cen­trale et de l’est et l’ouest de l’Europe. A con­trario, une hausse est remar­quée au Cana­da, Mex­ique, Russie, Inde, Népal, Afrique du Sud, Aus­tralie et dans les pays scan­di­naves. Ces obser­va­tions sont prin­ci­pale­ment liées, comme pour celles du solaire, au régime cli­ma­tique la Niña en place en 2022. La pro­duc­tion d’hydroélectricité est en effet directe­ment liée à la disponi­bil­ité de l’eau, et est mod­ulée par les tem­péra­tures et l’intensité des pré­cip­i­ta­tions. Quant à l’avenir, une majeure par­tie des cen­trales hydroélec­triques (61 à 74 %) sont situées dans des régions où des déclins con­sid­érables des débits des riv­ières sont pro­jetés dès 2050. Glob­ale­ment, il est estimé que les hautes lat­i­tudes enreg­istreront une hausse de 5–20 %, tan­dis que les régions soumis­es à la sécher­esse subiront une baisse de 5–20 % (cela con­cerne l’Amérique du Nord et cen­trale, le sud de l’Europe, le Moyen-Ori­ent, l’Asie cen­trale et le sud de l’Amérique du Sud).

Des projections importantes pour trouver des solutions

Il est impor­tant de con­sid­ér­er ces pro­jec­tions dans les plans de déploiement des éner­gies renou­ve­lables. Cer­taines régions du monde pour­raient se retrou­ver dans des sit­u­a­tions gag­nantes, « prof­i­tant » de la hausse de pro­duc­tion de plusieurs éner­gies. À l’inverse, d’autres régions seraient dou­ble­ment ou triple­ment affec­tées. Le rap­port OMM-IRENA prend le cas de la région regroupant le Botswana, Mozam­bique, Nami­bie, Afrique du Sud et Zim­bab­we : en juin 2022, la pro­duc­tion solaire était réduite mais la région enreg­is­trait des hauss­es impor­tantes de pro­duc­tion d’hydroélectricité et d’énergie éoli­enne. Par oppo­si­tion, en octo­bre 2022, la plu­part des indi­ca­teurs étaient à la baisse, met­tant en péril l’alimentation en élec­tric­ité. « L’utilisation d’un bou­quet d’énergies renou­ve­lables est clé pour que les vari­a­tions puis­sent se com­penser », souligne Riw­al Plougonven. Enfin, des échanges d’électricité entre régions pour­raient atténuer ces effets : par exem­ple, le poten­tiel plus impor­tant d’énergie éoli­enne en Amérique du Nord pour­rait com­penser la réduc­tion au Mex­ique. L’OMM-IRENA soulig­nent le rôle des sys­tèmes d’alerte pré­coce pour sécuris­er l’énergie à tra­vers le monde.

Riw­al Plougonven con­clut : « Il est clair que ces vari­a­tions liées au change­ment cli­ma­tique doivent être con­sid­érées pour dimen­sion­ner au mieux notre pro­duc­tion d’énergies renou­ve­lables, mais cela ne remet pas en cause le déploiement mas­sif et néces­saire de celles-ci pour décar­bon­er notre énergie. » Le dernier effet majeur du cli­mat sur la tran­si­tion énergé­tique ? La demande en énergie.

Anaïs Marechal
1WMO, IRENA (2023), 2022 Year in Review: Cli­mate-dri­ven glob­al renew­able ener­gy poten­tial resources and ener­gy demand.
2Site inter­net con­sulté le 26 avril 2024 : https://​www​.ire​na​.org/​D​i​g​i​t​a​l​-​c​o​n​t​e​n​t​/​D​i​g​i​t​a​l​-​S​t​o​r​y​/​2​0​2​4​/​M​a​r​/​S​y​s​t​e​m​i​c​-​C​h​a​n​g​e​s​-​N​e​e​d​e​d​-​t​o​-​T​r​i​p​l​e​-​R​e​n​e​w​a​b​l​e​s​-​b​y​-​2​0​3​0​/​d​etail
3Clarke, L. et al. 2022: Ener­gy Sys­tems. In IPCC, 2022: Cli­mate Change 2022: Mit­i­ga­tion of Cli­mate Change. Con­tri­bu­tion of Work­ing Group III to the Sixth Assess­ment Report of the Inter­gov­ern­men­tal Pan­el on Cli­mate Change, Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, Cam­bridge, UK and New York, NY, USA. doi: 10.1017/9781009157926.008.
4Le fac­teur de charge cor­re­spond au ratio entre l’énergie pro­duite sur une péri­ode don­née et l’énergie qui aurait pu être pro­duite durant cette même péri­ode si l’équipement de pro­duc­tion d’énergie avait con­stam­ment fonc­tion­né à sa puis­sance nom­i­nale, c’est-à-dire dans des con­di­tions opti­males d’utilisation.
5https://doi.org/10.1038/s41893-020–00643‑w
6https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​3​8​/​n​g​e​o2253
7https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​r​s​e​r​.​2​0​2​2​.​1​12596
8https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​e​n​e​r​g​y​.​2​0​2​3​.​1​29765

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