Soldier launches reconnaissance drone. Modern technology at war
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Comment les drones trouvent leur place sur les champs de bataille

« Il est quasiment impossible de se défendre contre les drones »

Thierry Berthier, directeur scientifique de la fédération professionnelle européenne des drones de sécurité
Le 28 novembre 2023 |
5 min. de lecture
Thierry Berthier
Thierry Berthier
directeur scientifique de la fédération professionnelle européenne des drones de sécurité
En bref
  • L’utilisation des drones remonte au début des années 2000 dans la lutte contre le terrorisme par les Américains.
  • Il existe une énorme variété de drones pour s’adapter à différents usages : utilisation civile (loisir ou professionnelle) ou bien militaire (combat, renseignement...)
  • Les drones peuvent représenter un risque, car ils sont très accessibles, peu coûteux, très adaptables et leur efficacité est redoutable.
  • La Fédération Drones4Sec travaille depuis 2021 à l’amélioration de la défense contre des attaques de drones, notamment contre les attaques dîtes « en essaim ».

Depuis quand les drones sont-ils massivement utilisés ?

Ce sont les Etats-Unis, au début des années 2000, qui ont com­mencé à utilis­er des drones pour élim­in­er des cibles ter­ror­istes dans les zones trib­ales au Pak­istan et en Afghanistan. A l’époque, c’était de gross­es machines. Ils ressem­blaient à des avions de com­bat, volaient haut et ils ne pou­vaient pas être opérés par des civils ou des ter­ror­istes. Mais cette époque est défini­tive­ment révolue.

De nos jours, les drones ne sont plus réservés aux armées ?

Effec­tive­ment, leur usage s’est banal­isé égale­ment pour des appli­ca­tions civiles, ce qui est très intéres­sant. Par exem­ple, les agricul­teurs peu­vent recourir à de petits drones, peu coû­teux (à par­tir de 600 euros), pour épan­dre des engrais de façon bien plus raison­née. Le souci ? Ce sont ces mêmes drones qui vont être achetés par des nar­co­trafi­quants ou des groupes ter­ror­istes et être détournés de leur usage. Les car­tels mex­i­cains par exem­ple se pro­curent des drones agri­coles et rem­pla­cent les pul­vérisa­teurs de désherbants par le même poids en grenades, à savoir 10 à 20 kg. Il est, aujourd’hui, presqu’aussi sim­ple de fab­ri­quer son drone en kit que de mon­ter un meu­ble Ikéa ! Vous pou­vez aus­si l’adapter à vos besoins par­ti­c­uliers avec une bat­terie qui dure plus ou moins longtemps, une caméra d’une réso­lu­tion plus ou moins fine, une dis­tance de con­trôle vari­able. Bref, il y en a pour tous les usages et pour tous les prix…

Les drones sont-ils plus ou moins adaptés à certains conflits ? 

On les retrou­ve désor­mais dans tous les con­flits, mais ils sont par­ti­c­ulière­ment intéres­sants pour cer­taines con­fig­u­ra­tions. Dans le cadre de la guerre con­tre le Hamas, les Israéliens peu­vent les utilis­er pour accéder à l’intérieur des tun­nels. S’ils devaient unique­ment envoy­er des hommes à ces endroits, les pertes humaines seraient extrême­ment lourdes.

Est-il très difficile de se défendre d’une attaque de drones, si oui pourquoi ?

Oui. En fait, les drones sont très faciles d’utilisation et peu coû­teux pour atta­quer. Le souci ? Il est très com­pliqué, voire même, dans cer­taines con­fig­u­ra­tions, impos­si­ble de s’en défendre. Pour des attaques « sim­ples » impli­quant un nom­bre lim­ité de drones, il existe, bien sûr, des sys­tèmes de détec­tion d’intrusion d’un drone dans un espace pro­tégé (aéro­port, stades, etc.), puis de brouil­lage de son sys­tème de nav­i­ga­tion, ou de destruc­tion de l’appareil. Mais, cer­taines attaques dites « en essaim », qui con­sis­tent à envoy­er plusieurs dizaines –voire plusieurs cen­taines – de drones dans de mul­ti­ples direc­tions, sont qua­si­ment impa­ra­bles. Au-delà de trente drones, il devient com­pliqué de se défendre.

Travaillez-vous justement sur l’amélioration de la défense ?

Oui, je suis respon­s­able du comité sci­en­tifique de la pre­mière fédéra­tion européenne des drones de Sécu­rité DRONES4SEC, lancée en 2021. Nous tra­vail­lons sur la mod­éli­sa­tion de la lutte anti-drone. Par exem­ple, dans une con­fig­u­ra­tion d’attaque par essaim, nous essayons de cal­culer com­bi­en de drones doivent démar­rer en même temps, à quelle vitesse, selon quelles tra­jec­toires et pour neu­tralis­er un max­i­mum de vecteurs hos­tiles. Une plate­forme tech­nologique va être dévelop­pée à cette fin.

Par ailleurs, au niveau européen, nous tra­vail­lons avec la société PARROT (leader européen des drones sur un label « drone de con­fi­ance »), qui garan­ti­rait aux acheteurs de drones que leurs don­nées de vol et leur don­nées per­son­nelles ne seront pas exfil­trées à chaque util­i­sa­tion. En effet, il y a avec cer­tains fab­ri­cants de drones, notam­ment chi­nois, de gros prob­lèmes de respect des don­nées per­son­nelles. Le prin­ci­pal fab­ri­cant chi­nois de drones, leader mon­di­al du secteur, est d’ailleurs désor­mais inter­dit de vente aux forces de sécu­rité en Amérique du Nord pour cette raison.

Les grandes puissances ne sont plus seules à fabriquer des drones, n’est-ce pas ?

En effet, la Turquie, l’Inde, l’Iran, Israël, tous ces pays sont très act­ifs dans la pro­duc­tion de drones civils et mil­i­taires. Si l’arme nucléaire reste réservée à un club très fer­mé de quelques grandes puis­sances, les drones sont en passe de devenir « l’arme des pau­vres ». Des drones à voil­ure fixe, por­teurs de 2 à 3 kilos d’explosifs, sont util­isés comme drones kamikazes con­tre toutes sortes de cibles de haute valeur : blind­és, chars, pièces d’artillerie, camions de rav­i­taille­ment, sys­tèmes radars et com­mu­ni­ca­tion. Il s’agit de muni­tions rôdeuses qui con­stituent une petite révo­lu­tion dans « l’art de la guerre ». De très faibles coûts de pro­duc­tion, mul­ti­pli­ables presque à l’infini, ces muni­tions per­me­t­tent de détru­ire des cibles de haut niveau tac­tique chez l’adversaire, sou­vent très coû­teuses. Le ratio de destruc­tion (c’est-à-dire le coût de la muni­tion rôdeuse ver­sus le coût de la cible) favorise net­te­ment l’attaquant et oblige l’attaqué à déploy­er des moyens de pro­tec­tion sophis­tiqués et coûteux.

Existe-t-il une très grande variété de drones ?

Oui. Un drone aérien dédié au ren­seigne­ment pour­ra rester en vol 24 heures, sans pilote à bord, en rem­plis­sant sa mis­sion de col­lecte de don­nées. D’autres sont des­tinés au com­bat ou au guidage de l’artillerie. Les micro-drones quad­cop­tères (avec qua­tre hélices) sont util­isés par les armées russe et ukraini­enne pour « net­toy­er » une tranchée en larguant des grenades à la ver­ti­cale des com­bat­tants ciblés, avec une pré­ci­sion cen­timétrique. Ces drones sont sou­vent des drones com­mer­ci­aux indus­triels trans­for­més en lance-grenade, via un sys­tème rudi­men­taire por­teur de charges.

Cer­tains peu­vent agir en mode totale­ment automa­tique, assur­er seuls une mis­sion sur une cible et revenir. D’autres engins doivent tou­jours être sous le con­trôle d’un télépi­lote, à une dis­tance plus ou moins impor­tante. Surtout, il existe des drones pour tous les milieux : l’air, mais aus­si la terre, la mer, et même des robots sous-marins ! Les Turcs ont récem­ment fait une démon­stra­tion de trois vedettes drones évolu­ant en sur­face sur l’eau, peints en bleu pour ne pas être repérables. Ils ont ain­si réus­si à couper en deux la coque d’un navire car­go en mer ! Il s’agissait d’un essai, mais cela vous donne une idée de la puis­sance de ces engins… 

Quel est le plus petit drone ? 

Le « Black Hor­net » est un micro-drone de recon­nais­sance, ressem­blant à un héli­cop­tère mais il ne mesure que 10 cm et pèse 30 g. Les Améri­cains le vendent 40 000 euros, mais les Chi­nois vien­nent d’en met­tre une ver­sion inspiréesur le marché à 130 dol­lars ! Pour ce prix, il ne pèse que 20 g de plus que l’original, est à peine plus grand, et offre presque les mêmes per­for­mances… La baisse des prix des drones et robots civils va pro­duire une forte dis­sémi­na­tion dans tous les domaines d’activités.   

Qu’en est-il des usages civils ?

Ils sont de plus en plus nom­breux. Lors du dernier trem­ble­ment de terre au Maroc, des drones ont été envoyés à l’intérieur des immeubles qui tenaient encore debout pour repér­er les fis­sures, et iden­ti­fi­er lesquels pou­vaient être sauvés ou pas. Après les tem­pêtes en France, cer­tains cou­vreurs ont util­isé des drones pour repér­er sur les toits les tuiles man­quantes, et inter­venir directe­ment là où c’était nécessaire.

Propos recueillis par Marina Julienne

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