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Dizziness a term used to describe a range of sensations, such as feeling faint, woozy, weak or unsteady. that creates the false sense that you or your surroundings are spinning or moving
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Mythes et réalités de l’hypersensibilité 

Jimmy Bordarie
Jimmy Bordarie
maître de conférences en psychologie sociale, du travail et des organisations à l’Université de Tours
Colette Aguerre
Colette Aguerre
maître de conférences en psychopathologie clinique à l’Université de Tours et docteur en psychopathologie clinique
En bref
  • Selon les études, l’hypersensibilité concernerait 15 à 30 % de la population.
  • Le modèle de la « sensibilité du traitement sensoriel » d'Aron et Aron caractérise ce trouble par une facilité d'excitation, un seuil sensoriel bas et une sensibilité esthétique.
  • Les effets de l'hypersensibilité peuvent varier selon les individus, leurs expériences passées, leur capacité à gérer leurs émotions ou encore le contexte.
  • L'augmentation supposée des cas serait le résultat d’une meilleure reconnaissance du phénomène et d’une évolution des attitudes envers les émotions.
  • L’hypersensibilité n'est ni une maladie ni un défaut, mais plutôt un trait de personnalité à comprendre et à apprivoiser pour en faire une force.

Les hypersensibles sont les personnes qui pleurent tout le temps – FAUX

L’hypersensibilité est un phénomène qui sus­cite un grand intérêt de nos jours et fait l’objet de nom­breux rac­cour­cis ou clichés. Il s’agit en réal­ité d’une notion com­plexe, sur laque­lle por­tent de nom­breuses et solides études sci­en­tifiques. Elles reposent sur plusieurs mod­èles expli­cat­ifs de l’hypersensibilité et sur les déf­i­ni­tions qui en découlent. Par­mi les plus util­isés fig­ure le mod­èle de la « sen­si­bil­ité du traite­ment sen­soriel » d’Aron et Aron (1997). Selon celui-ci, les per­son­nes hyper­sen­si­bles se car­ac­térisent par une ten­dance à être plus sen­si­bles aux stim­uli internes et envi­ron­nemen­taux. Ils expri­ment égale­ment une plus grande réac­tiv­ité émo­tion­nelle, tant sur le ver­sant négatif que positif.

En d’autres ter­mes, la forte émo­tiv­ité ne représente qu’une petite par­tie de l’hypersensibilité. Cette dernière serait plutôt con­sti­tuée de trois facettes :

  1. Une facil­ité d’excitation : une ten­dance à réa­gir inten­sé­ment aux stim­uli internes et externes
  2. Un seuil sen­soriel bas : une sen­si­bil­ité accrue aux stim­uli (internes et externes) subtils
  3. Une sen­si­bil­ité esthé­tique : une grande récep­tiv­ité aux man­i­fes­ta­tions esthé­tiques et aux réac­tions qu’elles provoquent

Nos travaux nous ont toute­fois con­duits à envis­ager une qua­trième com­posante : l’évitement des nui­sances, c’est-à-dire une ten­dance à con­trôler ces dernières, afin de s’en protéger.

L’hypersensibilité peut générer des effets positifs comme négatifs – VRAI

Dans les médias, l’hypersensibilité est tan­tôt dépeinte comme un hand­i­cap, tan­tôt comme un « super-pou­voir ». En réal­ité, même si ses effets sem­blent le plus sou­vent négat­ifs, ses con­séquences sur l’individu sont variables.

Le mod­èle d’Aron et Aron pro­pose une clas­si­fi­ca­tion en deux caté­gories. D’un côté, les per­son­nes ayant eu une enfance heureuse, qui seraient moins intro­ver­ties, émo­tives et sujettes à la dépres­sion que la deux­ième caté­gorie et pour qui l’hypersensibilité appa­raî­trait peu prob­lé­ma­tique. De l’autre, celles ayant con­nu une enfance dif­fi­cile présen­teraient une plus grande ten­dance à dévelop­per de l’anxiété, notam­ment sociale.

Par ailleurs, nos travaux pour­raient nous con­duire à pro­pos­er une autre clas­si­fi­ca­tion, sans con­tredire la précé­dente, tou­jours en deux pro­fils. Le pre­mier serait le plus fréquent, l’hypersensible « vul­nérable », pour qui l’hypersensibilité con­stituerait un fac­teur de frag­ili­sa­tion sur le plan émo­tion­nel. En revanche, pour le sec­ond pro­fil, l’hypersensible « esthète », elle pour­rait jouer un rôle de pro­tec­tion dans cer­taines sit­u­a­tions, être ressourçante psychologiquement.

Il y a autant d’hypersensibilités que d’hypersensibles – VRAI

Ces clas­si­fi­ca­tions ne sig­ni­fient pas que les indi­vidus appar­ti­en­nent à des caté­gories figées. En fait, l’hypersensibilité pos­sède une part d’inné, avec des prédis­po­si­tions géné­tiques et neu­ro­bi­ologiques, mais elle néces­sit­erait aus­si un con­texte d’activation, c’est-à-dire un envi­ron­nement qui va venir réveiller ce poten­tiel. Or, chaque indi­vidu réa­gi­ra dif­férem­ment à une sit­u­a­tion don­née. Et une même per­son­ne peut réa­gir dif­férem­ment à un même événe­ment, selon le moment et le con­texte. Ain­si, le rap­port de cha­cun à l’hypersensibilité dépend d’une mul­ti­tude de facteurs.

De plus, il serait préférable de par­ler de « haute sen­si­bil­ité », comme en anglais ou en espag­nol, plutôt que d’« hyper­sen­si­bil­ité ». Cela traduit davan­tage le con­tin­u­um de la sen­si­bil­ité dans lequel s’inscrit chaque individu.

L’hypersensibilité est un défaut – FAUX

Dans le mod­èle d’Aron et Aron, l’hypersensibilité con­stitue un trait de tem­péra­ment, c’est-à-dire une dif­férence indi­vidu­elle sta­ble, appa­rais­sant dès la nais­sance, s’appuyant sur des con­sid­éra­tions géné­tiques et neu­ro­bi­ologiques. Ce n’est pas un désa­van­tage, unique­ment un fonc­tion­nement par­ti­c­uli­er avec lequel il faut savoir com­pos­er. D’autant que selon les études, il con­cern­erait de 15 à 30 % de la pop­u­la­tion mondiale.

À vrai dire, il n’est même pas néces­saire de détecter l’hypersensibilité, tant qu’elle n’occasionne pas d’inconfort chez l’individu. Si c’est le cas, alors il existe des out­ils validés sci­en­tifique­ment, à l’image de l’échelle d’Aron et Aron, sous la forme d’un ques­tion­naire disponible en plusieurs langues.

Néan­moins, la ques­tion ne doit jamais se résumer à « Suis-je hyper­sen­si­ble ? » Il s’agit plutôt de priv­ilégi­er une approche glob­ale, d’identifier les dif­fi­cultés psy­chologiques et rela­tion­nelles que ren­con­tre la per­son­ne dans sa vie, et de voir en quoi l’hypersensibilité peut y jouer un rôle ou non.

L’hypersensibilité concerne principalement les femmes – FAUX

Aucune étude sci­en­tifique ne per­met d’affirmer que les femmes seraient plus hyper­sen­si­bles que les hommes. Les pro­por­tions sont générale­ment sem­blables entre les deux genres.

En revanche, il y aurait davan­tage d’introvertis chez les hyper­sen­si­bles. Mais il ne s’agirait pas non plus d’une spé­ci­ficité, puisque cela con­cern­erait env­i­ron 30 % d’extravertis.

Il y a plus d’hypersensibles qu’avant – INCERTAIN

Il est impos­si­ble de com­par­er le nom­bre d’hypersensibles selon les épo­ques, tout sim­ple­ment parce que le con­cept demeure assez récent. Dès lors, com­ment estimer la pro­por­tion d’individus con­cernés à une péri­ode où l’hypersensibilité n’était pas encore définie ? Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas jadis d’hypersensibles, mais ils n’étaient pas recon­nus comme tels.

Cette sup­posée aug­men­ta­tion peut toute­fois s’expliquer par la médi­ati­sa­tion récente du terme. Ain­si, de nom­breuses per­son­nes peu­vent se recon­naître dans des descrip­tions approx­i­ma­tives et se qual­i­fi­er d’hypersensibles. Mais com­bi­en d’entre elles con­fir­ment cette intu­ition via un test valide ? Dif­fi­cile de le savoir.

Néan­moins, peut-être assis­tons-nous aus­si à une ten­dance généra­tionnelle. Les principes édu­cat­ifs s’étant renou­velés, la con­sid­éra­tion et la ges­tion des émo­tions pour­raient avoir évolué, favorisant ain­si l’hypersensibilité. Mais aucune étude, à notre con­nais­sance, ne vient con­firmer cela.

Le cerveau des hypersensibles est différent de celui du reste de la population – FAUX

Le cerveau d’une per­son­ne hyper­sen­si­ble est le même que celui de tout autre indi­vidu. Sa struc­ture, notam­ment son sys­tème nerveux cen­tral, n’affiche aucune dif­férence notable.

En revanche, il fonc­tionne dif­férem­ment : il ne réag­it pas de la même manière selon les sit­u­a­tions, cer­taines zones cérébrales sont plus activées que d’autres… Pour faire un par­al­lèle, la plu­part des gens ont deux bras. S’ils sont iden­tiques struc­turelle­ment, chaque indi­vidu ne les utilise pas de la même façon, volon­taire­ment ou non.

L’hypersensibilité est une maladie, qui peut se soigner – FAUX

L’hypersensibilité n’est ni une mal­adie ni un trou­ble. Par con­séquent, elle ne se « diag­nos­tique » pas et il est encore moins ques­tion de la « soign­er » ou de la « guérir ». D’ailleurs, elle ne fig­ure pas dans le DSM (Diag­nos­tic and Sta­tis­ti­cal Man­u­al of Men­tal Dis­or­ders), qui recense les trou­bles men­taux et psychiatriques.

Elle peut toute­fois, dans cer­tains cas, entraîn­er des désor­dres émo­tion­nels. Dans un pre­mier temps, l’idée est de pren­dre con­science de cette spé­ci­ficité et de mieux com­pren­dre son pro­pre fonc­tion­nement. Ensuite, il s’agit de trou­ver les clés pour mieux vivre avec, par exem­ple via une psy­chothérapie. Le but : faire de son hyper­sen­si­bil­ité une ressource plutôt qu’une contrainte.

Cepen­dant, il faut garder à l’esprit qu’il n’existe aujourd’hui pas de méth­ode uni­verselle, validée sci­en­tifique­ment, qui per­me­t­trait de trans­former l’hypersensibilité en atout. Mais c’est l’une de nos per­spec­tives de recherche à visée applicative.

Bastien Contreras

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