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La rivalité sino-américaine en orbite : le vrai, le faux et l’incertain

Isabelle Sourbès‑Verger_VF
Isabelle Sourbès-Verger
géographe et directrice de recherche au CNRS
En bref
  • La Chine est aujourd’hui une puissance spatiale mondiale, et notamment la seule nation avec les E-U à avoir réussi à poser un rover sur Mars, et à le faire se déplacer.
  • Toutefois, des efforts d’investissement sont encore nécessaires pour rivaliser avec les E-U : l’enveloppe chinoise s’élève à 20 milliards de dollars pour l’ensemble du spatial.
  • Si les acteurs privés représentent un atout dans les stratégies spatiales, la plupart des acteurs chinois sont fortement soumis au contrôle de l’État et aux choix politiques.
  • La Chine cherche actuellement en priorité à utiliser les ressources sur la Lune selon le principe de l’ISRU (In Situ Resource Utilization), pour contribuer au fonctionnement de ses installations.
  • Aujourd’hui, la Chine poursuit des objectifs clairs : envoyer un citoyen chinois sur la Lune, mettre sur pied une base scientifique d’exploration, etc.

Depuis le lance­ment de son pre­mier satel­lite en 1970, la Chine a par­cou­ru un chemin spec­tac­u­laire dans la con­quête spa­tiale. Aujour­d’hui troisième puis­sance mon­di­ale dans ce domaine, elle rivalise avec les États-Unis et la Russie sur tous les fronts : vols habités, explo­ration plané­taire, satel­lites d’ap­pli­ca­tion. Pour­tant, mal­gré des bud­gets encore trois fois inférieurs à ceux de Wash­ing­ton, Pékin affiche des ambi­tions claires et une con­stance poli­tique qui con­traste avec les revire­ments améri­cains. Entre mythes de pré­da­tion lunaire et réal­ités tech­nologiques, quelle est la véri­ta­ble nature de cette rival­ité sino-améri­caine en orbite ? Isabelle Sour­bès-Verg­er, direc­trice de recherche au CNRS, démêle le vrai du faux.

#1 La Chine est une puissance spatiale de premier rang

VRAI

Sans nul doute, la Chine fig­ure aujourd’hui sur le podi­um mon­di­al des puis­sances spa­tiales. Elle a démon­tré à plusieurs repris­es ses capac­ités à réalis­er tous types de mis­sions, après avoir investi dans plusieurs grands domaines du spa­tial ces dernières décen­nies. Après avoir obtenu un accès à l’e­space en toute indépen­dance en 1970 pour envoy­er ses pro­pres satel­lites en orbite, le pays est capa­ble en 2003 d’en­voy­er des hommes dans l’e­space puis de dis­pos­er de ses pro­pres sta­tions en orbite, autant de com­pé­tences que seules la Russie et les États-Unis pos­sè­dent. Les mis­sions d’ex­plo­ration, qui con­sis­tent à quit­ter l’or­bite ter­restre pour se diriger, par exem­ple, vers Mars, sont égale­ment maîtrisées. À ce jour, la Chine demeure, avec les États-Unis, la seule nation à avoir osé et réus­si à pos­er un rover sur Mars et à le faire s’y déplac­er. Sa maîtrise des tech­nolo­gies se véri­fie dans le domaine des satel­lites d’ap­pli­ca­tion : les télé­com­mu­ni­ca­tions, l’observation et la nav­i­ga­tion. Enfin, l’as­tronomie et l’as­tro­physique sont deux champs d’étude eux aus­si investis. En somme, tous les critères capac­i­taires per­me­t­tant d’obtenir le statut de puis­sance spa­tiale sont large­ment remplis.

INCERTAIN

Si les États-Unis déti­en­nent incon­testable­ment la pre­mière place du classe­ment depuis plusieurs décen­nies, la sec­onde et la troisième place sont plus dif­fi­ciles à attribuer. Par rap­port à la Chine, la Russie se démar­que par ses capac­ités dans le spa­tial mil­i­taire, tan­dis que l’U­nion européenne porte d’ambitieux pro­grammes de haute tech­nolo­gie, même si l’au­tonomie sur les vols habités lui fait défaut.  Dans le cas où le critère retenu pour définir le classe­ment est la diver­sité des capac­ités, et non le niveau de celles-ci, alors la Chine se posi­tionne devant les deux con­cur­rents, Russie et Union européenne. Néan­moins, plusieurs années d’efforts et d’investissements seront encore néces­saires avant d’être au coude-à-coude avec les États-Unis. Il suf­fit de com­par­er les bud­gets alloués au spa­tial pour saisir ce décalage entre les deux puis­sances. Wash­ing­ton con­sacre entre 60 à 70 mil­liards de dol­lars au domaine spa­tial, dont 40 à 50 mil­liards de dol­lars pour le spa­tial mil­i­taire, tan­dis que l’enveloppe chi­noise s’élève à 20 mil­liards de dol­lars pour l’ensemble. Pékin a atteint son objec­tif pre­mier, celui d’être recon­nue mon­di­ale­ment comme une puis­sance spa­tiale de très haut rang en rat­tra­pant un retard tech­nologique ini­tial con­sid­érable.  En revanche, il n’est pas évi­dent que ce soit dans le domaine spa­tial que la Chine veuille démon­tr­er une supéri­or­ité par rap­port à son con­cur­rent, d’autres domaines sym­bol­iques sont aus­si à conquérir.


#2 Les acteurs privés représentent un atout dans les stratégies spatiales 

VRAI

Dans l’histoire spa­tiale des États-Unis, les grands indus­triels tra­di­tion­nels, comme Boe­ing, étaient effec­tive­ment des acteurs privés qui déte­naient un rôle clé dans la stratégie nationale. Cette con­fig­u­ra­tion a pro­fondé­ment évolué, car les nou­veaux acteurs – en pre­mier lieu l’entreprise SpaceX et sa fil­iale Star­link, dirigées par Elon Musk – ont changé les règles du jeu. Ils se démar­quent par leur volon­té de men­er leur pro­pre poli­tique spa­tiale, tan­dis que la pre­mière généra­tion d’acteurs se con­tentait de rem­plir un rôle de prestataire en répon­dant aux com­man­des émis­es par la NASA. Aujourd’hui, les entre­pre­neurs du New­Space peu­vent pos­séder leurs lanceurs. C’est le cas de Star­link, avec les lanceurs Fal­con fréquem­ment util­isés par la NASA et par le départe­ment de la Défense. Ces com­man­des publiques amor­tis­sent et rentabilisent leur coût financier.

La car­togra­phie chi­noise des acteurs est dif­férente à bien des égards. Quelques struc­tures privées sont implan­tées dans le domaine des télé­com­mu­ni­ca­tions ou dans celui de l’ob­ser­va­tion, et depuis peu, des entre­pris­es de fab­ri­ca­tion de lanceurs ont émergé. Toute­fois, le con­trôle éta­tique étant inhérent au mod­èle chi­nois, l’économie et l’entrepreneuriat spa­tial en dehors du giron pub­lic restent soumis aux choix politiques.

INCERTAIN

La moitié des satel­lites opéra­tionnels en orbite basse appar­tient à Star­link, société dont Elon Musk est action­naire majori­taire. Dans l’espace, il con­tribue à con­forter la place prépondérante des États-Unis mais il suit avant tout sa pro­pre route, qui n’est pas tou­jours celle de la Maison-Blanche.

#3 La Chine comme les États-Unis veulent exploiter les ressources sur la Lune

FAUX

Lorsque la con­quête lunaire fait débat, il est pri­mor­dial de dif­férenci­er les enjeux qui relèvent du vol habité de ceux qui relèvent du vol automa­tique. Dans l’op­tique d’ex­ploiter les ressources lunaires, la présence humaine est un fac­teur de con­traintes sup­plé­men­taires par les besoins en eau, en air, en nour­ri­t­ure… qu’elle génère. Cela sup­pose des infra­struc­tures sup­plé­men­taires, et donc des coûts addi­tion­nels élevés alors que la robo­t­ique a fait des pro­grès majeurs.

L’exploitation des ressources com­prend deux volets : l’utilisation sur place dite « ISRU » (In Situ Resource Uti­liza­tion) et l’exploitation à des fins com­mer­ciales. L’ISRU est indis­pens­able pour con­tribuer au fonc­tion­nement des instal­la­tions et à ce titre, la base sino-russe comme la base améri­caine ne peu­vent pas s’en pass­er. En revanche, l’exploitation com­mer­ciale est une ini­tia­tive pure­ment améri­caine des­tinée à attir­er le secteur privé mais qui, pour l’instant, est surtout soutenue par la NASA.

Le dis­cours aux États-Unis con­siste à posi­tion­ner la Chine comme un com­péti­teur pré­da­teur. Ce nar­ratif, qui s’inspire de la con­cur­rence sur Terre mais ren­voie aus­si à la course à la Lune avec l’URSS, sert à mobilis­er les sou­tiens. Mais au-delà des mythes à faire vivre ou des défis tech­nologiques, des ques­tion­nements poli­tiques, voire éthiques, s’imposent lorsqu’on évoque les ressources lunaires et leur util­i­sa­tion poten­tielle sur Terre. Quel serait l’intérêt de ramen­er une quan­tité for­cé­ment lim­itée de métaux rares dans une ère où leur con­som­ma­tion se compte en tonnes ? Par ailleurs, si l’on ajoute au coût d’exploitation, celui du retour, l’équilibre économique et la dura­bil­ité d’un tel mod­èle sem­blent incohérents.

INCERTAIN

Out­re-Atlan­tique, la plus grande incer­ti­tude est avant tout d’ordre poli­tique. Les pro­jec­tions du Prési­dent Trump en matière de con­quête spa­tiale sont incon­stantes. Le pro­gramme spa­tial Artemis de la NASA en est la preuve.  Avec l’objectif d’amener un équipage sur la Lune d’ici 2027, il a été lancé sous son pre­mier man­dat, pour­suivi sous Joe Biden, et main­tenant remis en cause sous son sec­ond mandat. 

À l’opposé, la Chine sem­ble pour­suiv­re un objec­tif clair : porter un citoyen chi­nois sur la Lune pour la pre­mière fois dans l’histoire nationale, appren­dre à faire vivre des humains, puis met­tre sur pied une base sci­en­tifique d’ex­plo­ration. Rap­pelons-nous qu’en 1969, pen­dant que Neil Arm­strong mar­chait sur la Lune, la Chine tra­ver­sait la Révo­lu­tion cul­turelle. En revanche, sur les ques­tions des échéances, il est peu prob­a­ble que les équipages accélèrent le rythme en réac­tion au retrait de Don­ald Trump. L’enjeu répu­ta­tion­nel est de taille, ils ne pren­dront pas le risque d’un échec. 

Alicia Piveteau

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