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Comment les nouveaux matériaux transforment l’industrie

Photovoltaïque : les promesses des nouveaux matériaux

Isabelle Dumé, journaliste scientifique
Le 16 février 2022 |
5 min. de lecture
Nathanaelle Schneider
Nathanaëlle Schneider
chargée de recherche CNRS au sein du laboratoire de l’Institut Photovoltaïque d’Ile-de-France (IPVF)
En bref
  • La capacité de production des panneaux photovoltaïques est en croissance. En 2008, elle était d’environ 10 GW au niveau mondial, alors qu’elle est désormais supérieure à 600 GW – suffisant pour alimenter un pays comme le Brésil.
  • Cette croissance aussi rapide des dernières années est d’autant plus étonnante parce qu’elle s’est produite sans véritable changement fondamental de la technologie photovoltaïque.
  • Les avancées se font grâce au silicium. Dans les années 1950, les cellules solaires convertissaient, seulement 5% des rayonnements solaires en énergie. Aujourd’hui, les cellules convertissent près de 25%.
  • Mais la technologie Si est si performante et si peu coûteuse que sa marge de progression devient limitée.
  • Les chercheurs étudient donc des nouvelles molécules comme les pérovskites ou des nouveaux moyens de production comme le « dépôt par couche atomique ».

Les cel­lules solaires (ou pho­to­voltaïques) captent l’énergie du soleil et la con­ver­tis­sent en énergie élec­trique. Jusqu’en 2008, la capac­ité de pro­duc­tion était d’environ 10 gigawatts (GW) au niveau mon­di­al, mais elle est désor­mais supérieure à 600 GW – ce qui serait suff­isant pour ali­menter un pays grand comme le Brésil. De plus, la puis­sance générée par les cel­lules solaires aurait aug­men­té de 22 % en 2019 pour attein­dre 720 TWh (ter­awatt hours), ce qui sig­ni­fie que cette tech­nolo­gie représente désor­mais près de 3 % de la pro­duc­tion mon­di­ale d’élec­tric­ité1.

Ces chiffres ne cesseront d’ac­croître grâce à la tran­si­tion énergé­tique et parce que la demande aug­mente à l’échelle mon­di­ale. C’est à nous, acteurs de la recherche, de la R&D et de la tech­nolo­gie, de répon­dre à cette demande, notam­ment avec de nou­velles archi­tec­tures, de matéri­aux pho­to­voltaïques effi­caces et de nou­veaux procédés de fabrication.

Une croissance rapide

Une crois­sance aus­si rapi­de est d’au­tant plus éton­nante parce qu’elle s’est pro­duite sans véri­ta­ble change­ment fon­da­men­tal de la tech­nolo­gie pho­to­voltaïque (PV) elle-même. En effet, les cel­lules solaires d’au­jour­d’hui restent sim­i­laires à celle démon­trée aux Lab­o­ra­toires Bell, aux États-Unis, en 1954. Cette cel­lule com­pre­nait une sim­ple jonc­tion entre du sili­ci­um de ‘type n’ (riche en élec­trons) et de ‘type p’ (pau­vre en élec­trons) et con­ver­tis­sait la lumière du soleil en élec­tric­ité avec un ren­de­ment de 5 %.

Au fil des ans, ce chiffre a pro­gres­sive­ment aug­men­té pour attein­dre plus de 25 % de nos jours, grâce à des cel­lules plus avancées con­tenant du sili­ci­um haute­ment dopé, des con­tacts élec­triques per­fec­tion­nés et de couch­es antire­flets. Les dis­posi­tifs à base de sili­ci­um sont désor­mais moins chers aus­si : le prix moyen des mod­ules est d’en­v­i­ron 0,21 $/Wp et le LCOE (lev­elized cost of ener­gy) de 2,8–6,8 cents/kWh (AC). Selon le Rap­port ITRPV 20202, ces chiffres vont aller en s’améliorant, avec un LCOE atten­du en 2031 de 2–5 cents/kWh. Ces avancées impres­sion­nantes, et le fait que les cel­lules puis­sent fonc­tion­ner pen­dant plus de 25 ans, sont les raisons pour lesquelles cette tech­nolo­gie représente ~95 % du marché solaire mon­di­al à présent. Les nou­veaux matéri­aux peu­vent faire davan­tage croître cette part.

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À la recherche des matériaux alternatifs

Afin de per­me­t­tre des usages alter­nat­ifs du PV tels que le BI-PV (Build­ing-Inte­grat­ed PV) ou répon­dre à la demande en capac­ité de pro­duc­tion gran­dis­sante, le sili­ci­um (Si) seul ne suf­fit plus. Pour­tant, la tech­nolo­gie Si est si per­for­mante et si peu coû­teuse que sa marge de pro­grès devient lim­itée. Une stratégie pour la dépass­er : dévelop­per des cel­lules PV à ren­de­ment de con­ver­sion de puis­sance encore plus élevé, c’est-à-dire celles qui con­ver­tis­sent une frac­tion plus grande de la lumière solaire en électricité.

Pour ce faire, nous sommes à la recherche des matéri­aux alter­nat­ifs. Des films minces basés sur des com­posés tels que le tel­lu­rure de cad­mi­um (CdTe) et le séléni­ure de cuiv­re, d’indi­um et de gal­li­um (CIGS), par exem­ple, sont déjà disponibles dans le com­merce. Ces matéri­aux n’ont pas besoin d’être très épais – quelques microns suff­isent pour qu’ils absorbent suff­isam­ment de lumière. Ils n’ont pas besoin non plus d’être de haute qual­ité (con­traire­ment au Si tra­di­tion­nel). Les pan­neaux fab­riqués à par­tir de ces matéri­aux peu­vent même être flexibles.

Un prob­lème se pose toute­fois : ces matéri­aux PV reposent sur l’indi­um et le tel­lure, qui sont des élé­ments rares et donc chers.

Les pérovskites et les cellules solaires tandem

Dans leur quête de matéri­aux absorbants plus acces­si­bles, les chercheurs se sont tournés, ces dernières années, vers les pérovskites, de matéri­aux cristallins promet­teurs pour les cel­lules solaires en couch­es minces capa­bles d’absorber la lumière sur une large gamme de longueurs d’onde du spec­tre solaire. Leur ren­de­ment est désor­mais supérieur à 18 %, ce qui les amène à un pied d’é­gal­ité avec des matéri­aux de cel­lules solaires bien étab­lis, même si leur sta­bil­ité doit être améliorée. 

Une autre option: les dis­posi­tifs ‘tan­dem’, les cel­lules solaires con­tenant deux matéri­aux semi-con­duc­teurs pho­toac­t­ifs dif­férents, mais com­plé­men­taires. Ces cel­lules peu­vent attein­dre des ren­de­ments plus élevés lorsque ces matéri­aux sont util­isés con­join­te­ment, par rap­port à l’un ou l’autre seul (effi­cac­ité max­i­male de con­ver­sion théorique passe de 33 à 45%). Com­bin­er du Si avec une pérovskite3, par exem­ple, peut tir­er le meilleur par­ti des dif­férentes longueurs d’onde de la lumière du soleil: le sili­ci­um con­ver­tit effi­cace­ment les pho­tons dans la gamme infrarouge et les pérovskites les pho­tons d’énergie plus élevée.

On peut aller encore plus loin et empil­er plusieurs matéri­aux semi-con­duc­teurs pho­toac­t­ifs en choi­sis­sant soigneuse­ment la com­bi­nai­son qui per­met de capter au mieux le ray­on­nement solaire. Ces dis­posi­tifs à matéri­aux mul­ti­ples sont appelés ‘cel­lules à jonc­tions mul­ti­ples’4 et sont prin­ci­pale­ment basés sur les matéri­aux dits III‑V (type GaAs).

Il n’est cepen­dant pas aisé de fab­ri­quer de tels dis­posi­tifs. Une cel­lule solaire, quel que soit son archi­tec­ture, est com­posée de dif­férentes couch­es de matéri­aux. Cha­cune a un rôle cru­cial à jouer : out­re le matéri­au pho­toac­t­if qui absorbe la lumière, il faut des couch­es qui col­lectent les élec­trons, des couch­es trans­par­entes aux pho­tons, des revête­ments con­tre l’humidité,… Pour fab­ri­quer une cel­lule solaire effi­cace, chaque couche doit rem­plir un cahi­er des charges strict et être assem­blé avec une extrême précision.

Dépôt par couche atomique

C’est dans ce proces­sus que réside notre exper­tise. Nous syn­théti­sons des couch­es minces de matéri­aux pour les cel­lules pho­to­voltaïques en util­isant une tech­nique large­ment employée dans l’industrie de la microélec­tron­ique appelée ALD (Atom­ic Lay­er Depo­si­tion, ou dépôt par couche atom­ique)5. Ici, la sur­face d’un sub­strat est exposée suc­ces­sive­ment à un com­posé, appelé précurseur, qui réag­it avec le sub­strat, s’y fixe et forme une mono­couche atom­ique. La crois­sance se pour­suit en exposant cette couche à une molécule com­plé­men­taire pour con­stru­ire la struc­ture entière mono­couche par mono­couche. Cette tech­nique nous per­met de réalis­er de couch­es de seule­ment 2 à 100 nanomètres d’épaisseur.

Cepen­dant, toutes les molécules ne con­vi­en­nent pas à l’ALD. Dans notre lab­o­ra­toire, nous essayons de com­pren­dre quelles molécules sont les mieux adap­tées et celles qui ne le sont pas, com­ment elles se com­por­tent à la sur­face d’un sub­strat et quelles pro­priétés physiques et élec­tron­iques elles appor­tent au matéri­au final.

Bien que nous ayons de nom­breux choix en ce qui con­cerne les dif­férents matéri­aux pho­to­voltaïques disponibles et en cours de développe­ment, il est dif­fi­cile de prédire lesquels gag­neront la course. Il se peut que plusieurs tech­nolo­gies com­plé­men­taires sim­i­laires coex­is­tent, les dif­férents matéri­aux trou­vant des appli­ca­tions dif­férentes. Le sili­ci­um, com­biné à un sec­ond matéri­au pho­toac­t­if, pour­rait demeur­er le matéri­au de prédilec­tion pour les pan­neaux rigides, et les films minces pour les bâti­ments ou les objets. Quoi que l’avenir nous réserve, nous sommes à l’aube d’une véri­ta­ble ‘révo­lu­tion matérielle’ pour la tech­nolo­gie des cel­lules solaires.

1https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​s​o​l​ar-pv
2https://​itr​pv​.vdma​.org/
3https://​www​.sci​ence​.org/​d​o​i​/​1​0​.​1​1​2​6​/​s​c​i​e​n​c​e​.​a​b​d4016
4https://​aip​.sci​ta​tion​.org/​d​o​i​/​1​0​.​1​0​6​3​/​5​.​0​0​48653
5https://​pubs​.rsc​.org/​e​n​/​c​o​n​t​e​n​t​/​a​r​t​i​c​l​e​l​a​n​d​i​n​g​/​2​0​1​7​/​m​h​/​c​6​m​h​0​0​5​2​1​g​/​u​nauth

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