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A brain is displayed in a glass case. The brain is surrounded by water and he is glowing. Concept of wonder and fascination with the complexity of the human brain
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QI : peut-on mesurer l’intelligence ?

Jacques Grégoire
Jacques Grégoire
professeur émérite à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Louvain
En bref
  • Le QI n’est pas une mesure objective de l’intelligence.
  • En effet, c’est une mesure relative qui comporte des erreurs, qui ne mesure que certaines facettes de l’intelligence et qui est soumise à de multiples aléas.
  • Un QI inférieur à 70 n’est pas synonyme de handicap mental, il doit toujours s’accompagner d’autres tests ou examens afin d’approfondir l’analyse.
  • Un test de QI est un outil clinique utilisé, par exemple, pour évaluer les conséquences cérébrales d’un traumatisme crânien ou détecter une détérioration des facultés cognitives à cause du vieillissement.
  • La mesure du QI ne peut s’affranchir de l’éducation ou du contexte social et familial ou de la culture d’origine, parce que l’intelligence y est liée.
  • Le QI moyen occidental a grandement augmenté depuis les années 40 et se stabilise depuis le 21ème siècle, approchant peut-être une forme de limite humaine.

Le quo­tient intel­lectuel (QI) vise à estimer l’intelligence d’une per­son­ne, à tra­vers un out­il com­posé d’une série de ques­tions : le test de QI. Celui-ci, réal­isé avec un psy­cho­logue, per­met d’établir un score à com­par­er à la moyenne de la pop­u­la­tion d’appartenance, fixée à 100. Mais dans quelle mesure peut-on s’appuyer sur les tests de QI pour éval­uer l’intelligence ? Retour sur quelques-unes des prin­ci­pales idées reçues autour du QI, avec Jacques Gré­goire, pro­fesseur émérite en psy­cholo­gie et psy­chométrie à l’Université catholique de Louvain.

Le QI est une mesure absolue de l’intelligence – FAUX

Le quo­tient intel­lectuel (QI) est par­fois con­sid­éré comme une mesure objec­tive de l’intelligence, mais ce n’est pas le cas. L’intelligence est une qual­ité que l’on ne voit pas, alors com­ment la mesur­er ? Au fil des études, à par­tir du début du 20ème siè­cle, les chercheurs ont affiné leur con­nais­sance de la struc­ture de l’intelligence. Cela a notam­ment abouti à l’élaboration de grands ensem­bles d’épreuves per­me­t­tant d’évaluer divers­es facettes : capac­ités ver­bales, visuo-spa­tiales, mémoire de tra­vail… Les tests actuels esti­ment ain­si le niveau intel­lectuel d’un indi­vidu à par­tir des résul­tats obtenus aux dif­férentes épreuves retenues.

Mais il faut bien not­er qu’il s’agit d’une esti­ma­tion. Pre­mière­ment, le score est une mesure rel­a­tive : il définit où se situe l’individu par rap­port à la moyenne de son groupe d’appartenance, qui est de 100. De plus, toute mesure – en psy­cholo­gie, comme dans tout domaine – com­porte des erreurs. C’est pourquoi le QI devrait tou­jours être don­né avec un inter­valle de con­fi­ance, par exem­ple de plus ou moins cinq points.

Par ailleurs, un test de QI est soumis à de mul­ti­ples aléas : con­di­tions de l’examen, objec­tif recher­ché, erreurs com­mis­es plus ou moins volon­taire­ment… En con­séquence, le résul­tat obtenu doit impéra­tive­ment être accom­pa­g­né d’une analyse par un prati­cien for­mé. Sans inter­pré­ta­tion, un score de QI ne veut rien dire.

Un QI bas correspond à un handicap mental – INCERTAIN

Le QI est con­stru­it de telle façon que, dans un inter­valle de plus ou moins un écart-type autour de la moyenne (de 85 à 115), on retrou­ve 68 % de la pop­u­la­tion. Par con­séquent, avoir un score inférieur à 100 n’est cer­taine­ment pas un signe de retard intellectuel.

Il existe cepen­dant une norme qui veut qu’à par­tir de deux écarts-types en dessous de la moyenne (moins de 70), on par­le de hand­i­cap men­tal. Mais ce seul score ne suf­fit pas à pos­er un diag­nos­tic. Il doit tou­jours s’accompagner d’autres tests ou exa­m­ens, afin d’approfondir l’analyse.

D’autant que le résul­tat d’un test de QI peut être influ­encé par de nom­breux fac­teurs. Par exem­ple, la fatigue, la con­som­ma­tion de drogues ou une patholo­gie psy­chi­a­trique peu­vent altér­er les per­for­mances d’un indi­vidu. L’évaluation du QI n’est donc pas tou­jours pertinente.

Tout le monde devrait connaître son QI – FAUX

Un test de QI est avant tout un out­il clin­ique, util­isé pour répon­dre à un objec­tif par­ti­c­uli­er : diag­nos­ti­quer un retard men­tal, éval­uer les con­séquences cérébrales d’un trau­ma­tisme crânien, détecter une détéri­o­ra­tion des fac­ultés cog­ni­tives à cause du vieil­lisse­ment, etc. La ques­tion doit donc être d’ordre général : quel est le prob­lème à résoudre ? Le test de QI peut alors – ou non – con­tribuer à attein­dre le but fixé, mais ce n’est pas une fin en soi.

Cer­taines per­son­nes veu­lent con­sul­ter un pro­fes­sion­nel pour con­naître leur QI, sou­vent en espérant obtenir un score excep­tion­nelle­ment haut. Mais quel est l’intérêt ? Même dans un envi­ron­nement pro­fes­sion­nel ou sco­laire, le QI ne suf­fit pas à prédire la per­for­mance. D’autres indi­ca­teurs peu­vent être plus per­ti­nents, tels que des résul­tats à des exa­m­ens, à des con­cours ou à des tests tech­niques. Le test de QI ne doit pas servir de référence absolue pour class­er les indi­vidus, ce n’est pas son but.

Les résultats des tests de QI laissent apparaître des différences entre hommes et femmes – VRAI

Il y a un peu plus de quar­ante ans, les tests de QI mon­traient des dif­férences entre les sex­es : les filles étaient moins per­for­mantes sur les fonc­tions visuo-spa­tiales (capac­ité à visu­alis­er en 3D un objet représen­té en 2D) et meilleures sur les tâch­es ver­bales. Aujourd’hui, ces dis­par­ités ont totale­ment dis­paru. Cela sig­ni­fie notam­ment qu’il n’y aucune don­née sci­en­tifique qui pousserait à priv­ilégi­er une ori­en­ta­tion spé­ci­fique selon le sexe.

En revanche, il existe un domaine dans lequel les filles obti­en­nent générale­ment de meilleurs résul­tats que les garçons : la rapid­ité per­cep­tive, qui traduit la capac­ité à repér­er de petites dif­férences. C’était vrai il y a plus de quar­ante ans, et cela le reste aujourd’hui.

Les Français ont un QI moyen plus élevé que les Américains – INCERTAIN

Un test de QI vise tou­jours à com­par­er un indi­vidu à son groupe d’appartenance, par exem­ple à ses com­pa­tri­otes. Au con­traire, la com­para­i­son entre deux pop­u­la­tions dif­férentes n’a pas de sens : il n’existe pas aujourd’hui d’outil per­me­t­tant de le faire. Par le passé, cer­taines ini­tia­tives visaient à dévelop­per des tests indépen­dants de la cul­ture, dont les résul­tats ne dépendraient pas du pays. Mais c’est impos­si­ble, car l’intelligence ne peut se dévelop­per en dehors de la culture.

Et ce lien étroit se véri­fie par­fois de façon inat­ten­due. Prenons la tâche suiv­ante : devoir retenir une séquence de chiffres et la restituer dans l’ordre inverse. Le par­fait exem­ple d’exercice à l’abri de toute influ­ence cul­turelle, n’est-ce pas ? Eh bien, une précé­dente étude a mon­tré qu’un pays affichait des per­for­mances net­te­ment inférieures aux autres États occi­den­taux : la Litu­anie. Pourquoi ? Dans la langue litu­ani­enne, les mots désig­nant les chiffres pos­sè­dent, pour la plu­part, deux ou trois syl­labes. Et le stock­age de la mémoire de tra­vail dépend de la longueur des mots à retenir, ici plus grande que dans les autres langues.

Et il y a ain­si de mul­ti­ples exem­ples de ques­tions pou­vant sem­bler uni­verselles, mais qui cachent en réal­ité de fortes dis­par­ités selon les pays. C’est pourquoi tout test per­ti­nent doit être adap­té à chaque cul­ture, ce qui néces­site un tra­vail significatif.

Le QI dépend de l’environnement social et familial – VRAI

L’intelligence, si elle com­prend une part d’inné, ne peut se dévelop­per qu’au sein d’un con­texte favor­able. L’école, le milieu famil­ial, l’environnement social jouent ain­si un rôle fondamental.

Par con­séquent, la mesure du QI ne peut s’affranchir de l’éducation ou du con­texte social et famil­ial, parce que l’intelligence y est liée. Cela peut paraître injuste, mais c’est une réal­ité per­cep­ti­ble dans d’autres domaines : l’enfant de deux sportifs de haut niveau dévelop­pera plus facile­ment des com­pé­tences ath­lé­tiques, de même avec des par­ents musi­ciens professionnels.

Le QI moyen en France a baissé ces dernières années – FAUX

Grâce à des mod­èles sta­tis­tiques com­plex­es, il est pos­si­ble d’effectuer des com­para­isons entre les épo­ques. Et à par­tir des années 1940, on a observé une aug­men­ta­tion assez nette des scores moyens dans les pays occi­den­taux au fil des décen­nies. C’est ce qu’on appelle l’effet Fly­nn. Mais cette ten­dance s’est large­ment ralen­tie dans plusieurs pays dévelop­pés à l’approche des années 2000, jusqu’à devenir une stag­na­tion – et non une régres­sion, comme l’affirment cer­taines études souf­frant de faib­less­es méthodologiques.

Com­ment expli­quer ce phénomène ? Il n’y a pas de cer­ti­tude absolue, mais il est raisonnable d’envisager que la crois­sance du QI a été favorisée par l’amélioration des con­di­tions de vie après la Sec­onde Guerre mon­di­ale : baisse de la mor­tal­ité et des mal­adies infan­tiles, développe­ment de la sco­lar­ité, aug­men­ta­tion du niveau de vie… Et depuis quelques années, peut-être nous appro­chons-nous d’une forme de lim­ite quant à l’intelligence moyenne. L’être humain ne pos­sède-t-il pas des lim­ites dans tous les domaines ?

Par exem­ple, aux Jeux olympiques de 1896, le vain­queur du 100 m l’emportait avec un temps de 12 s. Depuis, cette mar­que a été pro­gres­sive­ment améliorée, pas­sant sous les 10 s. Mais un humain parvien­dra-t-il un jour à courir le 100 m en moins de 7 ou 5 s ? Il y a cer­taine­ment une lim­ite impos­si­ble à dépasser.

Bastien Contreras

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